Ukraine, Syrie, Soudan, Libye… Et bientôt Mali ? Depuis la mi-septembre, le groupe Wagner, en discussion avec le gouvernement malien, est revenu au premier plan de l’actualité internationale. Objectif : envoyer un millier de combattants pour entraîner et assurer la protection de l’état-major malien. L’annonce n’a pas manqué de déplaire aux capitales occidentales, à commencer par Paris qui craint que Moscou ne profite du récent redéploiement des troupes françaises pour gagner en influence au Sahel. La nouvelle n’a pourtant rien d’étonnant. Elle confirme à la fois l’intérêt russe pour le continent, où elle s’est engagée à plusieurs reprises (en République centrafricaine, au Soudan, en Libye mais aussi au Mozambique et à Madagascar), et la stratégie de croissance incarnée par la multiplication des contrats de Wagner aux quatre coins du monde.

Tandis que l’événement faisait les gros titres de la presse, la véritable nouveauté de ces dernières semaines se situait ailleurs, dans une tablette Samsung blanche retrouvée dans un ancien champ de bataille de l’Ouest libyen. Les médias qui ont eu accès à son contenu, notamment la BBC et le magazine en ligne Newlines, estiment que celle-ci aurait été utilisée par un ancien mercenaire russe envoyé en Libye pour combattre aux côtés des troupes du général Khalifa Haftar contre celles du Gouvernement d’union nationale (GNA). Le propriétaire de l’appareil l’aurait oublié alors qu’il quittait les lieux, lorsque les troupes russes se sont retirées du front de Tripoli au printemps 2020.

La présence de mercenaires russes en Libye est connue depuis plusieurs années, notamment grâce aux témoignages de Libyens et à des images ayant fuité. Mais le contenu de la tablette, analysé par des experts, apporte quantité de nouvelles informations sur ces hommes prêts à risquer leur vie au nom de leur pays pour quelques milliers de dollars par mois. L’outil aurait été utilisé à des fins professionnelles, mais aussi personnelles. Parmi les données retrouvées : une bibliothèque où figurent quelques centaines de titres dont des manuels militaires mais aussi des livres de cuisine et des guides de séduction ; des vidéos filmées par des drones ; et une cartographie détaillée de la zone de Ain Zara, au sud de Tripoli, où les combattants russes se sont opposés au GNA entre février et mai 2020.

Une armée invisible

Le groupe mercenaire russe baptisé « Wagner », du nom du compositeur allemand, émerge dans les années 2013-2014, dans le sillage de la guerre syrienne puis du conflit en Ukraine, avant d’étendre ses opérations à d’autres terrains. L’objectif est de créer un contingent privé capable d’assister l’armée russe afin de consolider ses gains militaires. En Syrie, en Ukraine et en Libye, des images fuitent du terrain, confirmant les activités du groupe. Idem pour les pertes humaines, lourdes, que les autorités ne parviennent pas à cacher. Mais les connaissances au sujet de ce groupe restent parcellaires. Les éléments de preuves sont faibles, l’identité des combattants est tenue secrète et le modus operandi reste largement inconnu. Wagner est longtemps considéré comme une entité mystérieuse, dont la part de secret suscite fascination et spéculations. Malgré l’illégalité du statut de mercenaire en Russie, et les démentis du Kremlin niant tout lien avec ces « volontaires » partant combattre de leur plein gré, les connexions entre le groupe privé et les autorités semblent difficilement contestables. Des profils incarnent ces liens, à l’instar de Dimitri Outkine, un ancien officier du renseignement militaire considéré comme le fondateur de Wagner, et Evgueny Prigojine, un milliardaire russe proche de Vladimir Poutine qui finance le groupe.

Comme beaucoup de compagnies de sécurité privée, Wagner est réputé pour être une « armée invisible ». Le groupe permet au gouvernement russe de minimiser les coûts et les pertes liées à ses campagnes militaires. Le secret cultivé autour de l’organisation correspond donc à un impératif de contrôle de l’information et de gestion du risque.

Tatouages et slogans nazis

C’est dans ce contexte que la tablette retrouvée en Libye fournit des éléments inédits quant à l’identité des mercenaires et leurs méthodes de combat. Selon les informations récoltées, ils ont entre 20 et 40 ans, et la majorité d’entre eux sont originaires de petites localités éloignées des grandes métropoles, où le taux de chômage est élevé. Un contrat chez Wagner leur permet d’espérer un salaire avoisinant les 3 000 dollars, contre seulement 500 en moyenne dans leur ville d’origine, rapporte Newlines. Certains sont des repris de justice, pour qui il est difficile de rejoindre l’armée.

Les informations collectées ont également permis de vérifier ou confirmer des suspicions de crimes de guerre commis par ces forces hybrides qui n’hésitent pas à s’affranchir des règles de la guerre, par exemple en laissant derrière eux des mines qui tueront des civils libyens par dizaines. Un ancien mercenaire affirme également à la BBC qu’il n’hésitait pas à tuer les prisonniers de guerre, car « personne ne veut d’une bouche supplémentaire à nourrir ».

C’est surtout la composante idéologique qui pourrait durablement modifier l’image de ces combattants de l’ombre. Depuis plusieurs années, les rumeurs circulent quant aux penchants idéologiques du groupe. Une photo diffusée en 2020 aurait montré les tatouages nazis de Dimitri Outkine. En Libye, des graffitis racistes et islamophobes en russe avaient également été retrouvés sur les murs de bâtiments dans des régions conquises par les soldats de Wagner, comme à Ain Zara.

Les nouvelles informations permettent de confirmer et d’élargir ces données. Outre les ouvrages de littérature militaire, le manifeste d’Adolphe Hitler Mein Kampf a été retrouvé dans la bibliothèque électronique de la tablette oubliée à Ain Zara. L’identification du profil en ligne de quelques soldats confirme ce faisceau d’indices préexistants : références à la Seconde Guerre mondiale, tatouages et slogans nazis, symboles issus du néo paganismes associés à l’extrême droite en Russie, identification à la culture viking et pureté de la « race » slave…

De là à conclure des intentions exclusivement idéologiques des troupes de Wagner, il faut rester prudent. Mais loin du professionnalisme infaillible d’une unité d’élite fantasmée pour sa force de frappe et son équipement ultrasophistiqué, les soldats du groupe apparaissent soudainement pour ceux qu’ils sont : des hommes imprégnés d’une idéologie qui en dit plus sur leurs terres d’origine que sur leurs lieux de combats. Des jeunes animés par des croyances et motivés par des salaires attractifs.

Source : Lorient Lejour

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