Le Tchad amorce en ce début d’année 2024 la dernière ligne droite vers les élections générales qui marqueront le terme du régime de transition mis en place après le décès, en 2021, du chef de l’État, Idriss Déby Itno. La séquence politique qui s’ouvrira à l’issue du processus politique en cours inaugurera, par la même occasion, le retour à l’ordre constitutionnel.
L’intérêt national d’abord
Le chemin à mi-parcours est à saluer, tant les obstacles de divers ordres furent nombreux, au point de paraître à certains égards insurmontables. La première difficulté tenait à cet accident tragique de l’histoire, qui a imposé à l’ensemble des Tchadiens une transition à laquelle nul n’était préparé. Sa gestion fut d’autant plus périlleuse que le pays sortait à peine d’une élection présidentielle ; et, au plan sécuritaire, le Tchad était l’objet d’attaques armées sur son flanc nord. Dans un contexte aussi troublé qu’incertain, les autorités de transition avaient la responsabilité de défendre l’intégrité territoriale et d’assurer la continuité de l’État.
Les laborieux pourparlers de paix avec les groupes politico-militaires à Doha, la tenue des assises du Dialogue national inclusif et souverain (DNIS), la formation d’un gouvernement de large ouverture et l’organisation du référendum constitutionnel sont à mettre à l’actif de cet acte premier de la transition, ainsi que le sens de l’intérêt national dont ont su faire preuve tous les Tchadiens, en dépit de leurs vues parfois divergentes.
Il importe, pour la prochaine et ultime étape de la transition, de tirer tous les enseignements des périls qui ont failli faire voler en éclats les acquis engrangés avant, pendant et après le DNIS, notamment les événements dramatiques du 20 octobre 2022. Le pays aurait pu basculer dans l’irréparable et, pis encore, ouvrir les portes à ses ennemis de l’extérieur, qui ne se seraient pas privés de faire main basse sur sa souveraineté.
Dynamique d’ouverture
Pour le nouvel acte de la transition, qui s’ouvre à l’aube de cette année 2024, il sera important d’anticiper les crises à venir pour les désamorcer, en laissant la porte ouverte au dialogue, aussi bien entre les acteurs politiques qu’entre les autorités de transition et les corps intermédiaires.
Dans cette perspective, pour réagir à l’actualité politique immédiate, le retour au Tchad du leader des Transformateurs, Succès Masra, et sa nomination aux fonctions de Premier ministre semblent s’inscrire dans cette dynamique d’ouverture et de rassemblement souhaitée par de nombreux Tchadiens, parce que porteuse de concorde et de stabilité. Toutefois, comme ce fut le cas pour le précédent gouvernement sous la houlette de Saleh Kebzabo, celui du Premier ministre Masra n’aura guère d’état de grâce. Deux chantiers urgents et colossaux appellent dès à présent la pleine mobilisation du nouveau gouvernement.
D’abord, l’organisation des prochaines élections, qui devront être crédibles, transparentes et inclusives. En effet, il y a lieu, d’ores et déjà, de tirer les enseignements de la dernière consultation référendaire. Les prochaines élections générales seront, à n’en pas douter, le baromètre non seulement de la représentativité des différentes forces politiques, mais aussi celui de l’adhésion des Tchadiens à leurs nouveaux élus, notamment au pouvoir central.
Ces consultations devront donc être inclusives, de manière à conférer une légitimité aux nouvelles autorités. Cette inclusion ne passe pas seulement par les solutions apportées aux nombreuses défaillances d’ordre logistique observées à l’occasion du référendum constitutionnel du 17 décembre 2023. Il faudra mobiliser toutes les ressources disponibles – humaines, matérielles, techniques, médiatiques – pour entreprendre des actions de mobilisation citoyenne en direction de l’ensemble des Tchadiens, en les sensibilisant aux enjeux des consultations électorales à venir et aux modalités de leur pleine participation.
Ensuite, la question sociale. Il est plus que jamais urgent d’apporter des réponses justes à la crise que traverse le monde de l’éducation au Tchad. L’éducation, faut-il le rappeler, est le pilier autour duquel gravitent tous les autres membres du corps social. Il sera difficile de garantir la cohésion nationale dans une société où les familles auront vu réduits à néant les sacrifices consentis pour assurer à leur progéniture une éducation de qualité. Il y a même lieu de redouter, en pareille éventualité, une crise de confiance qui entamerait durablement la crédibilité du nouveau gouvernement.
Gages de bonne gestion
D’ores et déjà, le nouveau Premier ministre semble avoir pris cette urgence à bras le corps. C’est ainsi qu’à l’issue de la réunion de sortie de crise qu’il a organisée avec les principaux syndicats enseignants, le vendredi 5 janvier 2024, ceux-ci ont décidé de la suspension de leur mouvement de grève « pour une durée d’un mois, à compter du lundi 8 janvier 2024, afin de laisser le temps à la nouvelle équipe gouvernementale d’étudier et d’apporter des solutions à leurs revendications, notamment concernant le versement de leurs primes, amputées en 2016 en raison des difficultés de trésorerie que rencontrait le pays à cette époque ».
Le montant des arriérés de paiement que réclament les enseignants est d’environ 500 milliards de francs CFA (763 millions d’euros). Pour donner des gages de bonne gestion et de réduction de la dépense publique, Succès Masra a, par ailleurs, pris la décision de renoncer à son salaire de Premier ministre, estimé à près de 2 millions de francs CFA (un peu plus de 3 000 euros). Il ne renonce toutefois pas à ses fonds de souveraineté, qui s’élèvent à 150 millions de francs CFA par mois. Il ne fait guère de doute qu’au-delà du symbole, il en faudra bien plus pour une réforme en profondeur de l’État et la mise en place de politiques redistributives et efficaces qui se traduiront par une réelle amélioration du quotidien des Tchadiens. Pour s’investir efficacement sur tous ces fronts, les autorités auront besoin de l’appui de leurs partenaires au développement, qui ont autant intérêt que les Tchadiens à voir cette transition réussir.
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