L’ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, qui ne peut s’y rendre pour des raisons judiciaires, conseille en toute discrétion le colonel Damiba et une poignée de chefs d’État. Fort de son entregent, Djibril Bassolé a repris une activité diplomatique, entre le Qatar, la Côte d’Ivoire et Paris.

L’homme de 64 ans n’est pas vraiment en exil. Mais Djibril Yipènè Bassolé ne peut pas retourner dans son pays, le Burkina Faso, dont il fut ministre de la Sécurité (2000-2007), puis chef de la diplomatie sous le règne de Blaise Compaoré. Là-bas, il reste sous le coup d’une condamnation pour « atteinte à la sécurité de l’État »« trahison » et « intelligence avec une puissance étrangère ». Passé par la prison, ce gendarme de formation n’est pas non plus à la retraite. Depuis son évacuation sanitaire du Burkina Faso, en janvier 2020, il réside avec son épouse à Paris, d’où il orchestre une activité diplomatique parallèle aussi intense que discrète.

Toutes sortes de visiteurs ont franchi la porte de son appartement sans faste du 16e arrondissement, où il donnait rendez-vous en ce mois de mars 2021.

À l’époque, la capitale française vit en semi-confinement et l’hôte se remet d’une opération chirurgicale. Il sort peu et reçoit dans un salon dépouillé, meublé d’un écran plasma et de deux canapés en cuir propices aux confidences. Un an plus tard, les masques anti-Covid-19 sont tombés et « Djibril » se porte mieux. Finie la diplomatie d’appartement et de WhatsApp. Muni de son passeport burkinabè ordinaire – son passeport diplomatique lui a été retiré -, il se remet en toute discrétion à sillonner l’Afrique de l’Ouest, d’Abidjan à Lomé en passant par Abuja.

Un intermédiaire de luxe

Il survole Ouagadougou mais ne s’y pose pas. La situation dans le pays, elle, a changé depuis son départ : Roch Marc Christian Kaboré n’est plus président et le colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba l’a remplacé au palais présidentiel de Kosyam. Pour Bassolé, le nouveau maître du pays est un visage familier. Le colonel quadragénaire a fait ses armes au sein de l’ancien Régime de sécurité présidentielle (RSP), toute-puissante garde prétorienne sous Blaise Compaoré dirigée par le général Gilbert Diendéré, aujourd’hui en prison.

Depuis le coup d’État de janvier 2022, Damiba et Bassolé ont échangé à plusieurs reprises au téléphone. Le président consulte cet officier de gendarmerie devenu général, ministre et diplomate au Burkina Faso puis pour le compte des Nations unies. Bassolé partage ses vues et distille ses conseils au nouvel homme fort de Ouagadougou dans le cadre de ses discussions avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Une organisation qu’il connaît particulièrement bien de l’époque où il était le chef de la diplomatie de son pays.

Dans la sous-région, cette secrète relation intrigue autant qu’elle intéresse. A commencer par la Côte d’Ivoire voisine. A la mi-avril, à Paris, Bassolé a déjeuné en toute discrétion avec le ministre ivoirien de la défense et frère cadet du chef de l’État, Téné Birahima Ouattara, dit « Photocopie » : un repas pour passer en revue la situation régionale et cadrer la mission. Dans l’ombre, ces dernières semaines, Bassolé a ainsi joué le go-between entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. L’homme reste un intermédiaire de luxe et de confiance à l’entregent éprouvé et toujours d’actualité, malgré les récents bouleversements politiques. Depuis le début de l’année, il s’est rendu à Abidjan, où il est resté très connecté, à deux reprises : la première fois au milieu du mois de mars et la seconde en mai.

Une délicate entreprise de rapprochement

Au moment où la menace djihadiste se fait de plus en plus pressante le long de la frontière ivoiro-burkinabè, Bassolé s’est engagé dans une délicate initiative : renforcer la coopération militaire entre les deux pays, jusque-là défaillante. Ces dernières années, Abidjan s’est régulièrement agacé des faibles résultats de Kaboré en matière de lutte anti-djihadiste. Des failles et des échecs qui facilitent, selon l’administration Ouattara, la pénétration et l’établissement de cellules au nord de la Côte d’Ivoire.

