20 mai 2018 #TCHAD #Sénégal : «CHRONIQUE AFRIQUE DEBOUT » : Ces mots qui nous gouvernent – Fatimé Raymonne Habré.
Nous entendons quotidiennement dire que nous sommes dans un monde d’images, or nous vivons d’abord dans un monde de mots. Dans la situation de l’Afrique, les mots construisent le discours dominant de nos élites politiques qui se positionnent en interprètes et relayent ces mots qui pèsent sur nos vies, qui jouent avec nos vies. Les dirigeants et les politiciens africains assomment leurs peuples en s’érigeant comme les exécutants du discours dominant. Force est de constater que les élites politiques prêtent le flanc, voire sont très réceptives à ces mots et c’est la raison pour laquelle les idées et les fausses promesses circulent et pénètrent si facilement l’Afrique, nous envahissent et s’imposent à nous.
Aussi, il est important de décrypter ces mots qui rythment notre existence, conditionnent notre avenir. Faire apparaître les liens jamais anodins qui existent et qui se nouent avec ceux qui les ont forgés, modelés, c’est important pour comprendre cet étau qui nous étouffe et nous empêche d’aller de l’avant.
Dans l’espace françafricain, la lutte contre le terrorisme est devenue aujourd’hui prioritaire par rapport à la lutte contre la pauvreté. Ce mot d’ordre mobilise désormais les dirigeants politiques, les médias, tous les services de sécurité. Il n’est plus question de lutte contre la pauvreté ou de plan de réduction de la pauvreté.
On aura oublié que les maîtres du jeu qui créent ces mots, nous ont imposé des réformes économiques et structurelles au nom de la lutte contre la pauvreté présentée il y a, quelque temps, comme un axe d’intervention prioritaire pour les gouvernements africains. Ceux qui nous gouvernent et dont les intérêts financiers et la survie politique en dépendent, se sont mobilisés pour mettre à exécution les innombrables plans d’ajustement structurel.
Lesquels plans d’ajustement structurel ont été présentés par le FMI et la BM comme la solution pour les économies africaines surendettées. 80% de ces plans ont été un échec grave de l’aveu même des dirigeants des institutions de Brettons Wood. Très rapidement, d’autres mots furent enfilés sur la corde qui nous étrangle; entre autres, l’initiative PPTE. Elle vise, en principe, à ramener à un niveau acceptable la taille de l’endettement des pays éligibles, mais pour cela un vigoureux plan d’ajustement structurel (encore!) doit être accepté et exécuté sur 6 ans. Les populations africaines déjà lourdement éprouvées par ces initiatives, n’en peuvent plus de devoir faire des sacrifices supplémentaires. Alors, pour éviter que la marmite qui bouillonne, de plus en plus, ne saute, un autre mot, un autre concept est parachuté ; on nous a fait croire que la démocratie, l’ouverture démocratique est l’espoir pour les peuples.
Un matraque médiatique voire psychologique promet à ceux qui sont démunis, à ceux qu’on a appauvris, qu’avec la démocratie s’installera un nouvel ordre économique, politique et social plus juste qui leur garantira un emploi, un droit à l’éducation, un accès à l’eau potable et aux soins etc…
Les nouveaux dirigeants politiques issus des élections pluralistes ont le dos au mur et n’ont aucun moyen, ni la latitude de satisfaire les attentes des électeurs et électrices mobilisés, et qui attendent que cette nouvelle classe politique réponde devant eux de leurs promesses. Les maîtres du jeu imposent à cette nouvelle classe issue des urnes, d’adopter un cadre macro économique qui, soi-disant, répond aux exigences et attentes de leurs électeurs. Ce sera la dévaluation imposée de janvier 1994.
Ce changement de parité brutalement décidé, a mis en lumière, pour les populations africaines démunies, le caractère scandaleusement déséquilibré des rapports de force entre les dirigeants africains et les maîtres du jeu. Le jeu démocratique était une illusion, l’exercice du droit de vote s’était limité aux modalités d’accès au pouvoir d’acteurs politiques qui voient la réalité du pouvoir leur échapper totalement. Ils n’étaient que des instruments des maîtres du jeu.
La dévaluation l’a fait comprendre à tous. Le désenchantement par rapport à ladite démocratie est immense. « Si la démocratie doit accentuer la pauvreté, semer la haine dans les villes et villages, autant revenir à l’ordre ancien » ; c’est le sentiment le plus partagé dans les pays africains.
Les rébellions, les mutineries et les Coups d’Etat reviennent sur le champ politique. Et, le discours s’adapte comme un caméléon à la situation politique, économique et sociale ainsi créée.
La bonne gouvernance, des élections libres et transparentes sont les mots clés de la nouvelle ère qui doit permettre l’instauration d’une démocratie apaisée, autre concept qui se déclinera par l’ouverture du pouvoir aux opposants. Ces opposants qui n’auront de cesse de dénoncer les mascarades électorales; les libertés d’opinion, de vote, d’expression dévoyées par l’argent, la mainmise du pouvoir sur les médias qui est choquante ou encore pointent, l’autocensure des médias par crainte de subir les nouvelles formes sophistiquées de la répression politique, le tout limitant considérablement la liberté de la presse.
