1 mars 2018 #TCHAD : La plateforme revendicative doit se fixer des objectifs pour empêcher au Tchad de sombrer dans la dictature. (Ali Mohamed Abali Marangabi)
LA PLATEFORME REVENDICATIVE DEVRAIT SE FIXER DES AMBITIONS ET DES OBJECTIFS PLUS GRANDS POUR EMPÊCHER QUA LA SOCIETE SOMBRE DANS LA DECHEANCE ET LA DICTATURE!
La grève, déclenchée par la plateforme revendicative afin d’obliger le pouvoir à revenir sur les mesures qu’il a prises, prend les allures d’un phénomène ayant toutes les chances de s’installer durablement. Mais, alors que la crise sociale paralyse les secteurs principaux de l’administration, l’Education et la Santé notamment, et s’étend en entraînant d’autres, comme tout dernièrement, les journalistes, le pouvoir, lui, fait comme si de rien n’était : utilisant des manœuvres dilatoires, en envoyant, par exemple, différents émissaires auprès des travailleurs en lutte pour leur demander de revenir à la table des négociations, Idriss Déby Itno et ses partisans donnent l’impression que, d’une manière ou d’une autre, ils ne reviendront pas sur les sacrifices énormes qu’ils ont décidé d’imposer aux travailleurs et, au-delà, à l’ensemble de la nation opprimée, juste pour satisfaire les exigences de leurs maîtres des institutions de Bretton Woods, le FMI, en l’occurrence.
Cependant, l’attitude du pouvoir, derrière laquelle certains voient la personnalité d’Idriss Déby Ino, un homme brocardé comme caractériel, doublé d’un bidasse, qui veut en imposer à tout le monde, n’est, en réalité, que dans les normes des choses : elle est l’expression de la lutte de classes, de la guerre, que, de tout temps, l’Etat tchadien a menée et mène contre les travailleurs, en particulier, et l’ensemble des opprimés du pays, en général. Les caractéristiques personnelles de ceux qui dirigent importent peu dans cette affaire-là! Si, en effet, les dirigeants du MPS et leurs partisans ne s’attaquent pas aux plus riches, aux trusts et la bourgeoisie locale, mais au plus faibles, aux travailleurs et aux opprimés, pour trouver les moyens de juguler les conséquences de la crise économique, née du fonctionnement irrationnel de l’économie capitaliste, ce n’est pas par hasard : ils font un choix mûrement réfléchi, conscient, social et politique ! Car, tel est leur rôle, à la tête de l’Etat : vider les bouches et les poches des pauvres et des affamés pour remplir celles des riches et des trop rassasiés ! C’est cette politique-là, appliquée depuis vingt-sept ans, surtout pendant la période faste des revenus pétroliers, qui a accouché de la société actuelle, un monde profondément inégalitaire, avec, d’un côté, une minorité de bourgeois, parasites, mais privilégiés, qui s’empiffrent, se gavent, exhibent de façon ostentatoire leur opulence, de l’autre, l’écrasante majorité de la population opprimée, s’enfonçant de plus en plus dans la misère, à un point tel que, même ceux qui ont la chance d’avoir un travail, tirent le diable par la queue, ont du mal à se nourrir, à se soigner, à se loger, etc,.
Alors, oui, il n’y a rien d’étonnant dans l’attitude des dirigeants du MPS face à la grève et au sort de l’ensemble des opprimés, victimes des mesures qu’ils ont prises : ils ne sont que dans leur rôle, qu’ils jouent d’ailleurs en bonne conscience ! Il convient de souligner aussi que, ce faisant, Idriss Déby Itno et ses partisans n’innovent en rien, ni n’inventent rien, si tant est qu’ils en soient capables : ils se contentent seulement d’aller chercher dans les arsenaux de la bourgeoisie mondiale les solutions éculées, élaborées par celle-ci, pour enrichir les plus riches, comme on le voit, en France, avec les ordonnances Macron, ou, en Grèce, un pays dont les couches populaires sont étranglées par les sacrifices que leur imposent, des années durant, les banques européennes et le FMI.
Par contre, dans le contexte du bras de fer actuel entre les travailleurs et le pouvoir, le seul comportement qui pourrait intriguer est bien celui des organisations politiques, qui constituent l’opposition traditionnelle au pouvoir. En effet, alors que la crise sociale s’installe durablement, que non seulement le pouvoir fait tout pour imposer des sacrifices injustes à l’ensemble de la société, mais va jusqu’à empêcher toute tentative de manifestation en faveur des travailleurs en grève, réprimant, arrêtant, emprisonnant ceux qui osent braver son autorité, les partis de l’opposition, quant à eux, brillent par un silence fort éloquent. Seul le FONAC a, pondu, certes, un communiqué appelant ses militants à soutenir les luttes des travailleurs. Mais cela n’est resté qu’au niveau d’une position de principes, classique, loin d’être, en réalité, une politique à la hauteur des enjeux de l’heure !