Bassolé tente ainsi de relancer le Traité d’amitié et de coopération (TAC) signé en juillet 2008 par les anciens présidents ivoirien et burkinabè, Laurent Gbagbo et Blaise Compaoré. Pour esquisser les plans d’un rapprochement sécuritaire « en bonne et due forme » entre les deux pays, il planche sur l’organisation d’un sommet conjoint à Korhogo. Située à une centaine de kilomètres de la frontière, la « capitale du Nord » est un carrefour stratégique entre la Côte d’Ivoire, le Mali et le Burkina Faso. Elle pourrait bien accueillir les chefs de gouvernement des deux pays à défaut des présidents. Une rencontre entre les ministres des affaires étrangères est également à l’étude à Abobo.

Les mille et un réseaux, du Nigeria au Qatar

Le retour de Bassolé dans les antichambres de palais présidentiels ne se limite pas à la Côte d’Ivoire. Au printemps, il s’est ainsi rendu à Lomé où il a été reçu par le président togolais Faure Gnassingbé. Il a également rencontré le président de la commission de la CEDEAO, l’Ivoirien Jean-Claude Brou. Très active, la diplomatie togolaise joue les médiatrices au sujet de plusieurs crises régionales, notamment au Mali.

Il a aussi rallié Abuja, pour le compte de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT), où il s’est entretenu avec l’envoyé spécial Baba Gana Kingibé. Puissante figure de la diplomatie nigériane, Kingibé est une vieille connaissance de Bassolé nouée du temps où le Nigérian était représentant de l’Union africaine (UA) pour le Soudan. A Abuja, il a également échangé avec le commissaire paix et sécurité de l’UA, l’ambassadeur Bankole Adeoye.

Très introduit dans le premier cercle du président nigérian, Muhammadu Buhari, Bassolé est également un intime d’Ahmed Rufai Abubakar, diplomate de carrière et actuel directeur général de la National Intelligence Agency (NIA). Ce dernier a été son adjoint lorsqu’il dirigeait la mission des Nations unies au Darfour (2008-2011). Ensemble, ils ont mené des tractations délicates aux confins du Soudan et à Khartoum. Bassolé était parvenu à arracher la signature d’un accord de paix le 14 juillet 2011 à Doha, au Qatar, parrain de cette médiation onusienne.

A Doha, il a cultivé des liens très forts avec la famille princière al-Thani et peut compter sur sa bonne relation avec le « Monsieur médiation » de l’émir, Mutlaq bin Majeb al-Qahtani. Autrefois, Bassolé avait largement œuvré au rapprochement entre Doha et Ouagadougou. Blaise Compaoré s’y était rendu à plusieurs reprises en visite officielle et l’ancien chef de l’État – aujourd’hui âgé de 71 ans, très affaibli physiquement et en exil à Abidjan depuis sa chute – est toujours suivi médicalement dans la capitale qatarie.

Le 24 mai, Bassolé s’est d’ailleurs envolé depuis Abidjan pour Doha, où il prête main-forte à la diplomatie du Qatar engagée dans une médiation marathon entre le gouvernement tchadien et une cinquantaine de groupes rebelles. De nouveau facilitateur et conseiller de l’ombre, on le retrouve aux côtés d’une vieille connaissance, elle aussi bien connectée dans la capitale qatarie : le Mauritanien Moustapha Limam Chafi. Très influent à Ouagadougou sous Blaise Compaoré, régulièrement consulté par Doha sur les dossiers africains, ce connaisseur des cénacles sahéliens est aussi conseiller spécial du président nigérien, Mohamed Bazoum. Bassolé et Chafi se connaissent depuis plus de vingt ans ; les deux hommes ont mené de concert plusieurs négociations d’envergure dans le Sahel ces deux dernières décennies.

