Deuxième producteur mondial de gomme d’acacia, le Tchad bénéficie de la hausse des cours, liée à la guerre au Soudan voisin. Mais pour satisfaire la demande mondiale de cette matière première essentielle pour les industries agroalimentaire et pharmaceutique, il doit se donner les moyens d’accroître ses récoltes.

Depuis avril 2023, le Soudan, premier producteur de gomme arabique, dont il assurait jusqu’à présent 70 % des exportations brutes mondiales, est ravagé par la guerre civile qui oppose les forces armées soudanaises (SAF) du général Abdel Fattah al-Burhane et les forces de soutien rapide (RSF) du général Mohamed Hamdan « Hemetti » Dagalo. Les zones de terres agricoles y sont devenues des champs de bataille, ce qui a entraîné une forte baisse de la récolte de gomme arabique et, en conséquence, provoqué une hausse moyenne des prix de 9,15 % sur un an.

Cette situation n’a pas manqué de susciter l’intérêt des autres pays producteurs de cet exsudat de sève d’acacia, au premier rang desquels le Tchad, deuxième producteur mondial, juste derrière le Soudan, et devant le Nigeria.

Une forte demande mondiale

La gomme arabique est actuellement le troisième produit du pays le plus important à l’exportation du Tchad, après le pétrole et le coton, et, pour plus de 500 000 ménages tchadiens, la récolte de la sève d’acacia est une source de revenus cruciale.

En 2022, le pays a exporté pour 30,6 millions de dollars de gomme arabique à destination de la France, des États-Unis, de la Chine, de l’Inde et de l’Allemagne, ses principaux clients. La même année, le pays a produit plus de 42 000 tonnes (t) de gomme arabique, marquant une augmentation substantielle par rapport aux 14 551 t produites en 2010, selon les données de l’Observatoire de la filière gomme arabique et de la Direction des forêts et de la lutte contre la désertification. Cette production provient en grande partie de l’acacia de la variété seyal, dont la gomme friable.

La demande mondiale est forte, puisque la gomme arabique est une matière première essentielle pour l’industrie agroalimentaire, qui l’utilise principalement comme émulsifiant naturel et stabilisant (sous le nom de E414). Elle est par ailleurs prisée par l’industrie cosmétique et médicale, en particulier pour ses qualités de prébiotique naturel qui favorise le développement de probiotiques dans l’intestin (les « bonnes bactéries ») et entre aussi dans la composition de films et d’adhésifs.

Selon les projections de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), le marché de la gomme arabique pourrait valoir jusqu’à 2 milliards d’euros d’ici à 2030. Le Tchad se trouve dans une position favorable pour capitaliser sur cette ressource, toutefois, malgré ces perspectives prometteuses, saura-t-il répondre rapidement aux défis infrastructurels auxquels il est confronté pour faire monter en puissance ses capacités de production et d’exportation ?

Nécessité d’améliorer les infrastructures et les standards de qualité

Ce n’est pas la première fois que le Tchad tire parti des crises de son voisin pour booster ses exportations. Au début des années 1990, une crise de gouvernance avait déjà secoué la filière soudanaise de la gomme arabique, avec la remise en question du monopole d’achat détenu par la Gum Arabic Company, critiquée pour corruption et gestion inefficace. Cette période de désordre au Soudan a coïncidé avec un essor de 5 % des exportations tchadiennes, selon les données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). N’Djamena a également vu ses exportations croître lors de la crise au Darfour (2004-2005).

Aujourd’hui, s’il veut transformer cet avantage conjoncturel en moteur de croissance durable, le Tchad va devoir relever d’énormes défis, tant au niveau du développement de ses infrastructures qu’en ce qui concerne la qualité de ses produits, mais aussi pour restructurer sa filière. Selon l’Agence française de développement (AFD), la filière de la gomme arabique au Tchad est entravée par un « manque flagrant de communication entre les différents acteurs » et par « une intégration insuffisante des standards de qualité » dans les politiques de tarification. Selon l’AFD, cette situation conduit à l’adoption de stratégies divergentes parmi les commerçants, ce qui donne lieu à des rémunérations inégales des producteurs et est donc source de tensions.

Sur le plan des infrastructures, la précarité des routes et le manque d’eau près des zones de culture compromettent la capacité du secteur à répondre à une demande mondiale en hausse. Albachir Ahmat, président des exportateurs tchadiens de gomme arabique, met en lumière l’urgence de la situation : « Sans améliorations, les acheteurs se tourneront vers d’autres marchés. Nous souhaitons augmenter notre production, mais les lacunes en matière d’infrastructures nous en empêchent. Le soutien du gouvernement et des aides financières sont essentiels pour dépasser ces barrières. »

En outre, la filière doit naviguer prudemment face à une augmentation trop rapide des prix qui pourrait inciter les clients à opter pour des alternatives moins onéreuses, comme les amidons. Selon Charles Alland, le PDG de l’entreprise française Alland & Robert, spécialisée dans la production, la transformation et la commercialisation de la gomme d’acacia, il est urgent de stabiliser les prix et d’améliorer la qualité pour éviter un tel scénario catastrophe pour la filière.

Tchadanthropus-tribune avec Jeune Afrique

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