Deux jours après le décès de l’opposant, ses proches réclament vengeance et appellent à la rébellion, tandis que le président Mahamat Idriss Déby Itno garde un œil sur la communauté zaghawa, majoritaire dans l’armée et à laquelle appartenait le défunt.

Ce 1er mars à N’Djamena, les véhicules blindés ont laissé la place aux bulldozers autour du bâtiment du Parti socialiste sans frontières (PSF), la formation de Yaya Dillo Djerou. Le siège du parti a en effet été rasé, deux jours après que son chef de file a succombé à ses blessures lors d’une série d’événements déclenchés par ce que le gouvernement a dénoncé comme une tentative d’assaut sur les locaux de l’Agence nationale de sécurité (ANS, renseignements tchadiens).

Cousin tué, oncle arrêté

Selon la version officielle, des proches de Yaya Dillo Djerou – neveu de l’ancien président Idriss Déby Itno et cousin de l’actuel chef de l’État, Mahamat Idriss Déby Itno – auraient tenté de libérer Abakar Torabi, le secrétaire chargé des finances du PSF. Ce dernier est suspecté d’avoir fomenté, le 19 février, une tentative d’assassinat contre Samir Adam Annour, le président de la Cour suprême, et avait été interpellé plus tôt dans la journée.

Interrogé par nos confrères de l’AFP, Yaya Dillo Djerou avait démenti, le mercredi 28 février dans la matinée, toute participation à l’attaque du siège de l’ANS, dont le directeur, Ahmed Kogri, avait été remplacé quelques jours plus tôt par le général Ismaël Souleymane Lony. Mais les forces de sécurité n’en ont pas moins décidé de lancer l’assaut sur le siège du PSF. C’est après cet épisode – et des échanges de tirs nourris – qu’a été annoncée la mort de Yaya Dillo Djerou dans des circonstances encore troubles.

Les proches de l’ancien ministre et patron du PSF, qui s’était déclaré candidat à la prochaine présidentielle, prévue le 6 mai prochain, affirment que celui-ci a été assassiné, tandis que le gouvernement dit avoir déjoué une tentative de complot visant à renverser le pouvoir en place. Le récent allié politique de Yaya Dillo Djerou, Saleh Déby Itno – par ailleurs propriétaire des locaux du PSF, désormais rasés – a quant à lui été arrêté dans la foulée par les forces de sécurité.

Soupçonné d’avoir participé au présumé complot, celui-ci a été filmé, menottes au poignet, par la télévision nationale, tandis que le porte-parole du gouvernement, Abderaman Koulamallah, a dévoilé des prises d’armes de guerre, qui auraient été récupérées au siège du PSF et au domicile de Saleh Déby Itno. Ce dernier avait été révoqué en janvier 2023 de son poste de contrôleur général de la police pour faute grave contre l’honneur, après avoir publiquement émis des doutes sur les circonstances de la mort de son frère, Idriss Déby Itno. Il avait ensuite rejoint le PSF, en février.

Appels à la vengeance… et à la rébellion

Comme il y a trois ans lors de l’assaut donné contre le domicile de Yaya Dillo Djerou (lors duquel sa mère avait trouvé la mort), ce décès n’a pas fini de secouer le pays. Sa dépouille a ainsi été rendue à l’un de ses oncles, qui n’est autre que Timan Erdimi, ancien rebelle de premier ordre. Rentré à N’Djamena à la faveur du dialogue national de 2022, il continue de susciter la méfiance des autorités tchadiennes.

Surtout, le frère de Yaya Dillo Djerou, Ousmane Dillo Djerou, est parvenu à rassembler des partisans depuis son exil du Darfour, et ils appellent depuis deux jours à la vengeance, notamment dans des messages audio très partagés dans la communauté zaghawa, à laquelle la fratrie appartient, tout comme Mahamat Idriss Déby Itno par son défunt père. Selon les proches du disparu, plusieurs dizaines de pickups auraient réussi à quitter la capitale, N’Djamena, et pris la direction de l’est et de la frontière soudanaise, traditionnelle zone de rébellion.

Le mouvement rebelle du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) a d’ailleurs déjà saisi l’occasion de la mort de Yaya Dillo Djerou – qu’il a condamnée « avec la plus grande fermeté » – pour appeler les « forces vives de la nation » à « dire non à la junte ». « Ces crimes odieux ne resteront pas impunis. Tôt ou tard, les auteurs répondront de leurs actes devant la justice », a encore écrit Ahmat Ibrahim, secrétaire général de l’organisation en Europe, dans un communiqué daté du 29 février.

Vigilance du chef de l’État

Une alliance entre des rebelles zaghawa et le FACT paraît cependant peu probable. « Le FACT est majoritairement composé de Goranes issus du BET [Borkou-Ennedi-Tibesti, NDLR]. Ils se voient comme une ethnie rivale des Zaghawa qui viennent de la même zone », tempère en effet un observateur politique tchadien. L’hypothèse est toutefois prise au sérieux par Mahamat Idriss Déby Itno (également gorane par sa mère). Le président de la transition n’a pas oublié que les deux communautés ont déjà combattu ensemble en 2008 contre Idriss Déby Itno, avant d’échouer aux portes de N’Djamena et du palais présidentiel.

Très probable candidat à la prochaine présidentielle, Mahamat Idriss Déby Itno a convoqué une réunion le 28 février et a annoncé des mesures de surveillance particulières, comme l’autorisation de fouille systématique de tout Tchadien ne bénéficiant pas d’une immunité. Pour surveiller l’appareil sécuritaire et une éventuelle rébellion en gestation, il mise sur le nouveau patron zaghawa de l’ANS, Ismaël Souleymane Lony, mais aussi sur Taher Erda, apparenté à Timan Erdimi et à la tête de la Direction générale des services de sécurité des institutions de l’État (DGSSIE).

Autre élément clé : Idriss Youssouf Boy, un autre de ses confidents – au sujet duquel une rumeur infondée affirmait qu’il avait été nommé ce 29 février ministre des Armées. Directeur de cabinet du président de la transition, après avoir été son secrétaire particulier, ce haut gradé zaghawa par son père et gorane par sa mère est l’un des rouages essentiels de l’entourage du chef de l’État. Le frère d’Idriss Youssouf Boy, Tahir Youssouf Boy, est en outre le directeur général des renseignements militaires.

Jeune Afrique

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