Pour comprendre comment Bassolé s’est retrouvé dans la médiation qatarie avec les groupes « politico-militaires » tchadiens, il faut remonter au mois de juin 2021. Quelques semaines après le décès d’Idriss Deby, il avait été sollicité par l’ancien leader rebelle Timan Erdimi, en exil à Doha depuis 2010, pour mener une médiation avec N’Djamena. L’ancien ministre burkinabè connaît bien les mouvements rebelles tchadiens et tout particulièrement Erdimi : lorsqu’il était médiateur de l’ONU pour le Darfour, il avait œuvré à l’accord entre Khartoum et N’Djamena sur l’épineux dossier des combattants tchadiens présents dans la région.

Le Darfour a en effet constitué le principal sanctuaire des groupes armés tchadiens, dont celui d’Erdimi, tout au long des années 2000. Au mois de juin 2021, Bassolé s’était alors rendu dans le plus grand secret depuis Paris à N’Djamena où il avait été reçu au Palais rose par le président de la transition Mahamat Idriss Deby, dit « Kaka« . Durant leur tête-à-tête, le Burkinabè avait évoqué « l’expertise de Doha » en matière de médiation internationale. Alors que le Qatar rêve à terme et depuis plusieurs années de jouer les médiateurs au Sahel et en particulier au Mali, Bassolé constitue un atout diplomatique non négligeable en Afrique de l’Ouest.

Un retour à Ouagadougou ?

La réapparition de Bassolé dans les intrigues de la scène politique ouest-africaine n’est pas passée inaperçue à Paris. Au printemps, celui-ci s’est entretenu à plusieurs reprises avec une poignée d’officiels français, parmi lesquels Christophe Bigot, le directeur Afrique du Quai d’Orsay, ainsi qu’avec Franck Paris, le « Monsieur Afrique » d’Emmanuel Macron.

A l’heure où le spectre de Moscou plane sur le Burkina Faso en transition (AI du 13/06/22), l’ancien ministre – francophile – entend se poser comme un rempart, dans l’espoir de retenir certains jeunes officiers très actifs dans l’entourage de Damiba et particulièrement sensibles aux appels du pied russes. Pour le moment, Bassolé n’a d’autre choix que d’agir à distance. Mais ses pérégrinations, du Qatar aux capitales ouest-africaines, pourraient-elles l’amener à faire halte à Ouagadougou ?

S’il n’est visé par aucun mandat international émis par la justice burkinabè, son dossier judiciaire reste toujours d’actualité. Ses malheurs remontent à septembre 2015, quand il avait été arrêté et accusé d’avoir pris part à la tentative de putsch imputée à Gilbert Diendéré et, plus largement, au camp Compaoré. Bassolé s’en est toujours défendu. Placé en résidence surveillée dans une villa du quartier de Ouaga 2000 en raison de problèmes de santé, il avait été condamné en 2019 à dix ans de prison et renvoyé à la Maison d’arrêt et de correction des armées de Ouagadougou (MACA). Il n’en est sorti qu’en janvier 2020 pour être évacué en urgence vers la France, où il avait été admis à l’hôpital Foch à Suresnes (Hauts-de-Seine).

Aujourd’hui, Bassolé veut à nouveau peser dans le jeu régional et, au-delà, mettre à profit son expérience de médiateur et de diplomate. Prudent, le président Damiba se tient pour le moment à bonne distance des procédures judiciaires visant les anciens caciques du RSP et de l’ère Compaoré et se garde bien d’intervenir.

Davantage qu’une amnistie, l’entourage de Bassolé mise quant à lui sur un acquittement dans le cadre du très attendu procès en appel. Aucune date n’a encore été arrêtée. L’administration Kaboré freinait des quatre fers pour organiser le procès, qui pourrait se dérouler en 2023, en présence de l’ancien ministre des Affaires étrangères.

Le sujet du retour de Bassolé agite les cercles de pouvoir de Ouagadougou. Son épouse, l’ancienne ministre Rosalie Bassolé, a séjourné dans la ville au printemps pour assister au mariage de l’un de leurs fils. Elle a été reçue par Damiba et a évoqué la situation de « Djibril », qui parcourt le monde sans pouvoir revenir fouler le sol de sa terre natale.

Tchadanthropus-tribune avec Africa Intelligence

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