Dans la capitale du pays, les structures hospitalières accueillant les enfants en situation de malnutrition aiguë sévère sont saturées depuis le mois de février.

Yeux mi-clos, regard fixe, Safa, 5 mois, s’accroche à la vie. « Elle est arrivée avec des convulsions et une suspicion de méningite, détaille l’infirmier Abdelkerim Djaranebi. Nous l’avons intubée pour l’aider à respirer, mais son pronostic vital n’est plus engagé. »

Dans cette unité de l’hôpital Tchad-Chine réservée aux enfants atteints de malnutrition aiguë sévère de N’Djamena, la capitale tchadienne, la mort rôde. Ce matin à 10 h 02, elle a attrapé Hassan, 5 mois également, admis à 5,2 kilos. Il s’est battu dix jours, sans reprendre du poids. Choc septique, indique son dossier sans autre commentaire.

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« Les enfants arrivent dans de tels états de faiblesse qu’ils ne peuvent plus s’alimenter et même la sonde est une agression pour eux », précise l’infirmier. Adam, lui, revient déjà de loin. Après un arrêt cardiaque respiratoire, l’enfant d’un an a été réanimé le 26 avril lors de son admission. Surveillé toutes les trente minutes pendant plusieurs jours, son état s’est stabilisé mais son corps est encore meurtri par la malnutrition. Sa peau présente des lésions à l’aspect de brûlures.

« Lorsque l’enfant est sous-alimenté, la cellule s’affaiblit et le passage des liquides internes en externe provoque des œdèmes ainsi qu’un craquellement de la peau », explique Ousmane Ahmat Mahamat, le superviseur de l’unité. Adam est atteint d’un syndrome de malnutrition aiguë sévère par carence en protéines, le kwashiorkor.

« C’est une année très inquiétante »

Il a fallu pousser les murs de cette structure gérée par l’ONG Alima et son partenaire tchadien Alerte santé pour accueillir tous les enfants de moins de 5 ans arrivés à ce stade ultime de la sous-alimentation. Ils sont 104 ce 13 mai, occupant chaque recoin de l’unité conçue pour recevoir au maximum 60 enfants. Des lits ont investi l’espace habituellement consacré aux jeux.

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« C’est une année très inquiétante, un état de crise nutritionnelle, alerte Ousmane Ahmat Mahamat. Les trois années précédentes, le pic des accueils débutait à la vingtième semaine, au moment de la période de soudure [qui s’étend de juin à septembre, le mois des premières récoltes]. Cette année, il a débuté dès la sixième semaine. » L’unité nutritionnelle thérapeutique de l’hôpital Tchad-Chine est saturée, en mai 2022. Elle gère les cas urgents de malnutrition aiguë sévère à N’Djamena.

Malgré la dizaine de mères attendant à la porte que leur enfant soit pris en charge, la direction a suspendu les nouvelles admissions ce jour-là. « C’est une décision extrêmement difficile à prendre, s’attriste le superviseur, mais, étant donné la saturation du service, c’est le seul moyen de garantir la qualité des soins. » La capitale dispose d’une centaine de lits disséminés dans trois autres structures habilitées à recevoir ces patients, mais les soins sont payants. Pas chez Alima. Médecins sans frontières (MSF) ouvrira son accueil de 100 lits en juin, pour quelques mois, comme chaque année.

Le Tchad, 16,4 millions d’habitants, classé à la 186place sur 189 sur l’indice de développement humain, traverse l’une des plus importantes crises alimentaires de la décennie. Selon les Nations unies, 4,1 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire et 1,6 million d’enfants de moins de 5 ans ont besoin d’une aide nutritionnelle. Une situation résultant d’une faible pluviométrie, de mauvaises récoltes et de la hausse des prix des produits de première nécessité dans le sillage de la pandémie de Covid-19 puis de la guerre en Ukraine.

« Quand il n’y a rien, il n’y a rien »

En 2021, le sac de trois kilos de maïs – un aliment de base – valait 500 francs CFA ; il s’achète aujourd’hui 800 francs CFA. Le prix de l’huile a augmenté de 65 % et celui du poisson a doublé. La situation est particulièrement peu clémente dans la capitale de 1,8 million d’habitants où la prévalence de la malnutrition aiguë est de 10,3 %.

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« Dans les campagnes, les gens peuvent se débrouiller en cultivant un petit lopin de terre, explique Claude Kiangala, chef de mission pour Alima au Tchad. Mais à N’Djamena, les salaires n’ont pas augmenté malgré l’inflation. Quand il n’y a rien, il n’y a rien. »

Adam Ali est atteint d’un syndrome de malnutrition aiguë sévère par carence en protéines, le kwashiorkor. Il est soigné à l’unité gérée par l’ONG Alima et en partenariat avec l’association tchadienne Alerte Santé, à l’hôpital Tchad-Chine de N’Djamena, le 13 mai 2022.

