Dans les jours (ou les semaines) à venir, devrait s’ouvrir au Qatar un pré-dialogue auquel nombre de mouvements politico-militaires tchadiens ont été conviés.
 

L’opposant Mahamat Ali Youssouf, président de l’UMDD, y participera. Entretien.

 
À 51 ans, Mahamat Ali Youssouf fait partie de cette nouvelle génération d’opposants qui se sont taillé une réputation en dehors de leur pays. Né à Moussoro, dans le département de Bar-el-Gazhal (centre du Tchad), ce Gorane, président de l’Union pour le mouvement de la démocratie et du développement (UMDD) a fait une partie de sa scolarité au Caire, lorsque son père combattait les troupes de Hissène Habré aux côtés de Goukouni Weddeye.

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Après quinze années de carrière au ministère des Télécommunications, à N’Djamena, ce spécialiste en génie logiciel a fait le choix de l’exil – au Canada d’abord, puis au Sénégal, où il vit aujourd’hui – après avoir été soupçonné d’activités d’espionnage. Il dénonçait régulièrement la corruption qui sévissait dans son service et aurait refusé de mettre sur écoute des opposants politiques.
 
Auteur de plusieurs essais, il rêve d’un « Tchad réconcilié ». Longiligne, les cheveux poivre et sel, « Abdou Diouf » – comme certains le surnomment – a fini par se faire un nom dans la sphère politique tchadienne grâce à ses soutiens à l’étranger – il revendique notamment ceux du Canadien Justin Trudeau et du Sénégalais Macky Sall. Mahamat Ali Youssouf fait partie des « politico-militaires  », ces ex-rebelles conviés à participer au pré-dialogue de Doha, prévu initialement pour le 27 février, mais qui pourrait être quelque peu repoussé pour des raisons notamment logistiques.

Jeune Afrique : Dans quel état d’esprit êtes-vous avant le pré-dialogue de Doha ?

Mahamat Ali Youssouf : Avec ma coalition de l’UMDD et mes alliés, nous espérons enfin déboucher sur un véritable consensus. Les opposants doivent s’unir pour parler d’une seule voix lors du dialogue national inclusif qui aura lieu en mai, en espérant que les autorités de la transition ne le repousseront pas encore pour rester au pouvoir plus longtemps.

Les dirigeants ne doivent plus gouverner au nom d’une seule ethnie, les Zaghawas.

Pour notre part, nous exigeons la tenue d’une élection présidentielle dans un délai de dix-huit mois, comme cela avait été annoncé. Si les autorités ne respectent pas cette date, c’est qu’elles ne sont pas prêtes à engager un dialogue sincère. La libération des opposants politiques et la restitution de leurs biens font également partie de nos revendications. Je suis malgré tout confiant, car le Qatar veut vraiment nous aider. Doha veut montrer au monde la puissance de sa diplomatie, et a les moyens financiers d’organiser une telle conférence.
 
Les autorités de la transition exigent que la rébellion ne soit plus un mode d’accession au pouvoir. Que dites-vous de cela ?
Nous sommes prêts à l’accepter, mais nous voulons un dialogue sincère. Une conférence nationale s’est déjà tenue en 1993. Des résolutions portant sur les droits de l’homme ou la démocratie ont été adoptées, mais elles n’ont jamais été totalement appliquées par Idriss Deby Itno, le père de l’actuel président. Les dirigeants actuels doivent prouver qu’ils veulent vraiment la justice, l’égalité entre tous les Tchadiens, et non plus gouverner au nom d’une seule ethnie, les Zaghawas.

Mahamat Idriss Deby Itno sait que les jalons qu’il pose aujourd’hui seront décisifs pour son avenir.

Pour ma part, je ne défendrai pas mon ethnie, mais tous les Tchadiens. Si le dialogue inclusif et le processus démocratique sont un succès, la rébellion disparaîtra automatiquement. Mahamat Idriss Deby Itno est un homme jeune, qui semble vouloir la réussite du dialogue. Il sait que tous les jalons qu’il pose aujourd’hui seront décisifs pour son avenir. Si l’on en croit ses discours, il n’exclut personne et accepte de discuter avec tous les Tchadiens. Nous craignons plutôt ses proches, ses collaborateurs, et notamment les militaires, qui ne veulent pas entendre parler d’une nouvelle conférence.

Avez-vous des contacts avec les autorités de la transition ?

Aucun rapport direct. Mais, par le passé, j’ai eu de bons rapports avec l’actuel ministre de la Justice, Mahamat Ahmat Alhabo, et avec celui de la Réconciliation nationale et du Dialogue, Acheikh Ibn-Oumar. Tout est donc possible.

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On parle de 26 mouvements politico-militaires conviés à Doha. Ne sont-ils pas trop nombreux pour faire passer un message clair et que l’on puisse déboucher sur un accord ?
 
