Malgré la présence de trois alliés de l’opposant tchadien au gouvernement, ce dernier reste contrôlé par les proches de Mahamat Idriss Déby Itno. En poste depuis le 1er janvier, Masra veut désormais s’imposer comme le premier concurrent du chef de l’État à la prochaine présidentielle.

Saleh Kebzabo y aura cru jusqu’au bout. Au crépuscule de 2023, le Premier ministre imaginait encore qu’il allait être reconduit à son poste par le président de la transition, Mahamat Idriss Déby Itno. Auprès de ses proches, il mettait en avant le fait qu’il avait mené le camp du oui à la victoire lors du référendum constitutionnel du 17 décembre et qu’il en serait récompensé.

Des soutiens étrangers

Après quelques jours de séjour médical en France, Saleh Kebzabo avait même pris soin de faire passer le message au chef de l’État : il était apte physiquement à poursuivre ses activités et à mener le pays à l’élection présidentielle, prévue avant la fin de 2024 et qui doit clore la période de transition débutée en 2021 après la mort de l’ancien président, Idriss Déby Itno.

Cela n’aura pas suffi. Le 1er janvier, c’est bien Succès Masra qui a été choisi comme nouveau Premier ministre par Mahamat Idriss Déby Itno. Selon nos sources, le jeune économiste, patron des Transformateurs, a notamment pu compter sur le soutien des diplomaties françaises et américaines, dont il est toujours resté proche, mais aussi de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) et de la RD Congo.

La RDC, où Félix Tshisekedi est en passe d’être officiellement réélu pour un deuxième mandat, et la CEEAC sont en effet les parrains des accords de Kinshasa. Signés entre l’opposant et le gouvernement tchadien le 31 octobre 2023, ceux-ci ont permis le retour de Succès Masra à N’Djamena en novembre, à la suite d’une année d’exil débutée après les manifestations meurtrières d’octobre 2022. Selon un proche de la présidence de transition, Mahamat Idriss Déby Itno a considéré cette nomination comme la suite logique de ces accords et qu’elle lui permettrait de mettre derrière lui l’épisode tragique du « jeudi noir ». Le président de la transition y voit également l’opportunité d’affaiblir une société civile frondeuse, laquelle a longtemps milité au côté du nouveau Premier ministre.

Trois proches au gouvernement

Reste désormais à Succès Masra à s’imposer. Annoncé le 2 janvier, le gouvernement n’a subi que peu de changements. Mahamat Saleh Annadif (Affaires étrangères), Dago Yacouba (Armées), Limane Mahamat (Administration du territoire), Mahamat Charfadine Margui (Sécurité publique), Tom Erdimi (Enseignement supérieur), Tahir Hamid Nguilin (Finances)Ndolenodji Alixe Naïmbaye (Hydrocarbures) ou Abdoulaye Mbodou Mbami (Fonction publique) restent en poste.

Le Premier ministre n’a ainsi réussi à imposer que trois de ses proches : Béni Sitack Yombatina, cofondateur des Transformateurs et désormais secrétaire d’État auprès du ministre de la Justice, Mahamat Assiouti Abakar à la tête du ministère de l’Économie et Ndolembai Sadé Njesada à l’Éducation nationale. Si Mahamat Idriss Déby Itno a souhaité satisfaire certains partenaires internationaux en nommant Succès Masra, il n’était pas question de perdre la main.

Si dès le lendemain de sa nomination, le nouveau chef du gouvernement a annoncé que sa priorité serait l’éducation, c’est bien les dossiers économiques – sa spécialité – qui pourraient cristalliser les tensions avec le chef de l’État. Car Masra a beau être parvenu à faire nommer Mahamat Assiouti Abakar à l’Économie, Tahir Hamid Nguilin, le ministre des Finances, reste l’un des piliers de l’entourage de Mahamat Idriss Déby Itno.

L’enjeu est de taille pour celui qui espère disposer d’une marge de manœuvre plus importante que son prédécesseur, Saleh Kebzabo, lequel a été régulièrement écarté des processus de décision par le chef de l’État. Le jeune Premier ministre entend en effet capitaliser sur son passage à la primature dans l’optique de la prochaine élection présidentielle. Si certains de ses adversaires ne se gênent pas pour lui rappeler qu’il a lui-même milité en 2022 pour empêcher les dirigeants de la transition de se présenter au scrutin, Succès Masra n’a guère renoncé à ses ambitions pour la magistrature suprême, à moins d’un improbable changement de calendrier et de stratégie qui le pousserait à soutenir Mahamat Idriss Déby Itno.

À l’heure actuelle, aucun texte de loi tchadien ne l’oblige en effet à démissionner de son poste de Premier ministre (dont le gouvernement est chargé d’organiser le scrutin) pour se porter candidat à la présidentielle, qui pourrait, selon nos sources, être organisée entre mai et octobre 2024.

Fonds spéciaux

Selon nos sources, le Premier ministre a en effet accès à des fonds spéciaux, dont le montant mensuel est compris entre 150 et 200 millions de F CFA (entre 230 000 et 306 000 euros). Une manne qui sera essentielle aux Transformateurs s’ils veulent pouvoir battre campagne sur l’ensemble du territoire. Sur ce plan, Succès Masra entendait surtout s’imposer dans la composition du gouvernement face à de potentiels rivaux lors de la prochaine présidentielle. Ainsi, Laokein Médard, l’ancien maire de Moundou, par ailleurs originaire de la même région que le jeune économiste, a été remercié et n’est plus ministre de la Transformation agricole.

Albert Pahimi Padacké, qui fut également chef du gouvernement, n’a quant à lui plus de proches au sein du gouvernement et a aussi été démis de ses fonctions de président du conseil d’administration de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep Tchad). Alors qu’il espère être candidat à la prochaine présidentielle, le président du Rassemblement national pour la démocratie au Tchad – le Réveil paie son appel au boycott lors du dernier référendum constitutionnel.

Saleh Kebzabo, autre poids lourd du Sud, conserve tout de même un ministre dans le gouvernement, Passalet Kanabé Marssela (Eau). Selon nos informations, il pourrait toutefois lui-même être nommé à un poste stratégique de la République, celui de président du Sénat, créé par la nouvelle Constitution adoptée récemment par référendum. L’ex-Premier ministre sera-t-il pour autant candidat à la magistrature suprême dans quelques mois ? Son parti, l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR), prépare actuellement un conseil national statutaire, qui doit se tenir à la fin de janvier ou au début de février. Il y sera question des échéances électorales et du congrès de la formation, prévu en avril, lors duquel Saleh Kebzabo devra décider s’il passe ou non la main.

Jeune Afrique

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