La mauvaise situation sécuritaire dans la région du lac Tchad depuis 2015 complique encore la donne. « Nous connaissons beaucoup de déplacements de population, précise le ministre de la santé, le docteur Abdoulmadjid Abderahim. Ces mouvements font pression sur les terres cultivables, mais aussi sur le système de santé déjà fragile. »

Dans les bras de sa grand-mère, Ali, 6 mois, visage émacié et côtes apparentes, tète désespérément dans le vide. La mère, une jeune fille de 16 ans prostrée dans un coin du lit détourne son regard de l’enfant. « Elle dit qu’elle est malade », explique Clarisse Bakalah, chargée de sensibilisation au sein de l’unité nutritionnelle thérapeutique. « Si les enfants étaient davantage allaités, on pourrait éviter un grand nombre de cas, s’exaspère la sage-femme qui déplore l’ancrage de croyances populaires. On entend encore que le lait de la mère est mauvais, qu’il donne des maladies, qu’il peut même tuer. »

Un enfant sur dix meurt avant l’âge de 5 ans

Selon l’OMS et l’Unicef, nourrir l’enfant intégralement au sein sans complément d’eau ni d’autres aliments permettrait d’endiguer la mortalité néonatale et infantile. A N’Djamena, le taux d’allaitement exclusif jusqu’à 6 mois est de 6,4 %. Cependant, beaucoup de mères, elles-mêmes dénutries, peinent à produire un lait nourrissant pour leurs enfants.

Il est midi. Subitement, l’atmosphère se fait moins pesante et les pleurs se calment. Le personnel médical distribue du lait et du Plumpy’Nut, une pâte alimentaire très calorique à base d’arachides fournie par l’Unicef. C’est aujourd’hui le seul aliment thérapeutique prêt à l’emploi dédié à la réhabilitation nutritionnelle des enfants de plus de 6 mois. Mais depuis plusieurs années, les approvisionnements ne suffisent plus à couvrir l’intégralité des besoins.

A l’unité thérapeutique nutritionnelle de l’hôpital Tchad-Chine de N’Djamena en mai 2022, c’est l’heure du Plumpy’Nut, une pâte alimentaire très calorique utilisée dans le cadre de la renutrition des enfants atteints de malnutrition aiguë sévère.

L’agence des Nations unies a prévu de distribuer une aide à 275 849 enfants en 2022, alors que les pouvoirs publics tchadiens estiment qu’au minimum 343 087 en auraient besoin. A la fin de chaque mois, Alima doit puiser dans son « stock tampon » financé par des bailleurs internationaux, comme l’Union européenne (UE) ou l’ONG américaine Edesia. « L’année dernière, nous n’avons rien reçu entre mai et juillet, indique le docteur Claude Kiangala. On nous a déjà informés qu’il n’y aurait plus de livraison à partir d’octobre. »

Depuis 2015, l’unité est financée intégralement par l’UE. « Nous aurions déjà dû nous retirer, car notre mandat est d’intervenir uniquement dans des situations d’urgence, confie David Kerespars, chef de bureau de l’aide humanitaire de l’UE au Tchad, mais il suffit que je vienne à l’hôpital pour resigner pour un an. On ne peut pas laisser les enfants comme ça. »

Mariam évente son fils Ali dans le service de soins intensifs de l’hôpital Tchad-Chine, à N’Djamena, le 13 mai 2022. Ali souffre de lésions cutanées en raison de la dégradation de ses cellules due à la malnutrition.

Quant à l’ONG Alima, elle se prépare, elle aussi, à céder sa place. Des discussions ont été entamées avec le gouvernement pour que l’hôpital reprenne les activités. « Nous sommes dans une situation très embarrassante car la question du financement des salaires du personnel de santé pose déjà problème, s’inquiète le chef de mission Tchad pour Alima. Les besoins sont connus, les périodes de pic également, les autorités doivent maintenant prendre leurs responsabilités. »

Sans une politique efficace de contrôle de la natalité – le taux de fécondité atteignait 5,6 enfants par femme en 2019 – et un investissement de l’Etat en faveur d’une agriculture autosuffisante et prenant en compte le dérèglement climatique, Safa, Adam, Ali et tant d’autres continueront à confirmer cette dramatique statistique nationale : au Tchad, un enfant sur dix meurt avant l’âge de 5 ans.

Laureline Savoye (N’Djamena, envoyée spéciale)

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