Le procès politique n’a pas de définition juridique néanmoins certains éléments à la fois sur le fond et la forme permettent de l’identifier. On le reconnaît dès qu’on le voit, serait-on tenter de dire. S’il est vrai qu’il existe plusieurs types de procès politiques, on peut dire que le procès Habré a été un procès éminemment politique et me permet aujourd’hui d’en faire le décryptage.

La première chose d’importance, dans un procès politique, c’est l’identité de l’homme ciblé. Elle va nous renseigner sur le caractère politique ou non du procès. Ainsi, le Président Hissein Habré est un ancien Chef d’Etat. Vouloir donc juger un ancien Président de la République, c’est poser incontestablement un acte hautement politique. Pourquoi veut-on juger cette personne ?

On s’accorde pour considérer que la cible désignée constitue soit une menace, un danger, soit est le porte voix d’une idéologie, ou encore, il peut s’agir d’une volonté de casser une résistance, faire taire une voix ou vouloir solder des comptes . Ainsi dans le procès  Habré, il s’agissait de se venger d’une résistance en détruisant l’homme, mais aussi de réduire à néant le sens de son engagement pour la défense des intérêts de son pays, casser son image de nationaliste, qui, dans son action politique, s’est extrait des pratiques françafricaines.

Ensuite, le procès politique est toujours une action menée par un État. Un État qui va mobiliser des cadres juridictionnels pour agir contre un homme ou un groupe de personnes. Il utilisera des juridictions spéciales déjà existantes, ou mettra en place une juridiction d’exception. L’Etat incarné par un pouvoir va donc en faire un usage politique.

On l’a bien vu, les CAE ont été créées au sein de l’organisation judiciaire du Sénégal. Juridiction d’exception avec des lois d’exception devenue un peloton d’exécution.

Le procès politique se symbolise aussi par la soumission du judiciaire au politique.

La composition du tribunal qui organise un procès politique est un enjeu fondamental. Les juges sont bien choisis. Cette question a été une véritable épine dans le pied des organisateurs du procès Habré. On a d’abord prétendu qu’il revenait au Président de la Commission de l’UA de désigner les magistrats des CAE. Or, cette autorité n’en avait pas le pouvoir et n’a jamais pu prendre un acte de nomination de magistrats. La nébuleuse autour de la désignation des magistrats continua. La difficulté était qu’il fallait entretenir la fiction d’une juridiction internationale par la désignation de 3 magistrats africains et de savoir qui devait les désigner ? On ne pouvait pas prendre le risque d’un véritable appel d’offres et d’un collège de juristes pour faire un choix au vu des compétences, comme cela s’est fait ailleurs dans la composition des juridictions pénales internationales. On comprendra aisément que le souci de garder la main sur le déroulement de l’action judiciaire expliqua que ce fut donc Reed Brody qui choisira tous les Présidents africains des 3 chambres, les autorités sénégalaises, elles, choisiront minutieusement les 14 autres magistrats. La mise en œuvre du procès politique se décline donc par une justice d’exception avec des juges choisis et donc non indépendants.

Les magistrats même conscients du caractère politique du procès, et subissant les injonctions étatiques par le biais de leur hiérarchie, ne vont jamais parler de procès politique car ce serait délégitimer leurs actions. Ils vont bien au contraire relayer les accusations, leur donner corps pour que la sanction puisse être infligée selon les termes de la commande politique. Ils vont mentir sous tous les cieux, réécrire les conditions du procès politique pour en assurer la propagande et légitimer l’élimination d’un homme.

C’est ce que nous constatons, 6 ans après la condamnation du Président Habré, le Procureur Mbacke Fall des CAE actuellement affecté à de nouvelles fonctions comme Conseiller à la Cour Suprême et par conséquent, soumis à une obligation de réserve, va régulièrement déterrer sa casquette d’ancien Procureur pour intervenir dans des séminaires ou dans  les universités françaises pour, sans aucune honte, falsifier les conditions dans lesquelles s’est tenu le procès Habré.

