Le Tchad d’abord !

Face à la multiplication des affrontements intercommunautaires dans le sud du pays, Jean-Bernard Padaré, conseiller à la présidence du Tchad et porte-parole du Mouvement patriotique du salut, alerte sur la recrudescence des discours haineux et invite chaque citoyen à la plus grande vigilance.

Récemment, plusieurs contrées du sud du Tchad ont été le théâtre de violents affrontements, au cours desquels des dizaines de concitoyens ont perdu la vie. Certains ont subi des dommages corporels graves ; plusieurs biens ont été détruits. La cohésion entre les populations est mise à mal.

Ces heurts fratricides entre Tchadiens sont d’autant plus à déplorer qu’ils surviennent au moment où le président de transition Mahamat Idriss Deby Itno tente de renforcer la cohésion sociale, comme en témoigne sa récente tournée dans l’arrière-pays. Les premières informations relayées par les médias ont fait état d’affrontements entre éleveurs et agriculteurs sur fond de litige foncier autour de l’accès à certaines ressources naturelles, et des attaques d’hommes armés devant des pays voisins.

Notre pays, comme tant d’autres en Afrique, se caractérise par sa grande diversité, ce qui devrait, en principe, constituer une richesse.  Derrière notre mosaïque de peuples et de traditions, s’est aussi construite une division du travail fondée sur les singularités que la géographie et l’histoire offrent à toutes ces entités humaines qui constituent le socle de notre communauté nationale. Notre nation tire sa richesse et sa force de l’agrégation des apports respectifs de ses différents segments humains qui contribuent chacun, pour leur part, à notre bien-être collectif.

C’est sur la base de cette architecture de notre espace naturel, et des opportunités qu’il offre à ses habitants, que les activités agricoles et pastorales participent, depuis plusieurs années et pour une part significative, à notre produit intérieur brut.

Sous le sceau de l’harmonie

Au demeurant, comme dans toute communauté humaine, des dissensions et des difficultés de cohabitation pourraient advenir. Le Tchad, en cela, ne fait pas exception en Afrique. Toutefois, à l’occasion de la Conférence nationale souveraine de 1993, la problématique de la cohabitation harmonieuse entre nos communautés, notamment entre les éleveurs et les agriculteurs, a été inscrite au cœur des résolutions qui ont sanctionné ces assises. Résolutions réitérées lors du récent Dialogue national inclusif et souverain (DNIS) de 2022.

C’est dire que les différents gouvernements qui se sont succédé au Tchad depuis 1990 ont toujours mis un point d’honneur à réguler non seulement les rapports entre les différentes composantes de notre tissu national, mais aussi, singulièrement, la cohabitation entre éleveurs et agriculteurs. Celle-ci, bien plus que les médias n’en font l’écho, s’est déroulée la plupart du temps sous le sceau de l’harmonie ou de la cogestion apaisée des conflits. C’est fort de ce protocole de résolution de litiges que certains différends intercommunautaires, ou entre agriculteurs-éleveurs, ont été contenus.

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Il faut cependant déplorer que des conjonctures dramatiques comme celle que nous venons de connaître dans la zone méridionale du Tchad soient du pain béni pour certains apprentis sorciers de notre microcosme politique qui voudraient accéder au pouvoir par tous les moyens. Comment comprendre que, dans un contexte où les Tchadiens doivent faire corps et cause commune pour la préservation de l’unité nationale, ceux-là qui ne font pas mystère de leur ambition de diriger un jour le pays, et d’en être les garants de sa constitution, en sont devenus les pyromanes avant même leur prise de pouvoir ? Dans un contexte similaire et sous d’autres cieux, le consensus républicain – ou la décence éthique – eût voulu que tout homme politique responsable garde le silence, à défaut de jouer sa partition dans le sens de l’apaisement et du retour à la paix entre ses compatriotes.

Discours  belliqueux et séparatistes

Certains, à l’intérieur du pays, ont même cru devoir verser de l’huile sur le feu en donnant du crédit à ces propos irresponsables qui sont, en fait comme en droit, un appel à la guerre civile. De telles postures ne relèvent nullement du dérapage verbal. Elles empruntent à un terreau historique bien connu, et qui remonte aux premiers âges des États africains contemporains.

Dans l’Afrique postcoloniale, certains leaders politiques on jugé pertinent de déserter le terrain classique des confrontations programmatiques pour surfer sur la fibre tribale, ethnique, régionale ou religieuse, et se draper, dans le même temps, dans une stature prétendument nationale, frisant le populisme. Il est inconcevable de polariser la scène politique entre deux régions qui se feraient face pour la conquête ou la conservation du pouvoir. Pas plus qu’il n’existe un sud en guerre contre un nord, ou encore de chrétiens contre les musulmans.

Les faits le démentent plus que les discours. Inviter, par des discours  belliqueux et séparatistes, les populations à s’armer, dans un climat délétère comme celui que nous venons de vivre dans le sud du pays, pour se substituer de fait à l’autorité de l’État et aux lois de la République, ne peut que contribuer à exacerber les tensions et poser les jalons incandescents du repli identitaire et de possibles embrasements futurs.

Au Mouvement patriotique du salut (MPS), nous disons fermement non à ces appels à la guerre civile au Tchad ! Notre vivre ensemble, comme partout ailleurs dans le monde, est une construction permanente. Nous sommes régulièrement sur le terrain pour essayer  d’apaiser les tensions, comme nous l’avons fait il y a quelques semaines dans le département du Lac Iro (l’un des trois départements qui composent la région du Moyen-Chari dans le  sud du Tchad).

Cette pédagogie permanente de la paix, c’est le sens même de la main tendue et de l’appel au rassemblement du chef de l’État dans son discours de clôture du Dialogue national inclusif et souverain, le 8 octobre 2022 : « Je ne cesserai jamais de le répéter : le Tchad est notre patrimoine commun. Aujourd’hui ou demain, ici ou ailleurs, le dialogue sera permanent, et notre main reste tendue vers tous ceux qui veulent la saisir pour regagner la mère patrie et rejoindre la dynamique de la reconstruction. Ne vous éloignez pas de la patrie. Ne vous éloignez pas de nous. Ne vous éloignez pas de vous-même. Ne vous éloignez pas du Tchad. Parce que le Tchad peut nous contenir tous ! »

Par Jean Bernard Padaré

Jeune Afrique

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