Sitôt nommé et déjà confronté à une crise majeure après que des manifestations ont été réprimées dans le sang… Issu des rangs de l’opposition, le Premier ministre parviendra-t-il à faire oublier les convulsions qui agitent le pays depuis le décès d’Idriss Déby Itno ?

De tous les Premiers ministres que le Tchad aura connus depuis son accession à l’indépendance, en 1960, le chef du gouvernement d’union nationale du 12 octobre 2022, Saleh Kebzabo, est assurément celui qui se trouve confronté aux défis politiques les plus difficiles à relever. Il lui revient une charge herculéenne, que les observateurs les plus sceptiques considèrent a priori comme impossible à porter.

Pas d’état de grâce

Le nouveau Premier ministre n’aura connu aucun état de grâce, y compris durant la période probatoire des cent premiers jours. L’Histoire retiendra que son tout premier Conseil des ministres s’est tenu au Palais rose, alors que, le 20 octobre, N’Djamena et d’autres villes étaient le théâtre de manifestations durement réprimées. Cette crise aussi inattendue que dramatique vient s’ajouter aux convulsions antérieures. Saleh Kebzabo devra réussir un tour de force : tracer sa feuille de route dans un climat socio-politique fortement dégradé.

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Ce vétéran en politique peut toutefois se targuer d’avoir l’étoffe de la fonction. Grâce à sa connaissance fine et approfondie de l’appareil d’État, ainsi qu’à sa pratique de l’establishment, il semble le mieux placé pour tenir le gouvernail du bateau Tchad, en ces moments cruciaux où ce dernier n’est pas sorti des eaux troubles dans lesquelles il s’est soudainement retrouvé après le décès tragique du maréchal Idriss Déby Itno.

Difficile alchimie

Une autre lueur d’espoir réside dans la composition du gouvernement, né d’une alchimie compliquée. Tout d’abord, le choix d’un Premier ministre issu d’un bord politique opposé à celui du chef de l’État est, en soi, un gage d’ouverture. En dépit de la nomination à des postes régaliens de certaines figures éminentes du Mouvement patriotique du salut (MPS, l’ancien parti présidentiel), des membres tout aussi éminents de groupes politico-armés ont fait leur entrée au gouvernement.

Il s’agit notamment de Tom Erdimi, de l’Union des forces de la résistance (UFR, l’un des trois principaux groupes rebelles), qui accède au rang de ministre d’État chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ; et de Mahamat Assileck Halata, vice-président de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), signataire de l’accord de Doha, nommé ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Urbanisme.

Panser les plaies

Compte tenu des attentes que sa nomination a suscitées, Saleh Kebzabo doit, avec son équipe, relever trois défis aussi majeurs qu’urgents, sur un triple plan : temporel, politique et sociétal.

Sur le plan temporel, son gouvernement doit panser des plaies, dont certaines remontent aux premières heures du Tchad contemporain. Au regard de la complexité de l’histoire et, surtout, de la sociologie politique du pays de Toumaï, c’est loin d’être une sinécure.

Au cours de cette même séquence, il revient à son équipe d’organiser, pour la première fois, des élections générales libres et transparentes, dont le verdict s’imposera à tous. Cette mission est d’autant plus cruciale que les contraintes sont à la fois d’ordre temporel et politique. L’organisation d’élections consensuelles est la condition sine qua non de l’instauration d’une paix durable au Tchad.

Or l’histoire politique de l’Afrique contemporaine nous apprend que les gouvernements d’union nationale issus d’accords de paix et formés après des périodes de belligérance se sont toujours effondrés lorsque l’une des parties aux accords a remis en cause le processus électoral qui les a suivis. Le précédent angolais, entre l’Unita de Jonas Savimbi et le MPLA de José Eduardo dos Santos, en est une illustration parmi tant d’autres.

Sur le plan politique, Saleh Kebzabo doit inscrire son action dans le cadre de la feuille de route que le chef de l’État de la Transition a tracée à l’issue des assises de N’Djamena. Celle-ci laisse la porte du dialogue ouverte aux formations politiques et aux acteurs de la société civile qui ont opté pour la politique de la chaise vide.

Le nouveau Premier ministre doit aussi consolider la nouvelle architecture sociopolitique construite à l’issue des négociations de Doha et du Dialogue national inclusif et souverain (DNIS).

Cohésion sociale

Enfin, sur le plan sociétal, il revient à son gouvernement de renforcer la cohésion sociale, de créer les conditions d’une véritable concorde. En effet, le chantier auquel doit s’atteler la nouvelle équipe gouvernementale est celui de l’édification de la paix dans le cœur des Tchadiens. Dans des périodes post-conflit, une paix durable n’est envisageable que si le peuple, dans la diversité de ses origines et de ses affiliations politiques, s’approprie les résolutions ou les recommandations prises à l’issue de forums de paix, tels que celui du DNIS.

Cette tâche éminente ne dépendra pas, bien évidemment, du seul gouvernement d’union nationale. Toutes les formations politiques, les acteurs de la société civile signataires de la charte de la Transition, les intellectuels et les faiseurs d’opinion devront y prendre part.

La nouvelle équipe étant chargée de conduire la politique du DNIS, lui revient la responsabilité historique de créer les conditions indispensables à une appropriation de la nouvelle architecture de l’État et de la Nation, issue de ces assises de la refondation.

Il s’agit, à n’en pas douter, de l’un des travaux d’Hercule les plus importants qui incombe aujourd’hui au nouveau Premier ministre et à son équipe.

Jeune Afrique

Par Eric Topona Mocnga

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