« Le pouvoir arrête le pouvoir ». C’est dans cet esprit que l’auteur des Lettres persanes, Montesquieu, a pensé la démocratie dont l’un des piliers est « la séparation des pouvoirs ». Si ce principe cardinal de la démocratie libérale reste un leurre sous nos tropiques, certains pays, même s’ils sont rarissimes, font exception à la règle. C’est le cas du Tchad dont le parlement vient de rejeter largement, ce lundi 2 septembre 2013, les demandes de levée de l’immunité parlementaire de deux de leurs confrères.

L’exemple de l’Assemblée nationale tchadienne devrait inspirer beaucoup de parlements africains qui ont la réputation d’être des « chambres d’enregistrement » du pouvoir exécutif

L’acte de l’Assemblée nationale est d’autant plus noble que dans le cas d’espèce, les deux députés dont le Parquet demande la levée de l’immunité sont de l’opposition et que la configuration du Parlement tchadien, largement dominé par le parti présidentiel, le Mouvement patriotique du salut (MPS), pouvait laisser croire que les députés de la majorité, « livreraient », sans état d’âme, leurs collègues au Parquet. Bien au contraire, les demandes introduites par le ministre de la Justice, Jean-Bernard Padaré, relativement à la levée de l’immunité des députés Lama Tchindébé et Saleh Kebzabo, ont été jugées injustifiées par la quasi-unanimité du parlement, soit 173 voix sur 180 votants pour le premier, 176 voix sur 180 votants pour le second. Au-delà de la lecture de certains selon laquelle, « ce frémissement » du Parlement tchadien relève de l’instinct de conservation, il faut saluer un acte qui apporte une plus-value à la démocratie. Dans cette deuxième hypothèse, l’exemple de l’Assemblée nationale tchadienne devrait inspirer beaucoup de parlements africains qui ont la réputation d’être des « chambres d’enregistrement » du pouvoir exécutif. Ce faisant, cette institution, dont la place est essentielle dans toute démocratie, apparaît, aux yeux des populations dont elle est censée défendre les intérêts en contrôlant l’action du gouvernement, comme une institution budgétivore et surtout inutile.

Les parlementaires africains doivent s’affranchir des carcans de leurs formations politiques, lorsque l’enjeu est l’intérêt général et l’intérêt supérieur des nations

C’est pourquoi d’ailleurs, les populations africaines, lors des multiples pronunciamientos qui ont jalonné l’histoire politique de l’Afrique, ont toujours salué dans l’euphorie la dissolution des parlements et la suspension des Constitutions. Ce constat, nous le faisons, non pas pour faire l’apologie et la promotion de l’Etat d’exception en Afrique, mais parce que, nous avons le souci d’interpeller les parlementaires africains et la classe politique en général, pour qu’ils s’affranchissent, dans certaines situations, des carcans de leurs formations politiques, lorsque l’enjeu est l’intérêt général et l’intérêt supérieur des nations. Surtout que l’on ne nous rétorque pas que les contextes ne sont pas les mêmes, car le Tchad présente le paradoxe d’avoir un exécutif ultra-fort, avec une inclinaison prononcée à la dictature, et un parlement, qui, bien qu’à dominante MPS (parti présidentiel), s’est illustré par sa volonté d’indépendance vis-à-vis du gouvernement. Il faut rappeler que ce n’est pas la première fois que le gouvernement cherche à lever l’immunité de certains députés sous des prétextes fallacieux. Le Parlement tchadien ne doit pas s’arrêter en si bon chemin, s’il ne veut pas donner raison à ceux qui croient qu’il a agi par corporatisme en refusant de lever l’immunité parlementaire des deux députés de l’opposition. Il doit, à chaque fois que la situation l’exige, porter les aspirations du peuple tchadien. Ces aspirations, on le sait, se ramènent à la justice sociale, l’alternance, la bonne gouvernance, bref à la démocratie. Cette valeur ne se mesure pas à l’aune du nombre des institutions, mais à leur capacité à transcender les intérêts partisans et opportunistes du moment, pour prendre en compte l’intérêt général, rien que l’intérêt général.

Pousdem PICKOU

 

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