Sur le plan économique, l’approche des années 2000 verra le début de l’offensive de la Chine sur le Continent africain. Cette étape se déclinera par l’arrivée dans nos vies, de nouveaux mots : la justice Internationale, la fin de l’impunité, les droits de l’homme, la CPI. D’importantes ressources financières seront mobilisées pour mener la nouvelle croisade « humanitaire ». Et, comme toujours, les élites intellectuelles, dans de nombreux secteurs seront recrutées pour coloniser nos esprits par l’usage intense et abusif du discours dominant. En 1950, des Droits de l’homme, Aimé Césaire disait déjà: “Et c’est le plus grand reproche que j’adresse au pseudo-humanisme: d’avoir trop longtemps rapetissé les droits de l’homme, d’en avoir eu et d’en avoir encore une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et tout compte fait, raciste. »
Force est de constater, que rien n’a changé, en matière de lavage de cerveau, de viols de nos consciences hormis la sophistication et l’utilisation de techniques de marketing pour la diffusion de ces mots qui véhiculent des concepts et qui deviennent des mots d’ordre à exécuter, bouleversant totalement nos vies et marquant davantage encore le poids grandissant des bailleurs de fonds ou plutôt, comme dirait l’autre, de la Communauté des créanciers, sur nos dirigeants politiques lesquels ont accepté de monnayer leur souveraineté en s’aliénant davantage.
Ces dernières années, les maîtres du jeu ont effacé de leur mémoire, tous les discours sur l’afro-pessimisme; rappelez-vous, les Africains devaient bientôt disparaître de la surface de la terre, décimés par le Sida, la famine et la malnutrition. Que les entreprises françaises se désengageaient massivement du Continent. Pour aller où? Pas de précisions!
Toutes sortes de chiffres, diagnostics, statistiques, ouvrages commandités sur l’Afrique Subsaharienne sont publiés par les fameux spécialistes de l’Afrique, disant tout et n’importe quoi, alimentant en continu les théories de l’Afro-pessimisme.
Constatant l’avancée de la Chine dans l’espace françafricain mais aussi l’érosion constante des parts de marchés des entreprises françaises dans de nombreux secteurs, sans compter l’arrivée des pays comme la Turquie, le Brésil, l’Iran, l’Inde, les maîtres du jeu ont brusquement changé leur fusil d’épaule.
Et comme à l’accoutumée, une nouvelle orientation politique suppose de nouveaux mots : émergence, partenariat gagnant-gagnant sont conjugués à tous les temps. Un véritable lifting est opéré dans le discours des médias françafricains. On parle de réussite de nombreux pays africains. Des taux de croissance meilleurs que ceux de nombreux Etats européens! Le Président français, Macron, fait une tournée africaine, et les anciens mots – démocratie, droits de l’homme, justice internationale, fin de l’impunité – sont effacés du discours du dominant, voire de son langage. Désormais, nous sommes un marché, l’Afrique est même le nouvel eldorado qui doit s’ouvrir pour un partenariat avec la France qui a des liens séculaires avec l’Afrique, et qui est prête à jouer les premiers rôles. Le pays de Macron a déjà tissé sa toile d’araignée en faisant main basse sur tous les secteurs qui sont de véritables niches d’argent pour ses multinationales, qui ont ainsi raflé d’importantes parts de marché dans de nombreux secteurs, mais aussi ont obtenu des matières premières bon marché en se contentant simplement de donner de bas salaires.
Sur le plan politique, les maîtres du jeu, rassasiés d’or et de pierreries, ferment les yeux, la bouche sur les tripatouillages constitutionnels, sur les présidences à vie etc. C’est le partenariat donnant -donnant.
Pendant que l’on nous demande d’ouvrir nos frontières, nos esprits aux sociétés étrangères, eux, verrouillent leurs portes, les sans papiers sont devenus des migrants, et d’ailleurs, la nouvelle politique repose sur une externalisation de la lutte contre les migrants en y associant certains pays africains.
Dans les sociétés africaines, les mots ont une valeur essentielle. Ils servent à apaiser les douleurs, soignent les cœurs meurtris. Les mots résolvent les conflits sociaux, familiaux, tribaux. C’est la raison pour laquelle un homme qui ment est un homme que l’on qualifiera de sans honneur, sans parole donc sans considération sociale.
Il convient donc de reconsidérer ces mots venus d’ailleurs, qui ont causé tant de misères dans nos sociétés, qui ont été utilisés pour plaquer des politiques qui ont ruiné nos économies, qui nous ont cassé de l’intérieur et colonisé nos esprits. Il est impératif donc que la jeunesse africaine les démystifie totalement, ne se laisse pas prendre par ce nouveau discours flatteur et trompeur qu’il convient de revisiter, tout en gardant à l’esprit, comment tout au long de ces années, des mots ont été créés pour porter des politiques, pour construire et diffuser des discours misérabilistes sur l’Afrique, présentée comme un continent totalement incapable de se gérer. Ceci bien sûr, sans refléter nos réalités, ce que nous savons de nous-mêmes, sans prendre en considération nos aspirations et nos besoins véritables.
C’est l’énorme défi qui interpelle tous les acteurs politiques, les jeunes et la société civile qui doivent se soustraire de cette politique des mots d’ordre et se démarquer de tous ceux qui s’en font l’écho. C’est l’incontournable voie, pour nous Africains, de connaître et reconnaître nos atouts, nos faiblesses, de réajuster nos rapports au reste du monde, surtout de nous remettre en cause, d’exprimer notre volonté de réécrire par nos propres mots, notre Avenir.
Tres bonne idee mon frere si on peux se joindre pour passer le message ensemble.