La succession d’Idriss Déby inquiète au plus haut point tous les services de renseignement intéressés par la plateforme tchadienne. Le chef de l’Agence nationale de sécurité, Ahmed Kogri, s’apprête à effectuer une tournée des alliés non africains du Conseil militaire de transition.

Dès la mort, dans les combats avec les troupes du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), du chef de l’Etat Idriss Déby, la crise au Tchad a été traitée au plus haut niveau des services de renseignement de nombreux pays. Le premier appel, le mardi 20 avril à 1 heure du matin, entre le président français, Emmanuel Macron, et Mahamat Idriss Déby, le patron désigné du Conseil militaire de transition (CMT), a réuni – chacun à côté de son dirigeant – Bernard Emié, le directeur de la DGSE, et Ahmed Kogri, son homologue à l’Agence nationale de sécurité (ANS) tchadienne. Si le principe du CMT a été acté, Paris et ses services n’en ont pas moins conçu une certaine gêne, et le refus officiel par Emmanuel Macron de toute succession familiale, quelques jours plus tard, a enclenché une course à la présidence dans toute la région et au-delà.

Mais Paris n’est plus en tête à tête avec N’Djamena : l’ANS a développé d’autres alliances ces dernières années. Après l’appel à la DGSE, les dirigeants de l’agence tchadienne se sont ainsi entretenus très vite avec le chef de station de la CIA dans leur capitale, puis avec celui du Mossad et avec les relais du MIT turc sur place, dans le but de s’assurer de leur tacite soutien – ce qui fut fait. Tous ont notamment été mis à contribution pour forcer le maréchal libyen Khalifa Haftar, sponsor des mercenaires du FACT, à leur retirer son soutien, ce qu’il a fini par faire du bout des lèvres.

Course régionale

Si la contestation a été maitrisée, le CMT a commencé à se voir mis en tension par les rivaux de Mahamat Déby, notamment à l’international. À la manœuvre, le chef de la commission de l’Union africaineMoussa Faki : cet ancien premier ministre de Déby père, qui se verrait bien président, a commencé à faire le tour des capitales africaines pour son propre compte. Celui-ci a bénéficié pour constituer ses réseaux de l’assistance d’un membre du CMT, Mahamat Ismail Chaïbo, lui-même ancien patron de l’ANS.

Très vite, Mahamat Déby et Ahmed Kogri ont effectué une contre-offensive régionale, en Angola, puis au Congo-Brazzaville, au Congo-Kinshasa, au Niger, en Centrafrique et au Rwanda, la délégation rencontrant à chaque fois le chef du renseignement local puis le président, armée d’éléments de compréhension du FACT. À Kigali, leur surprise fut grande de voir que Paul Kagamé avait reçu une heure auparavant Franck Paris. Ce dernier, proche de Bernard Émié, n’aurait été là néanmoins que pour organiser la prochaine visite d’Emmanuel Macron au Rwanda.

Vers l’Europe et au-delà

Afin de tenter de contourner ces influences contraires, la délégation de l’ANS emmenée par Ahmed Kogri va, cette semaine, continuer sa tournée hors d’Afrique. Après une explication attendue à Paris, notamment à la DGSE, un voyage est prévu en Israël. Encore patron du Mossad pour quelques semaines, le golden boy Yossi Cohen a œuvré ces dernières années au rapprochement de son service avec N’Djamena dans l’espoir d’aboutir à une reconnaissance d’Israël. Les industriels israéliens du renseignement épaulent d’ailleurs de plus en plus les services tchadiens (IO du 22/07/20).

La caravane de l’ANS doit aussi se rendre à Ankara : le MIT, qui couve ses atouts à Tripoli et dans l’ouest de la Libye, espère profiter de la situation pour resserrer ses liens avec le Tchad, au sud. Enfin, elle prendra la direction de Washington pour y rencontrer plusieurs officiels de l’administration Biden, notamment de la CIA. Si l’agence n’est plus dirigée par Gina Haspel – qui, de façon exceptionnelle, s’était déplacée en personne à N’Djamena il y a plus d’un an -, le service tchadien y dispose encore de solides relais.

Éléments de compréhension

Pour pimenter toutes ces visites, la délégation de Kogri se rend à ces réunions avec un dossier sous le bras recensant les éléments trouvés sur les FACT. Celui-ci comporte notamment des passeports – souvent soudanais – et quelques détails sur les armes flambant neuves avec leurs numéros de série, issues de Russie et achetées pour le FACT et Haftar par les Émirats, avec un soutien logistique français.

Tchadanthropus-tribune avec Confidentiel stratégique.

2019 Vues

Il n'y a pas encore de commentaire pour cet article
Vous devez vous connectez pour pouvoir ajouter un commentaire