Au Tchad, le «SHT gate», un scandale de détournement des revenus pétroliers, menace désormais non seulement ses auteurs, mais également le gouvernement. Le chef de la junte Mahamat Déby exigera-t-il la démission du Premier ministre Albert Pahimi Padacké?

Le chef du gouvernement tchadien Albert Pahimi Padacké sera-t-il touché par le scandale du « SHT gate » ? Cela fait plus d’un mois que cette affaire de détournement des revenus de la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT) monopolise les titres des médias tchadiens. Selon Confidentiel Afrique, qui a révélé en premier la disparition de plus de 180 millions de dollars des caisses de l’État du Tchad, Padacké n’était pourtant pas concerné outre mesure par les accusations de corruption.

Pourquoi donc l’Union des Syndicats du Tchad (UST) demande-t-elle la tête du Premier ministre ? Et pourquoi Mahamat Déby a-t-il déjà commencé une purge au sein du gouvernement ?

Samedi dernier, le président du Conseil militaire de transition (CMT) — la junte tchadienne — Mahamat Déby a assuré qu’il serait « intraitable face aux détournements de fonds avérés ». Il assure que « plus de 80 % des revenus dérobés à la SHT ont été récupérés ». Mahamat Déby menace toutefois « ceux qui ont confondu les caisses de l’État avec leurs vaches laitières ».

Le « SHT gate », un scandale instrumentalisé par Déby ?

Le détournement de fonds dans cette affaire aurait été découvert par la présidence tchadienne en juin dernier. Les enquêteurs ont mis en lumière un compte offshore où l’argent a été transféré. Le 23 juin, Mahamat Déby a limogé par décret son secrétaire particulier Idriss Youssouf Boy, le patron de la SHT Boayom Michel et son adjoint Tahir Souleymane. Mahamat Déby a ensuite fait arrêter, par les services de renseignement (ANR), le DG de la banque Orabank Tchad, Mamadou Bass.

Pour rappel, Orabank, anciennement Financial Bank, appartient à la holding Oragroup et est présente dans 12 pays d’Afrique Centrale et d’Afrique de l’Ouest. La COBAC — la Commission financière de la Communauté économique et monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) — ainsi qu’Oragroup ont envoyé deux délégations à N’Djamena.

Le Premier ministre Albert Pahimi Padacké n’a pas commenté le scandale. Son ministre des Finances Tahir Nguilin a, quant à lui, déclaré qu’il n’avait aucun lien avec le « SHT gate », « ni de près ni de loin », a martelé le ministre.

La société civile tchadienne, en l’occurrence le Centre d’études et de recherches sur la gouvernance (Cergied), a réclamé un audit exceptionnel indépendant de l’affaire. En effet, comme l’explique l’opposant Succès Masra, « les détournements de fonds sont monnaie courante au Tchad depuis des décennies ».

À la place de Youssouf Boy, Mahamat Déby a nommé Ismael Souleyman Lony comme nouveau secrétaire particulier (SP). Une position qui remplace le Secrétaire général de la présidence. Lony est connu comme l’ennemi juré de l’ancienne Première dame Hinda Déby Itno, qui constitue une aile opposée à Mahamat Déby dans le sérail du Palais rose.

De Hinda Déby et le « réseau Acyl » à Albert Pahimi Padacké, il n’y a qu’un pas

Pour rappel, Mahamat Déby a été contraint de nommer un gouvernement civil après son coup d’État en avril 2021. Dès le décès de son père Idriss Déby, la Première dame Hinda Déby Itno a fui le pays vers le Cameroun. C’est à Douala que Hinda Déby avait alors rencontré Joseph Beti Assomo, le ministre de Défense de Paul Biya, et Albert Pahimi Padacké, avant qu’ils aillent ensemble à N’Djamena pour les funérailles d’Idriss Déby.

Quatre jours plus tard, Padacké est reconduit comme Premier ministre au Tchad. Or, il est de notoriété publique que le chef du gouvernement n’était pas des favoris au poste. Éternel opposant, et l’un des rares politiciens du Tchad à ne jamais avoir fait appel aux milices ou commis des violences, sa nomination était très inattendue.

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Le 3 mai 2021, Hinda Déby Itno est de retour au Tchad, où elle est restée jusqu’à décembre, lorsque la junte a fait arrêter deux des frères de l’ex-Première dame, dont l’ancien aide de camp de Mahamat Déby Khoudar Mahamat Acyl. L’arrestation de ce dernier a semé les graines de discorde entre Mahamat Déby et Albert Pahimi Padacké. Un différend qui a empiré après l’écartement de l’ancien président Goukouni Weddeye du dialogue national du Qatar.

Ce dimanche, Mahamat Déby a fait remplacer unilatéralement deux membres du gouvernement Padacké. Le directeur de cabinet de ce dernier, Abdelkérim Déby, qu’il a fait remplacer par le ministre de l’Économie Mahamat Hamid Koua. Et à la place de Koua, Mahamat Déby a nommé son ancien conseiller Moussa Saleh Batraki.

Un petit remaniement qui en laisse présager d’autres à la tête du gouvernement. Le scandale « SHT gate » a clairement été l’occasion pour Mahamat Déby de placer ses alliers au gouvernement et de dénuder Albert Pahimi Padacké des siens. Mais également de faire tomber les derniers alliés de Hinda Déby. Mais alors que l’enquête sur « SHT gate » n’est pas encore close, Mahamat Déby fera-t-il également chuter Albert Padacké ? En tout cas, cela fait bien longtemps que le Premier ministre est passé au second plan dans la gouvernance du Tchad. Et pendant que la transition politique patine, Mahamat Déby est en passe de s’assurer un contrôle total sur l’appareil de l’État.

Tchadanthropus-tribune avec le Journal de l’Afrique

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