En effet, ce qui se joue, au cœur du bras de fer actuel entre la plateforme revendicative est le pouvoir, c’est le sort de l’ensemble de la société. Du côté où se penchera, finalement, le balancier de l’histoire dépendra notre devenir collectif, en meilleur ou en pire ! Par conséquent, quels qu’ils soient, tous ceux qui ne voudraient pas que la société sombre dans la déchéance et la dictature, tous ceux qui rêvent d’un monde meilleur, plus juste, égalitaire, démocratique, devraient tout mettre en œuvre pour que le camp des travailleurs l’emportent, afin de mettre fin à la politique du pouvoir et aux sombres perspectives qu’elle contient ! S’il y avait, par exemple, un parti révolutionnaire, politiquement et physiquement implanté au sein des masses opprimées, c’est à cette tâche-là qu’il se consacrerait : il mettrait tout son poids, politique et humain, dans la balance, en mobilisant ses militants, mais aussi tous les moyens nécessaires, au service des travailleurs ; il se saisirait de l’opportunité qu’offre la grève actuelle pour en faire un enjeu national afin que, au moyen d’une large mobilisation populaire, les travailleurs créent un rapport des forces à même de faire plier le pouvoir et, par la même occasion, d’ouvrir ainsi la voie vers des possibilités supérieures qui permettraient que tous les problèmes relatifs aux besoins collectifs des masses opprimées, tant sociaux que politiques, soient posés sur la table, discutés, pris en compte et résolus.
Par conséquent, en l’absence d’un tel parti, qui fait cruellement défaut de nos jours, c’est à la plateforme revendicative de porter seule cette perspective-là, de la défendre ouvertement auprès des larges masses populaires, en vue de la constitution avec elles d’une riposte collective de l’ensemble des opprimés contre la politique du pouvoir. Comme elle s’est déjà engagée à s’adresser à toutes les organisations syndicales, mais aussi à celles de la société civile, afin de construire avec elles cette riposte collective, il ne lui reste qu’à doter cette perspective d’un programme, sous la forme d’un plan d’urgence, d’intérêt public, comprenant les exigences essentielles des masses laborieuses face à la cherté de la vie, mais aussi à la dictature. Les plus importantes de ces revendications, pouvant fédérer tout le monde, seraient, par exemple, l’annulation, bien sûr, des mesures prises par le gouvernement, comme le demande la plateforme elle-même, mais aussi la diminution drastique des salaires des dirigeants, des ministres, des députés, des responsables de l’armée, des gouverneurs, des préfets, sans oublier les hauts cadres des grosses entreprises publiques, une taxe plus forte sur les revenus des trusts, les grosses fortunes, une augmentation conséquente des salaires des travailleurs, tant du privé que du public, du SMIC, des allocations de chômage, des pensions de retraite, des bourses, instituées comme un droit pour tout étudiant, le paiement des arriérés des salaires des fonctionnaires, l’embauche de tous les contractuels et des précaires, dans les secteurs publics essentiels, l’Education, la Santé, notamment, un revenu minimum pour tous ceux qui ne bénéficient d’aucun emploi et d’aucune allocation, notamment les femmes et les mères isolées, un fonds de soutien aux personnes âgées ne bénéficiant d’aucune retraite, une baisse importante des prix des produits et des articles de première nécessité, de l’eau, de l’électricité, du pétrole, de l’essence, du gaz, une baisse importante des prix du transport, des impôts, des loyers, l’instauration de l’échelle mobile des salaires, – chaque fois que les prix des produits indispensables augmentent, les salaires font de même, ils augmentent aussi, proportionnellement -, la gratuité effective de l’éducation et des soins dans le public, la création d’un service de transport public, la construction de logements sociaux, etc.
