La singularité de certains magistrats tchadiens réside dans le fait qu’ils semblent être les seuls encore en Afrique à se montrer « serviles avec les puissants et ignobles avec les faibles ». Une vision passéiste de la Justice entretenue par la survivance des vieux réflexes du cerveau reptilien et les fantasmes d’un retour aux sombres années de la dictature où toute forme de liberté est considérée comme une menace pour les privilèges des élites.

Les dix dernières années ont vu le pouvoir d’Idriss Déby se consolider et se raffermir grâce aux énormes retombées financières de l’exploitation du brut de Doba qui, en seulement six années (2004-2010), a fait rentrer dans les caisses de l’Etat  jusqu’à 3.000 milliards de FCFA (4,6 milliards d’euros) selon Adoum Younousmi, alors ministre des Infrastructures, qui répondait aux questions de l’AFP (25 avril 2011).

Une « manne financière » pour Idriss Déby, friand de cette expression ânonnée dans tous ses discours, sans exception, qu’il s’adresse aux Tchadiens incrédules ou aux partenaires économiques et politiques étrangers médusés et interdits.

Mais la majorité des Tchadiens est privée de cette nourriture providentielle pendant qu’une minorité, à l’appétit gargantuesque, se goinfre sans répit et s’esbaudit de l’idée de pouvoir continuer à profiter de ce privilège au nom d’une filiation ethnique ou politique avec Idriss Déby dont la longévité au pouvoir est souhaitée et défendue avec acharnement.

La facilité avec laquelle l’argent public est détourné, par dizaines de milliards, dans l’impunité la plus totale a fait que les prix des denrées alimentaires ont flambé de sorte que les maigres augmentations des salaires accordées aux travailleurs honnêtes ont eu un effet quasi-nul sur le pouvoir d’achat.

Rien « n’a changé dans la vie des Tchadiens. Les gens continuent de mourir de faim, du paludisme ou de diarrhée parce qu’il n’y a pas d’eau potable » s’écriait Delphine Djiraïbé, figure de la société civile, dans le numéro de l’AFP du 25 avril 2011.

Les richesses illicites accumulées par les pontes du régime sont tellement suspectes, eu égard à l’extrême pauvreté de la majorité des Tchadiens, que le régime a cru pouvoir imaginer une stratégie de diversion à grande échelle : le blanchiment par la case prison dorée.

Une fois inculpés du crime de détournement de deniers publics, les caciques se mettent au vert dans des geôles sans matons, le temps de se faire oublier momentanément et reviennent reprendre du service.

A l’égard de ceux-là, la Justice s’est toujours montrée trop peu zélée sinon complètement indifférente à leur train de vie de Pacha, malgré qu’un ministère et qu’une commission spéciale (Cobra) aient été créés pour les « traquer » suite aux multiples dénonciations publiques du chef de l’Etat Idriss Déby qui s’étonne de ces « Tchadiens qui gagnent 100 milles Fcfa par mois et construisent des villas à 300 millions de Fcfa ».

Si des magistrats, dans les secrets des dieux, n’ont compris dans cette dénonciation qu’une simple condamnation verbale, sans consistance et sans réelle portée, destinée à divertir la populace, ce n’est pas le cas des Tchadiens qui l’a subissent comme une réalité sordide qu’une démocratie fondée sur l’égalité constitutionnelle des droits et des devoirs ne saurait indéfiniment tolérer.

C’est le sens de la pétition de l’UST qui a valu aux leaders syndicaux et au journaliste de N’Djamena-Hebdo qui l’a commentée d’être poursuivis pour « incitation à la haine ethnique ».

La pétition de la discorde indique que : « Tous les Tchadiens subissent la mort dans l’âme: le népotisme, la mauvaise gestion, l’impunité, la cherté de la vie, la paupérisation sans précédent de la population, bref l’arbitraire du pouvoir Deby ».

La vérité, rien que la vérité.

A la décharge des juges qui ont prononcé des peines d’emprisonnement avec sursis assorties de lourdes amendes, la Constitution prohibe « toute propagande à caractère ethnique, tribal, régional ou confessionnel tendant à porter atteinte à l’unité nationale ou à la laïcité de l’Etat » (art. 5 de la Constitution modifiée).

Mais une Justice indépendante et clairvoyante doit savoir déplacer le curseur de la répression sur toute la longueur de la règle graduée du droit.

Aux termes du préambule de la Constitution qui a servi de fondement à la condamnation des leaders syndicaux, le peuple tchadien affirme, sans circonlocutions, son « opposition totale à tout régime  dont la politique se fonderait sur l’arbitraire, la  dictature, l’injustice,  la corruption, la concussion, le népotisme, le clanisme, le tribalisme, le confessionnalisme et la confiscation du pouvoir ».

Le régime tremble sans doute parce qu’il  se reconnaît indiscutablement dans ces vices qui le caractérisent et que la Constitution, dont Idriss Déby est le principal garant, nous autorise à combattre.

Les nouveaux sorciers de la « renaissance » qui croient que seul importe l’usage de la force et de la répression doivent s’inspirer des conseils du vieux renard du désert, au pouvoir depuis 22 ans, pour s’initier à la politique politicienne. Les tentatives d’intimidation judiciaire d’une population excédée par l’injustice et l’extravagance sont susceptibles d’aboutir rapidement à la cristallisation de la haine. Les conséquences peuvent être terribles.

Qu’ils méditent cette sagesse séculaire : « qui se venge à demi court lui-même à sa peine. Il faut ou condamner ou couronner sa haine » (Corneille).

 

 

Lyadish Ahmed 

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