A un moment où il apparaît à tous que l’action des CAE n’a été ni un exemple ni un tournant majeur mais plutôt le procès de tous les échecs. Par la suite, les deux échecs en Gambie et en RCA le prouvent, dans la mesure où malgré la création de juridictions spéciales par, faut-il le souligner, la participation des organisateurs du procès Habré, la situation politique de ces pays a exigé la voie d’une réconciliation entre ses fils.

Autre point fondamental ; un procès politique ne peut être un procès juste et équitable. Souvent, galvaudée par des déclarations pompeuses, il est important de préciser que la notion de procès juste et équitable repose sur des conditions techniques très précises. Le droit à un procès juste et équitable compte parmi les principes de toute société démocratique, reposant sur les conventions internationales et les principes fondamentaux et y occupe une place imminente.

Le droit à un procès équitable est l’expression du principe de la prééminence du droit qui, tout comme le principe de l’interdiction de tout pouvoir arbitraire sous-tend une bonne administration de la justice. Le principe général du droit à la sécurité juridique apparaît ainsi intimement lié au droit à un procès équitable. Sa méconnaissance en emporte d’ailleurs la violation. Le principe de la sécurité des rapports juridiques veut, entre autres, que la solution donnée de manière définitive à tout litige par les cours et tribunaux ne soit plus remise en cause. C’est le respect de l’autorité de la chose jugée. Le droit à un procès équitable est reconnu tant au prévenu qu’à la partie civile. Ils ont ainsi, tous deux, droit à un procès équitable. Lorsque l’on évoque cette garantie fondamentale, elle est habituellement envisagée sous l’angle des droits de la personne poursuivie. C’est pourquoi de nombres textes de conventions internationales « garantissent notamment à toute personne le droit à ce qu’il soit décidé du bien fondé, de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, dans le cadre d’un procédure judiciaire équitable.»

De nombreuses garanties institutionnelles sont indispensables pour que l’on puisse parler de procès équitable. L’institution d’un tribunal par la loi, l’exigence de son indépendance et de son impartialité, sans compter que s’ajoute aussi un principe fondamental, d’ordre public, protecteur des droits de la défense qui suppose la légalité de la procédure. Le droit à la représentation, le droit de garder le silence, le principe de l’égalité des armes entre les parties au procès pénal du début à la fin de la procédure pénale, le respect absolu des droits de la défense, l’administration équitable de la preuve, la contradiction et la publicité des débats, la motivation de la décision sur la culpabilité et bien sûr, le droit à un recours effectif.

Cette énumération est importante et utile dans la mesure où la notion de procès juste et équitable est devenue une espèce de clause de style à usage médiatique que l’on entend souvent sans que les citoyens ne comprennent toutes les conditions, toutes les exigences qui s’attachent à la notion de procès juste et équitable. Force nous a été de constater que, pas une seule de ces nombreuses conditions n’a été respectée dans le procès Habré.

Autre critère pour savoir si l’on est dans le cadre d’un procès politique ou pas, il s’agit de faire le constat que le procès politique est fortement médiatisé. Il intéresse et attire les médias. Partant de là, l’Etat, principal instigateur des poursuites a toujours une stratégie dans la couverture médiatique dudit procès. D’où l’intérêt de maîtriser la conduite du procès tout en contrôlant la diffusion de l’information par les médias.

C’est pourquoi, il faut bien avoir présent à l’esprit que la mobilisation du pouvoir étatique pour ficeler une collusion avec le judiciaire mais aussi avec les hommes des médias va s’opérer tant à l’intérieur du prétoire qu’à l’extérieur. A l’extérieur, par les comptes rendus d’audience, selon les procès politiques, on choisira entre un lynchage médiatique démentiel (procès Habré) ou un traitement médiatique équilibré parce que les enjeux sont ailleurs.