Le programme d’intérêt public devrait aussi comprendre des revendications politiques, conformes aux aspirations populaires face à la dictature, comme, par exemple, la libération des personnes qui viennent d’être arrêtées, dont le tort est juste d’avoir voulu exprimer leur colère en manifestant, le respect du vote des populations en changeant profondément les structures chargées de l’organisation des élections et de la proclamation de leurs résultats, la défense et la jouissance des droits démocratiques élémentaires, de réunion, d’expression, d’organisation, de manifestation, sans aucune menace ni entrave de la part du pouvoir, la rupture du cordon ombilical qui lie exclusivement la presse publique, la radio, la télévision notamment, au pouvoir du MPS, en vue de l’émancipation des journalistes du joug de celui-ci et de l’instauration d’une expression libre de toutes les sensibilités au sein de l’ONRTV, etc…
Notre bourgeoisie, grande comme petite, est venue tardivement sur la scène de l’histoire, comme un pur produit du colonialisme français, d’abord, et un valet des puissances impérialistes, notamment de la France, ensuite. Aussi est-elle pleutre, poltronne, incapable même de réaliser ses propres tâches démocratiques, comme moderniser la société en la débarrassant des structures féodales, des mœurs rétrogrades, barbares, telle l’oppression de la femme notamment. Par conséquent, c’est aussi aux travailleurs et autres opprimés en lutte qu’il appartient de se charger de ces tâches-là et de les réaliser par leurs combats. Ainsi, dans le cadre de la mobilisation générale de tous les opprimés du pays, ces derniers devraient-ils exiger également l’abolition des chefferies traditionnelles, ces structures féodales, anachroniques, sur lesquelles s’appuient toutes les dictatures en vue de leur maintien, la fin des tribunaux coutumiers, l’instauration d’une justice publique, moderne, unique pour tous, pour toutes les femmes et tous les hommes, égaux en droit, une justice libérée des coutumes et autres considérations religieuses rétrogrades, la rupture des relations entre les pouvoirs publics et les associations religieuses, – la religion devant relever du domaine du privé et de l’associatif : elle n’a pas à se mêler des affaires publiques -, le contrôle stricte de toutes les universités et écoles religieuses, quelles qu’elles soient, au niveau du contenu leur enseignement, notamment, pour voir s’il est conforme au caractère laïque de l’Etat, une lutte hardie contre l’oppression de la femme, comprenant l’interdiction effective du mariage des filles mineures, de la dote, qui ressemble à un prix d’achat des filles, de la polygamie, – symbole officiel de l’oppression de la femme -, de la coutume qui qui permet à un père de donner sa fille en aumône, tel un mouton, une révolution agraire profonde afin que les paysannes soient propriétaires des terres qu’elles travaillent, l’instauration d’un Code familial progressiste, donnant aux femmes les mêmes droits que les hommes face à l’héritage, à la garde des enfants, au divorce, l’octroi d’une pension à la femme divorcée si c’est à elle qu’il revient de garder les enfants, l’interdiction de la coutume qui veut qu’une femme épouse, malgré elle, le frère de son mari défunt ou un membre de la famille de celui-ci, lui revenant ainsi tel n’importe quel objet dont il hérite, la parité totale dans toutes les institutions publiques et les partis politiques, l’harmonisation des droits sur le lieu du travail : toute femme qui a le même diplôme ou remplit la même responsabilité qu’un homme doit avoir le même salaire que lui, l’abolition du port du voile dans les lieux publics, les écoles, les lycées, les collèges, les universités, les bureaux, – comme le réclament les femmes musulmanes tunisiennes, algériennes, iraniennes ou même saoudiennes, en lutte contre l’intégrisme religieux-, la mixité des femmes et des hommes, des filles et des garçons dans les espaces publics, la construction des centres de formation professionnelle destinés à fournir aux femmes une spécialisation dans plusieurs domaines afin qu’elles aient une qualification en vue d’un métier, la création par l’Etat des crèches, des garderies, pour détacher les femmes du lourd fardeau relatif à la maternité, mais aussi des maquis géants, des restaurants publics, dans les centres administratifs, les zones industrielles et tous les quartiers des grandes villes, avec un personnel qualifié, où tous ceux qui travaillent, tant dans le public que dans le privé, peuvent venir se restaurer grâce à des tickets payés par leurs employeurs, afin que les femmes s’émancipent des tâches ménagères, notamment du devoir de faire la cuisine, et consacrent leur temps libre à leur formation culturelle ou à leurs loisirs, une vaste campagne d’alphabétisation des adultes et des jeunes, déscolarisés, femmes et hommes, filles et garçons, en vue de leur permettre d’être autonomes et capables de remplir les tâches administratives élémentaires, une vaste propagande contre toute forme d’obscurantisme, contre l’influence réactionnaire de toutes les religions, qui obscurcissent la conscience des travailleurs, prêchent le culte du chef, l’adaptation à l’ordre établi, avec ses inégalités, ses injustices, sous prétexte que ce serait le fait du destin, mais aussi contre le nationalisme, l’ethnisme, le tribalisme, le régionalisme, la misogynie, la division en castes, toutes ces choses dont les politiciens bourgeois se servent pour opposer les opprimés les uns aux autres, pour les diviser, afin de mieux les dominer, pour les empêcher de prendre conscience du fait qu’ils constituent une seule et même classe, à part, celle des pauvres, qui ont les mêmes intérêts, quelles que soient leur culture, leur religion, leur région ou leur nation, parce qu’ils subissent tous la même exploitation, les mêmes maladies, les mêmes injustices, les mêmes inégalités, la même dictature, imposées par le même Etat et le même patronat, au service des riches, etc…
Tel est donc l’enjeu, au cœur du bras de fer actuel entre le monde du travail et le pouvoir. L’objectif est d’opposer à la politique du pouvoir une perspective qui mette en avant des revendications communes aux masses populaires afin de rassembler ces dernières autour de la défense collective de leur droit à la vie, par le biais d’une riposte commune, construite consciemment, contre la politique du gouvernement, dans le but ultime d’empêcher que la société entière s’enfonce de plus en plus dans la misère et la dictature. C’est un enjeu de taille, certes, mais aussi à portée de main ! Car, si, s’appuyant sur la détermination des travailleurs en lutte, mais aussi sur la colère populaire profonde qui couve dans le pays, la plateforme propose cette perspective-là à l’ensemble des opprimées, qui cherchent une issue à leur situation, il n’y a rien qui puisse empêcher que ce qui relève d’une aspiration aujourd’hui devienne une réalité demain!