À la veille du référendum pour une nouvelle Constitution qui se tient aujourd’hui dimanche 17 décembre, le président du parti Les Transformateurs s’est rangé derrière l’appel du gouvernement de transition à voter favorablement. Un changement de stratégie radical pour celui qui était connu comme l’opposant le plus farouche au régime.

« La transition n’a que trop duré. Il nous faut partir de la Constitution qui est là », clame avec force dans son micro Succès Masra, devant une foule de Tchadiens. Ce 10 décembre à Koumra, le président du parti d’opposition Les Transformateurs a officiellement appelé ses partisans à voter oui au référendum pour l’adoption d’une nouvelle Constitution, qui se tiendra dimanche 17 décembre. Sa position n’a pas toujours été aussi tranchée.

Introuvable troisième voie

Depuis son retour au pays, après un an d’exil à la suite des manifestations meurtrières du 20 octobre 2022, le jeune leader, jusqu’ici opposant le plus farouche au régime de Mahamat Idriss Déby Itno, restait indécis. Autour de lui, la campagne faisait pourtant rage entre le gouvernement mené par le Premier ministre Saleh Kebzabo, qui milite pour un oui, et l’opposition. « Nous sommes la troisième voie », déclarait Masra fin novembre sur ses réseaux sociaux.

L’économiste présentait alors son parti comme « capable de réconcilier le oui et le non ». « Cette Constitution n’est pas la meilleure, mais elle représente un progrès », avait même déclaré Masra en novembre. Une position intermédiaire difficile à situer et qui aura surtout été jugée décevante par de nombreux Tchadiens, pour qui cette « troisième voie » n’existe tout simplement pas. Pour eux, préférer ne pas choisir était en réalité déjà un appel à voter oui.

Succès Masra rechignait pourtant à aller plus loin. Et pour cause : « S’il appelait directement à voter oui, on allait dire qu’il s’était rendu pieds et mains liés au pouvoir. S’il disait non, on allait l’accuser de raviver des tensions. C’était difficile de se positionner », analyse Evariste Ngarlem Tolde, enseignant-chercheur à l’université de N’Djamena. Rentré au Tchad le 3 novembre après avoir signé un accord de réconciliation avec le gouvernement de transition, Succès Masra devait en effet se livrer à un véritable jeu d’équilibriste.

Son objectif : renouer avec la population et s’imposer comme un personnage national, lui qu’on accuse de ne rassembler de partisans qu’au cœur de la capitale, N’Djamena. Depuis son retour, l’opposant s’est d’ailleurs lancé dans une grande campagne à travers le pays, à Doba, Kélo, Bongor ou Sahr, baptisée « caravane de la réconciliation ». Le patron des Transformateurs sillonne désormais le Tchad, soulevant les foules partout où il passe.

Girouette ou stratège ?

Face au succès de la caravane, l’opposant se serait décidé à prendre position après avoir écouté le souhait des populations d’aller au plus vite vers une élection présidentielle. Mais, en réalité, « l’accord de Kinshasa lui lie les mains, il doit soutenir la transition jusqu’au bout », reprend Evariste Ngarlem Tolde. Signé le 31 octobre, l’accord stipule en effet que Masra s’engage à « continuer le dialogue avec le gouvernement de transition », en vue d’un « retour à l’ordre constitutionnel » dans le calendrier décidé par la transition.

Déjà décrié pour avoir signé un accord au nom de l’opposition alors qu’il en était le seul représentant, Succès Masra est aussi accusé d’avoir accepté une loi d’amnistie, présente dans l’accord, qui blanchit tous les acteurs responsables du massacre du 20 octobre, y compris les militaires. Avec son appel à voter oui, il a, semble-t-il, aggravé son image auprès d’une partie des opposants au régime, lesquels fustigent son comportement de « girouette ».

Pourtant, Masra est loin d’être isolé. Ses partisans – dont beaucoup, en exil, ont pu revenir au Tchad grâce à l’accord de Kinshasa – font toujours front uni autour de lui et le soutiennent dans sa prise de position pour la Constitution. « Le président a pris une bonne décision pour arrêter une hémorragie qui ressemblera à un deuxième 20 octobre si jamais on arrive à une seconde prolongation de transition », indique un adhérent au parti des Transformateurs.

« Réalisme politique »

Pour celui-ci, une victoire du non – donc un nouveau projet de Constitution à présenter – ouvrirait ainsi la voie à une prolongation de la transition, laquelle permettrait à Mahamat Idriss Déby Itno de se maintenir un peu plus longtemps au pouvoir. Certains observateurs craignent même un enchaînement de référendums si le non venait à l’emporter. Fort du soutien de ses troupes, Masra parie donc sur le oui pour satisfaire ses propres ambitions.

Il n’a en effet pas abandonné – loin de là – sesambitionsde devenir chef de l’État et a donc choisi de favoriser la tenue d’une élection présidentielle à brève échéance. Pour cela, « il doit s’aligner sur le pouvoir en place, c’est du réalisme politique », explique Evariste Ngarlem Tolde. Cela n’en est pas moins « risqué », explique le chercheur. Si le oui venait à l’emporter et que le scrutin était bien organisé en 2024, comme prévu, rien ne garantit que celui-ci le sera dans des conditions libresettransparentes.

Jeune Afrique

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