Ce matin, en me réveillant, je reçois un message d’un ami de longue date. Drôle de message, à la fois ironique et mordant. En effet il me demanda « si le Tchad est mal géré ou mal gouverné ?». Simple en apparence mais la réponse m’a pris un certain temps. J’ai donc décidé de lui répondre publiquement, et il se reconnaitra à travers ce long texte.

Je commence par une anecdote historique lue dans un ouvrage sur l’histoire de la Turquie pour illustrer mon point de vue sur la question. Mehmet II dit le Conquérant, empereur Ottoman, l’un des hommes les plus puissants de son époque, avait l’habitude de se rendre une fois par mois, entouré des plus brillants de ses généraux et conseillers dans les faubourgs pauvres d’une ville Turque choisi au hasard pour y observer de visu les conditions de vie de ses sujets et la qualité des services publics. Un pluvieux matin de 1478, c’est donc à Sultangazi, un quartier situé sur la rive asiatique d’Istanbul que l’empereur se rendit, sans protocole comme à son habitude. Il inspecta toutes les administrations, visita les hôpitaux, les casernes, les prisons, les écoles, les orphelinats et s’enquit des prix des produits de base, pour enfin s’arrêter devant un attroupement agité au palais de justice. Il demanda à l’un des fonctionnaires qui l’accompagnait ce que se passe. Ce dernier l’informa que c’est le procès d’un criminel jugé pour l’assassinat d’un commerçant, un père de famille exemplaire et que l’assassin sera châtié. L’empereur hocha la tête, l’air désappointé, triste et de s’adresser à l’un de ses conseillers : « Nous avons échoué, nous avons échoué à protéger un citoyen mais aussi à éduquer un autre. Le rôle premier de l’empire ne se résume pas à résoudre des problèmes mais plutôt à les prévenir ». Cette citation est aujourd’hui encore la devise des hauts fonctionnaires Turcs. C’est animé de cette haute idée de l’État que les cadres de l’AKP au pouvoir ont hissé la Turquie au rang des puissances industrielles et politiques du monde en seulement deux décennies.

Il est ici question de gouvernance, d’une haute idée de l’Etat. Au Tchad, nous sommes loin de cette conception de la chose publique. La gouvernance, concept à la fois complexe et controversé, est définie généralement comme étant l’interaction entre l’Etat et la société, des démarches de coordination d’acteurs différents pour rendre l’action publique plus efficace. Cela renvoie souvent aux « élites » et aux cercles du pouvoir et de décision. On parle alors de gouvernance économique et politique. Pour autant le Tchad est-il mal gouverné ?

Pour répondre à la question, évoquons le général Charles De Gaule, considéré comme l’un des plus grands hommes d’Etat du 20 siècle. Il cite trois conditions sine qua non que doivent remplir toutes les élites qui aspirent à bien gouverner leur pays, il s’agit :

1- Des compétences techniques
2- De la légitimité Populaire
3- Des références claires à des valeurs morales

Primo, il n’y aucun doute que dans les cercles du régime il y a des gens compétents, mais dans l’ensemble le compte n’y est pas. Soit ils sont très peu à la limite de la rareté, soit ils ne sont qu’à des niveaux subalternes dans les cercles du pouvoir, sans marge de manoeuvre.

Secundo, l’illégitimité du pouvoir n’est plus sujet de débat après le hold-up électoral et le rejet unanime du fait de l’échec de deux décennies de règne. L’absence de légitimité limite la capacité à se projeter dans le temps.

Enfin, sur la question de la morale, il ne suffit que de regarder le comportement d’une grande partie des « élites » dirigeantes pour se rendre à l’évidence qu’il n’y a aucune référence idéologique encore moins religieuse chez ceux et celles qui nous gouvernent. Des ministres qui claquent des billets de banques dans des soirées dansantes ; des hauts fonctionnaires et généraux alcooliques qui s’adonnent à la dépravation des mœurs au vu et au su de tout le monde dans les hôtels de la capitale avec des gamines ; des commandants de région militaire qui narguent les pauvres et s’accaparent de leurs biens. Comme le dit un ami « les valeurs ont quitté ce pays ». Dans cet état, Charles Montesquieu disait <<Le plus grand mal que fait un homme politique n’est pas seulement de ruiner son peuple, il y a un autre mille fois plus dangereux: c’est le mauvais exemple qu’il donne ». La bonne gouvernance c’est aussi donner le bon exemple à la jeunesse.

Dire que le Tchad est mal gouverné est un euphémisme qui ne sied pas à la circonstance. Le Tchad n’est pas gouverné du tout. Il n’y a aucune projection stratégique et de politique publique cohérente, on est dans une navigation à vue.

La gestion, quant à elle, cher ami, fait référence à l’ensemble des techniques et compétences visant à optimiser l’organisation, la planification, la direction et le contrôle des structures et des activités d’une entité (administration ou entreprise). Elle revêt quatre aspects principaux :
1- La mise en place d’une politique prévisionnelle
2- L’application de ces politiques par services
3- L’établissement d’objectifs de travail, d’efficacité et de rentabilité
4- Des outils performants de suivi-évaluation dans le temps et l’espace

Au vu de tout cela, on peut dire sans l’ombre d’un doute que le Tchad est très mal géré. Ce sont l’informel et l’anarchie qui règnent. Mais la gestion est souvent à un niveau subalterne. Comme le poisson pourrit par la tête, c’est de la tête que les problèmes de mauvaise gestion commencent dans un pays, une mauvaise gouvernance conduit inéluctablement à la mauvaise gestion. Les fonctionnaires et gestionnaires ne font qu’appliquer ou non les grandes orientations et décisions de leurs supérieurs hiérarchiques.

Pour conclure je dirais à mon ami que le Tchad n’est pas du tout gouverné et est très mal géré.

Correspondance Particulière

Tchadactuel

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  • Merci pour la missive.

    Commentaire par Idad Bola le 4 juin 2020 à 23 h 40 min
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