Fervent soutien du président Mahamat Idriss Déby Itno, le chef de l’exécutif tchadien aborde avec Jeune Afrique les défis – électoraux, institutionnels, sécuritaires et diplomatiques – auxquels son gouvernement doit répondre.

En annonçant sa nomination le jour même de son investiture, le 23 mai, à la tête du premier gouvernement de la Ve République, Mahamat Idriss Déby Itno (MIDI) a pris de court le marigot politique tchadien. Réputé pour son indéfectible loyauté envers les Déby Itno père et fils, le discret Allamaye Halina, 57 ans, est décrit par certains de ses détracteurs comme le « choix de la facilité, quelqu’un qui ne viendra jamais bousculer le chef de l’État ». D’autres, au contraire, ont vu en sa nomination la promotion « logique et légitime » d’un commis de l’État qui en a côtoyé les plus hautes sphères, notamment depuis 2010, en tant que chef du protocole du président Idriss Déby Itno, puis de son fils, Mahamat.

Ce cadre du Mouvement patriotique du salut (MPS, au pouvoir), que le président fraîchement élu considère comme un grand frère, a désormais la charge de porter les douze chantiers et les cent actions définis par MIDI pour le développement du Tchad. Un « chantier ouvert », pour un pays dont le « passé tumultueux a pesé négativement sur le développement économique et social », admet Allamaye Halina, qui s’en remet à la vision du jeune chef de l’État.

En plus des défis majeurs auxquels il est confronté en matière de sécurité, de développement, d’accès aux services sociaux de base et de cohésion sociale, le gouvernement Halina doit organiser, le 29 décembre, des élections législatives. Un exercice périlleux pour un scrutin qui, six mois après une élection présidentielle hautement contestée, fait déjà l’objet de nombreuses critiques.

Jeune Afrique : Après un scrutin présidentiel contesté par une partie de l’opposition, êtes-vous favorable à un gouvernement d’ouverture intégrant des opposants tels que Succès Masra, comme ce fut le cas sous la transition ?

Allamaye Halina : En Afrique, rares sont les élections présidentielles qui ne sont pas contestées, mais, à mon humble avis, l’élection présidentielle de mai dernier fut un scrutin très ouvert, conduit dans le respect des procédures démocratiques. Rappelons que presque tous les candidats ont reconnu la victoire dès le premier tour de Mahamat Idriss Deby Itno en le félicitant, à l’exception de Succès Masra. Nous respectons le droit des citoyens de s’exprimer et de contester les résultats, mais devons nous assurer du respect de la loi et des institutions.

De quelle ouverture parle-t-on ? La nomination de Succès Masra comme Premier ministre de la transition ne relevait pas d’une entente politique mais d’une main tendue, générale, dans le cadre de la politique de réconciliation nationale menée par le chef de l’État.

Le gouvernement est toujours focalisé sur une politique d’ouverture, suivant la vision éclairée du président de la République. Nous croyons à la vertu du dialogue inclusif pour la stabilité et le développement de notre pays et restons ouverts aux concertations pour renforcer notre processus démocratique et répondre aux attentes légitimes de tous nos citoyens.

Faut-il un dialogue général pour revoir la loi électorale, le découpage territorial, la composition de l’Ange [Agence nationale de gestion des élections] et du Conseil constitutionnel, ainsi que tous les éléments du cadre électoral décriés par une partie de la classe politique ?

Nous préparons activement les élections législatives à venir avec un souci de transparence et d’équité. Des mesures sont mises en place pour garantir que ces élections soient libres, justes et inclusives.

Êtes-vous néanmoins ouvert à des réformes concernant le cadre normatif des élections ?

Pourquoi faudrait-il modifier ce qui ne fait pas réellement l’objet de contestation ? Tout processus est dynamique, évolutif, et je pense que nous sommes sur le bon chemin. Nous avons des organes solides, qui gèrent comme il se doit les échéances électorales.