A l’intérieur, comme nous l’avons vu, les juges  ne reconnaîtront jamais prendre part à un procès politique ; l’action des hommes politiques en charge de ce procès consistera donc à agir pour gommer, pour effacer tout caractère politique du procès, avec bien entendu le concours des juges . En quoi faisant exactement ?

Avec la complicité des médias aussi, ils vont travailler à dépolitiser l’action judiciaire. Ainsi l’accusé sera présenté comme un délinquant, on va dérouler des faits abominables, on va décrire des attitudes négatives de sa part, on est allé jusqu’à inventer des accusations de viols dans l’affaire Habré. L’objectif visé est de casser son image, de salir son honneur. En détruisant son image, on en vient à faire douter de son engagement politique, de son combat.

Le procès politique orchestre toujours un lynchage médiatique qui équivaut à un meeting d’assassinat, comme le disait Vergès. Les Anglais parlent eux de « Character assassination » autrement dit ; un assassinat de la personnalité d’un homme. Dans le procès Habré, on est arrivé au summum, en s’assurant ce résultat avec un budget pour la communication de 700 millions de francs pour baliser la voie à une condamnation à mort déguisée.

Des hommes politiques, des juges et des hommes de médias ont organisé en parfaite collusion une véritable mise à mort publique d’un homme qui ne leur a rien fait. C’est dire la férocité de ceux qui prennent part à l’organisation des procès politiques.

Dans cette atmosphère, on aura compris que, dans un procès politique, il n’y a guère de place pour une défense et encore moins pour des débats contradictoires. Dans la mesure où le procès politique se situe en dehors du cadre d’un procès juste et équitable. Dans un procès politique, l’ensemble des règles qui régissent et encadrent le procès pénal n’est pas respecté. Bien au contraire, l’Etat de Droit est suspendu le temps que le processus judiciaire se termine. Ce temps judiciaire peut être court, voire expéditif ou encore traîné parce que le pouvoir a mis en place un procès spectacle dont il veut tirer tous les avantages.

C’est donc bien une justice d’exception qui s’installe dans un procès politique s’illustrant par les violations des règles de procédures pénales, des grands principes juridiques bref un piétinement des droits de la défense et une neutralisation de tous les recours introduits dans le cadre de cette défense; et encore une fois, l’affaire Habré l’a bel et bien démontré. La défense a déposé des plaintes, saisi des institutions, au total : aucun des 20 recours n’a pu aboutir. Qui dit mieux pour neutraliser les droits de la défense et assurer une impunité aux acteurs du procès politique. Édifiant !

Est-il donc étonnant que, pour y faire face, Me Jacques Vergès avait mis en place une stratégie d’une défense de rupture qui faisant le constat que la primauté du Droit n’étant plus assurée et que l’égalité des chances est nulle. Il a construit son action de défense en utilisant le prétoire comme une tribune politique, faisant le procès du système colonial français, mettant à nu ses crimes, lors des procès des membres du FLN. Ce faisant, Jacques Vergès l’avait bien prévu, une véritable guerre s’est installée dans la salle des audiences. Dans la salle, des cris fusaient : «  le chinois, tais-toi! ». Ce à quoi répondait Vergès : « M le Président, permettez-moi de leur dire que ; quand leurs ancêtres français mangeaient des glands dans la forêt, les miens chinois construisaient des palais.» En représailles, à ce type d’engagement politique pour défendre les membres du FLN, les services secrets français n’ont pas hésité à assassiner des avocats, ils les avaient inscrits sur des fichiers Y.

Le procès politique est un coup politique, une commande de la République. C’est une grande perversion du procès pénal.

« Cette justice politique ne se borne pas à punir, elle dégrade, humilie, elle frappe pour terroriser »  selon les mots de Denis Salas. On peut rajouter qu’elle blesse à vie, moralement, physiquement, l’homme ciblé mais aussi son entourage et tous ceux qui ont participé à son combat politique. C’est bel et bien ce que nous avons vécu.

