PORTRAIT. Cet ex-conseiller du président Idriss Déby est l’un de ceux avec lesquels il va falloir compter au Tchad. Après avoir rejoint des forces rebelles au Soudan, Abakar Tollimi vit en exil en France, où il vient de fonder son parti.

Déterminisme ou vengeance ? Après des années de silence, Abakar Tollimi a donné une conférence publique à Paris pour annoncer la création d’une association politique : la Concorde nationale de la résistance pour la démocratie (CNRD). « Nous demandons le départ d’Idriss Déby [le président du Tchad en fonction depuis 1990, NDLR], puis l’organisation d’un forum pour établir les grandes lignes politiques à adopter », se targue l’homme jusque-là très discret au sein de la diaspora tchadienne. À 52 ans, il se donne une dernière chance d’atteindre son objectif : la magistrature suprême. En effet, toute sa carrière a été une succession d’occasions manquées au nom de convictions politiques plus fortes que la raison. « J’ai souvent été traité d’utopiste », se remémore-t-il avec un sourire au coin des lèvres. Derrière son costume lui donnant des airs de diplomate ultra-soigné se cache une pugnacité sans faille.

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Originaire de Fada, une localité dans le nord du Tchad, Abakar Tollimi est issu d’une famille de chefferie traditionnelle du clan Borogate. S’il est assuré de succéder au patriarche, le cadet d’une fratrie « d’une dizaine d’enfants » voit plus loin : il veut intégrer les hautes sphères du pouvoir. Titulaire d’un doctorat en droit et d’une maîtrise en administration publique, il gravit les échelons de la société tchadienne avec aisance : directeur de l’École nationale d’administration (ENA), puis de la Société d’hydraulique du Tchad. Il devient aussi préfet par intérim de Biltine (centre du pays) et sous-préfet de Bousso (ville du Sud).

Conseiller à la présidence

Il arrive aux portes du pouvoir en 2003, mais fait capoter son destin. Alors qu’il est conseiller à la présidence chargé des affaires administratives et de la décentralisation, il affiche son désaccord avec Idriss Déby Itno lors d’une réunion à Abéché. « C’était au sujet du conflit au Soudan. L’idée était d’ouvrir un front aux côtés du gouvernement soudanais. Je n’étais pas pour cette solution. C’est le début de la rupture », explique l’intellectuel. Au fil des années, la vision politique diverge entre les deux hommes pourtant très proches. Le grand frère d’Abakar Tollimi a été marié à l’une des sœurs du chef de l’État.

En 2006, le technocrate décide de créer son propre parti politique. Un projet qui restera au stade embryonnaire. « L’annonce a mis Idriss Déby dans une colère noire. Il m’a convoqué personnellement et m’a dit : Vous restez tranquille ou je suis capable de vous mettre tranquille », lance, l’air grave, Abakar Tollimi. Pas un mot sur le reste des échanges. Quelques mois plus tard, il doit se rendre à Abéché pour des célébrations, mais « des intermédiaires » l’informent que le président a donné ordre de l’arrêter. « Nous connaissons les pratiques dans ce pays. Tous ceux qui sont arrêtés finissent par disparaître », explique l’ancien conseiller. Rumeur ou réalité ? Il est finalement exfiltré du Tchad, et à 42 ans, il rejoint clandestinement la lutte armée au Soudan.

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« Ce n’était pas ce que je voulais »

Une deuxième vie commence : « Ce n’était pas ce que je voulais, mais je n’avais pas d’autre solution. » Il devient secrétaire général de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), puis de l’Union des forces pour la résistance (UFR), un groupement de huit mouvements rebelles. Là encore, en 2008, il loupe l’occasion de se propulser au sommet. Alors que le pouvoir de Déby est à deux doigts de s’effondrer sous la pression de la rébellion qui a atteint N’Djaména, il décide de ne pas se rallier aux insurgés. « Je n’y croyais pas. J’étais en contact avec des militaires français qui voulaient un interlocuteur, mais les chefs combattants n’arrivaient pas à en désigner », explique-t-il aujourd’hui. C’est finalement l’accord de paix de 2010 entre les rebelles et le gouvernement qui précipite son exil. « Je n’étais pas d’accord avec les négociations, car rien n’avait changé dans le pays. Il y avait toujours de la corruption et de la mauvaise gouvernance », justifie l’enfant du Nord. Il est détenu pendant 48 heures par les autorités soudanaises, avant d’être expulsé en France et d’obtenir le statut de réfugié politique.

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Aujourd’hui, il mène une lutte à partir de Nantes, loin des paysages désertiques du Soudan. « La meilleure voix pour le Tchad, c’est le dialogue inclusif. Mais si le président refuse, ce n’est pas exclu d’utiliser la manière forte. Je suis en concertation permanente avec des gradés », confie du bout des lèvres Abakar Tollimi. S’il affirme « n’avoir aucune haine contre Idriss Déby », il y a deux choses qui le mettent en rogne : « La situation catastrophique » de son pays et son exil forcé. « La vie politique est jalonnée de remords. Mais je les accepte, et heureusement ma famille me soutient dans mon combat », conclut Abakar Tollimi, philosophe.

PAR 
 Le Point Afrique
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