Il y a pourtant bien contestation : Succès Masra assure être le vrai gagnant de la présidentielle, d’autres formations et mouvements politiques, comme le GCAP [Groupe de concertation des acteurs politiques] décrivent un processus de gestion des élections biaisé… 

Il est vrai que des chefs de partis politiques ont introduit des recours au niveau du Conseil constitutionnel. Mais il s’agissait de revendications plus que de contestations.

Le Tchad est au cœur de nombreuses attentions militaro-diplomatiques, quel regard portez-vous sur cette supposée « guerre d’influence » que se livreraient la France, les États-Unis et la Russie dans la région ?

Les partenariats historiques et stratégiques du Tchad sont essentiels, à l’heure où notre pays est entouré de foyers d’instabilité, de conflits armés et de menaces terroristes.

Notre engagement est de poursuivre tous ces partenariats dans le respect de la souveraineté nationale et des intérêts mutuels. Le Tchad est libre de développer toute coopération qui servirait ses intérêts, avec n’importe quel pays.

Le Tchad, le Togo et les pays de l’Alliance des États du Sahel [AES] conduisent des exercices militaires conjoints. Est-il question pour le Tchad d’intervenir, au sein de l’AES, au-delà de ses frontières communes avec le Niger ?

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont des pays avec lesquels le Tchad entretient des relations d’amitié et de coopération privilégiées, mais nous n’avons reçu aucune demande en ce sens. Par le passé, le Tchad est intervenu en dehors de ses frontières, à la demande de pays amis et partenaires. Si l’AES était amenée à formuler cette demande, nous l’examinerions de manière souveraine.

Le Tchad fait face à un afflux colossal de réfugiés soudanais. Comment cela pèse-t-il sur l’économie du pays ?

Conscient du prix de la guerre, le président Mahamat Idriss Déby Itno fut l’un des premiers à appeler les belligérants afin de trouver une solution pacifique à la crise. Personne n’est venu nous appuyer dans cette démarche.

Aujourd’hui, des centaines de Soudanais entrent quotidiennement au Tchad. L’aide humanitaire a tardé à venir, et le Tchad a longtemps subi seul le poids de ces réfugiés. Les conséquences se font sentir dans tous les domaines : environnemental, alimentaire, sanitaire [car le déplacement de population entraîne le déplacement de maladies], économique.

À l’afflue massif de réfugiés soudanais et de Tchadiens revenus du Soudan s’est ajoutée une mauvaise pluviométrie à cause de laquelle la production agricole du pays est devenue déficitaire. La situation critique, qui pourrait empirer, nous a contraints à décréter l’état d’urgence alimentaire.

J’appelle la communauté internationale à plus de solidarité face à cet afflux massif de réfugiés soudanais, auxquels s’ajoutent les déplacés centrafricains, camerounais, les déplacés de Boko Haram… Au total, le Tchad accueille pas moins de 2 millions de réfugiés.

Où en sont les enquêtes concernant la mort de plus de 200 manifestants, le 20 octobre 2022, et celle de l’opposant Yaya Dillo, décédé après des affrontements avec des forces de l’ordre en février dernier ?

Les événements que vous évoquez sont d’une extrême gravité et auraient pu faire basculer notre pays dans le désordre. Dans les deux cas, la justice tchadienne a ouvert des enquêtes, qui ont abouti à plusieurs jugements.

S’agissant du 20 octobre 2022, le président de la République a gracié les condamnés, et les poursuites contre des individus impliqués ont été annulées, au nom de la réconciliation nationale.

Pour les événements des 27 et 28 février dernier, les enquêtes ont abouti à la tenue d’une audience foraine, à l’issue de laquelle il y a eu des condamnations.

Et quid de l’enquête visant à identifier les responsabilités au sein des forces de défense et de sécurité ?

Des enquêtes sont ouvertes, toujours en cours. Je ne peux donc pas me hasarder à les commenter. Je peux simplement dire qu’elles prennent en compte tous les aspects de l’affaire.

Tchadanthropus-tribune avec Jeune Afrique

 

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