On verra toujours des interventions médiatiques d’autorités politiques dans le cours du procès politique. Leurs actions visent à apporter un soutien politique à une action judiciaire en perte de crédibilité, mais ce faisant très souvent, ce sera l’effet inverse car les juges seront fragilisés, mieux, dévalués vis à vis de l’opinion. Dans l’affaire Habré, les ministres Aminata Toure et Sidiki Kaba se sont ainsi fait remarquer. Sans hésitation, Sidiki Kaba déclarera ;

«  Nous avons utilisé la justice comme une arme contre Hissein Habré ». On en a des frissons dans le dos.

En fait, ces mots dévoilent un autre trait du procès politique qui est l’expression d’un rapport de forces. La puissance étatique et politique se met en marche pour être une machine implacable qui vous traite en ennemi et vous détruit avec cynisme. C’est pourquoi, comme dit le Doyen Kuty  « le procès politique est toujours une grande affaire mais avec toujours de petits juges » au sens où leur complicité est clairement établie par la renonciation à leur indépendance et à leur impartialité.

L’Etat, maître des poursuites en a fait des complices, à part entière, à coups de millions et de promotions comme dans le procès Habré tout en leur garantissant une totale impunité, une protection contre tous les recours (saisine de la Chambre disciplinaire par les avocats du Président Habré contre les insultes de Mbacke Fall, à ce jour non traitée, idem pour l’affaire du faux de Mme Aminata Touré, des insultes de Sidiki Kaba, même chose pour la plainte contre Marcel Mendy, 5 renvois). On pourra souligner qu’à la CPI, aucun des juges n’a jamais insulté ni Gbagbo ni Blé Goudé ni aucun autre prévenu. Ce déchainement d’insultes sur le Président Habré par les magistrats des CAE mais aussi par des autorités politiques était une demande des Français et de Reed Brody lesquels étaient exaspérés, enragés par le silence du Président et comptaient sur ce torrent d’insultes pour le faire réagir.

On observe bien une suspension qui devient quasi permanente de l’Etat de droit, un grand parapluie assurant une impunité totale et qui profitent à tous ceux qui ont mis la main dans le procès politique, que ce soit sur le plan politique (des autorités) sur le plan médiatique (hommes de média) et bien sûr sur le plan judiciaire (juges).

C’est en fait, la condition sine qua none pour que d’autres procès politiques puissent se tenir selon les desiderata du pouvoir.

Le procès politique n’est pas l’apanage des régimes dictatoriaux, loin de là, beaucoup de démocraties ont organisé des procès politiques.

Très souvent, quand on voit l’organisation des procès politiques de par le monde, dans très peu de cas, cela a été positif pour l’Etat qui l’organise. Dans un système démocratique, dans un État de droit, le procès politique jette le discrédit total sur ceux qui le conduisent, le pilotent jusqu’à son terme. Les citoyens que nous sommes voient leur confiance être sapée par des hommes de justice qui ne sont ni indépendants ni impartiaux. Or, c’est le corps judiciaire qui est censé gérer les conflits entre les individus dans la société selon les lois en vigueur. C’est l’une des plus importantes fondations garantissant la stabilité politique et sociale dans nos pays. Le sentiment d’injustice, de révoltes engendré par les procès politiques qui brisent des carrières, des ambitions, des vies, font que les gens ne croient plus en un système démocratique qui est devenu tout simplement l’expression du droit des plus forts et deviennent alors perméables à un autre type de discours. Il est temps d’en prendre conscience pour que le droit des plus forts cède la place à l’Etat de droit.

Par Mme Fatimé Raymonne Habré

Cette chronique a été publiée ce jour 12 Octobre 2019 par le journal Dakartimes

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  • L’analyse faite par madame est très pertinente et mérite d’être médité en vue de se faire une idée sur l’obsession des politiques à vouloir tout contrôler et orienter selon leurs désidératas ; pourvu qu’ils y arrivent……… et la suite ?

    Commentaire par Annour Abakar le 20 octobre 2019 à 8 h 09 min
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