Après trente ans de règne sans partage d’un seul homme et d’une seule ethnie, tous les Tchadiens sont devenus des opposants. Ce chiffre, c’est la manifestation de la pluralité face au régime Deby.

TIMAN ERDIMI EST UN GRAND FRÈRE. NOUS AVONS UNE RELATION DE RESPECT MUTUEL

Certains disent que vous êtes en concurrence avec le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), de Mahamat Mahdi Ali, qui a refusé de s’allier à vous…
 
Mahamat Mahdi Ali a commencé sa carrière de rebelle au Soudan, en 2008. Il n’a jamais voulu de grande coalition. En revanche, il a toujours voulu avoir le leadership sur les mouvements tchadiens en exil. Résultat, le FACT est le seul à ne pas figurer dans la grande coalition Nord-Centre-Sud que nous sommes en passe de fédérer avec le soutien et les conseils du président Macky Sall, qui m’a donné la promesse de nous réunir prochainement à Dakar. La coalition UMDD rassemble seize mouvements politico-militaires.

Quelles sont vos relations avec l’Union des forces de la résistance (UFR), de Timan Erdimi, tenu à l’écart du dialogue en raison de sa radicalité ?

Nous avons un respect mutuel. C’est un grand frère. Malheureusement, Tom, son frère, est toujours injustement incarcéré en Égypte.
 
Tom Erdimi a été mon professeur de mathématiques. Il a formé de nombreux étudiants et tout le monde l’appréciait. Nous exigeons sa libération ainsi que celle de l’ex-vice-président de l’UFR, Adouma Hassaballah, et de tous les prisonniers politiques. Nous demandons une amnistie générale comme préalable à un dialogue inclusif. Les autorités de la transition doivent faire de vrais gestes d’apaisement.

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On vous dit proche du maréchal libyen Khalifa Haftar. Est-ce à dire que vous êtes proche des Russes ?
 
Les Russes sont partout en Libye. Je ne suis pas particulièrement proche d’eux. J’ai des relations et des amis partout, parmi les Français, les Italiens, les Israéliens, les Américains, les Iraniens. Et j’ai aussi de très bonnes relations avec les pays du Golfe.
Khalifa Haftar a vécu au Tchad. Il a été sauvé par Habré et par les Américains. Il ne l’a pas oublié. Quand je suis allé pour la première fois le voir à Benghazi, il m’a dit : « C’est grâce aux Tchadiens si je ne suis pas mort ; Kadhafi et Deby voulaient me tuer. »

EMMANUEL MACRON A UN PEU MODIFIÉ SA POSITION VIS-À-VIS DU RÉGIME TCHADIEN

Et quels rapports entretenez-vous avec les milices islamistes de Misurata, en Libye ?
 
Aucun. Je ne suis pas d’accord avec l’idéologie islamiste. Je suis musulman, mais être musulman, ce n’est pas tuer au nom de Dieu. Je n’ai jamais eu de relations avec ces milices ; Mahamat Mahdi Ali, lui, en a eu.

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Que pensez vous de l’attitude de la France vis-à-vis du Tchad ?
 
Depuis les funérailles d’Idriss Déby Itno [en avril 2021], le président Emmanuel Macron a un peu modifié sa position. Au début, il voulait s’assurer du soutien de N’Djamena dans la lutte contre le terrorisme. Maintenant, il voit ce qu’il se passe en Afrique, notamment les attentes de la jeunesse, qui aspire à un vrai changement démocratique.
 
Malheureusement, la France a condamné les coups d’État au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, mais soutient encore un régime tchadien pas tout à fait légitime. Pourtant, la Constitution tchadienne était claire : c’était au président de l’Assemblée nationale de diriger la transition.

Une nouvelle génération fait bouger les choses. J’espère en faire partie.

Quelles sont vos relations avec l’opposition de l’intérieur ?
Elles sont bonnes. Saleh Kebzabo n’a pas réussi son pari de réaliser l’alternance. Il a néanmoins fait ce qu’il pouvait face à un régime qui ne lui laissait pas beaucoup de marge de manœuvre. D’autres, comme Succès Masra, évoluent bien et ont de l’avenir. D’ailleurs, toute une nouvelle génération est en train de faire bouger les choses : des personnalités soutenues par les jeunes, ouvertes sur le monde, « connectées », et déterminées à aller jusqu’au bout. J’espère en faire partie.

Êtes-vous optimiste quant à la tenue du dialogue inclusif ?

Oui. Nous sommes disposés à œuvrer pour l’unité et la paix au Tchad. Nos intentions sont sincères. Justice, liberté, égalité : ce sont des principes sur lesquels je serai très ferme si un jour j’accède à la magistrature suprême.
 

Jeune Afrique

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