Les regards sont rivés sur Doha depuis l’ouverture des travaux du pré-dialogue entre le gouvernement et les mouvements politico-militaires qui ont débuté le 13 mars 2022. Ce fameux pré-dialogue peine à finir. Les Tchadiens, las d’attendre, finissent par s’interroger sur son aboutissement. Tchadinfos a fait le tour de la question avec l’historien analyste spécialiste de la paix et de la sécurité dans le bassin du Lac Tchad, Dr Sali Bakari.

Le pré-dialogue en cours en ce moment à Doha a commencé depuis le 13 mars 2022 et prévu au départ pour un mois. Qu’est-ce qui selon vous retarde son aboutissement ?

Franchement il y a beaucoup de facteurs explicatifs du retard et du fait que les choses n’ont pas marché comme prévu. L’un des premiers facteurs, c’est le nombre pléthorique des mouvements politico-militaires. On s’est retrouvé avec plusieurs mouvements dont le nombre est estimé au-delà de la cinquantaine. Des politico-militaires qui ont des forces sur le terrain qui se retrouvent avec des gens qui en réalité n’ont pas des armes et sans soldat sur le terrain. Ça pose déjà un problème.

Il ne faut pas aussi perdre de vue qu’au départ l’équipe qui était chargée de négocier avec les politico-militaires à Doha était évincée. Goukouni est parti. Et je crois que c’est lui avec son équipe qui avaient tout préparé et à la veille on nous dit que Goukouni a démissionné.

A cela s’ajoute le fait que nous avons un ministre chargé de la Réconciliation nationale. Lui aussi il n’est pas allé à Doha. Qu’est-ce qui se passe ? On a comme l’impression que les organes qui en sont chargés ne sont pas au-devant de la scène. On nous parle du ministre des Affaires étrangères, des conseillers, de ceci et cela. Ça pose énormément des problèmes.

Les conditions fixées par les politico-militaires comme la révision de la charte de la transition, la non-représentation des membres de la transition aux élections post-transition… ne sont-elles pas les facteurs qui retardent les accords de Doha sachant que certains sujets sont prévus pour le grand dialogue.

Justement ! on est surpris en ce sens qu’au départ si vous souvenez bien, Doha, c’est n’était pas le dialogue national. Doha, c’était juste pour discuter avec les politico-militaires sur les conditions de leur participation au Dialogue national incisif qui va se tenir à N’Djamena. Mais ce qu’on constate aujourd’hui à Doha est que les gens sont dans les vifs du débat. Quand on parle de l’inéligibilité des membres de la transition, la représentativité des membres des politico-militaires dans les instances qui seront créées après le dialogue. Eh bien le peuple à l’impression que c’est le dialogue même qui se tient à Doha.

Tout ça ce n’est pas sérieux. Le Tchad est en train de devenir la risée de la communauté internationale. On n’a pas besoin de s’exposer jusqu’à ce point. On devrait seulement s’arrêter sur les garanties de participation notamment sécuritaires des leaders des politico-militaires et leurs membres durant le dialogue national inclusif. Tous devaient rentrer ici à N’Djamena pour discuter de nos problèmes. Le Tchad n’est pas l’Afghanistan et surtout que c’est n’est pas pour la première fois qu’on ait ces genres d’expériences [les accords de Kano 1 et 2, Lagos, Khartoum, Libreville…]. Le Tchad ne mérite pas ça et les Tchadiens valent mieux que ça je pense.

Quels seront les sujets qui doivent être normalement discutés pendant le pré-dialogue ?

Ce qui devait être normalement discuté lors du pré-dialogue, c’était de jeter les bases ou les outils de la participation des mouvements de l’opposition armée et de tous ceux qui portent cette étiquette ou bien des activistes qui sont dans la diaspora. En fait, ils les mettent dans une situation de confiance afin que ceux-ci rentrent au Tchad et qu’on discute. Et ici à N’Djamena qu’il fallait voir ce qu’il faut faire.

Mais aujourd’hui ce qui se passe à Doha est que tout le monde parle au nom du peuple, mais en réalité le peuple n’est pris que comme un simple prétexte. Le Tchad est devenu un gâteau que tout le monde veut se partager. Vous avez d’un côté le Conseil Militaire de Transition qui est en train de voir comment terminer la transition et voir comment est-ce qu’il faut prolonger ou pas et de l’autre côté les mouvements de l’opposition armée qui sont intéressés non pas par un projet politique ni de société, mais comment être reversé dans l’armée nationale tchadienne, comment avoir le grade de général, colonel… et dans cette situation là, où est le peuple ? Ce qui intéresse le peuple, ce sont les projets de société, l’éducation, la santé, les infrastructures routières. On ne sent pas ça à Doha. Ça veut dire jusqu’à là, nous sommes dans un impératif de sécurité, c’est-à-dire une discussion entre le CMT avec ses alliés et les mouvements de l’opposition armée. Tout tourne autour du pacte sécuritaire. C’est comme les Tchadiens ne peuvent pas aller au-delà, or il nous faut un projet de société et c’est de ça qu’il faut discuter au Qatar.

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Les multiples prolongations de ces pourparlers n’ont-elles pas vidé ce grand rendez-vous de sa substance ?  

Je ne dirai pas ça. Mais c’est juste des tergiversations qu’il faut mettre à l’actif des difficultés qu’il y a dans la gestion de ces genres de rencontre. Ce sont des gens qui ne se sont pas rencontrés il y a de cela longtemps, des gens qui ont derrière eux des puissances. Mais il faut savoir que les puissances qui sont derrière les différentes parties prenantes ont aussi leurs agendas et même le pays dans lequel le dialogue se tient a aussi son agenda. Il y a aussi l’État tchadien qui a son propre agenda. Le nombre très important des politico-militaires. Tout ceci fait que c’est vraiment difficile.

Au regard des tractations observées entre gouvernement et politico-militaires sur les projets d’accord, le rendez-vous de Doha ne finira-t-il pas en queue de poisson ?

Ça ne peut pas finir en queue de poisson ne serait-ce que pour les raisons d’image du Qatar. Ce pays ne peut se le permettre. Le Qatar a une tradition ancrée dans la résolution et la prévention des crises. Le Qatar a pu rapprocher les Talibans et les Américains ; la crise du Darfour… peut être ça prendra du temps, mais toujours est-il que ça va se terminer.

Interview réalisée par Al-mardi Charfadine

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