La loi Macron sur l’Asile et l’Immigration a été adoptée par l’Assemblée Nationale française par 228 voix pour et 139 contre. Le Front National et les Républicains ont largement approuvé cette loi, tandis que l’opposition à cette loi qui marque un net recul des droits des étrangers, était composée de députés de la France Insoumise, de la Nouvelle Gauche et du Parti Communiste. Le débat et la controverse autour de cette loi a commencé, il y a plusieurs mois, par le voted’une loi instituant un délit de solidarité pour punir ceux et celles qui venaient en aide aux migrants en situation de détresse et en danger de mort. Rappelons que M. Cédric Herrou a été condamné pour avoir accompagné et accueilli des migrants venus d’Italie. Mme Martine Landry qui a aidé deux mineurs africains et les a conduits jusqu’à la police de l’air pour une prise en charge par les services de l’Aide sociale à l’enfance, elle aussi, a été poursuivie en justice. Ainsi, une démocratie, la France, des hommes politiques et des juges ont estimé qu’un acte de solidarité, un geste élémentaire d’humanité ayant permis de sauver d’une mort certaine, des hommes,  devait être criminalisé et des peines de prison prononcées.

Emmanuel Macron, lors de sa grande interview à Médiapart et à BFMTV, avait réaffirmé toute sa détermination à aller jusqu’au bout de ses réformes dont celle concernant le droit d’asile et l’immigration. Soulignons que, lors de la campagne électorale, le candidat Emmanuel Macron avait déclaré que « la France doit assumer sa juste part dans l’accueil des réfugiés », une fois élu, il avait renié son engagement, opéré un virage vers la répression et les principes sécuritaires qui irriguent désormais son projet de loi Asile et Immigration. C’est ainsi qu’il est resté sourd au concert national et international des voix des associations humanitaires comme Emmaüs, France Terre d’asile, le HCR, la Croix Rouge et même l’UNICEF qui se sont élevées pour dénoncer toute une série de nouvelles mesures attentatoires aux droits les plus élémentaires des personnes concernées.

On peut ainsi citer la mise en détention de mineurs, actuellement 300 sont retenus dans des prisons « administratives ». La nouvelle loi prévoit aussi lamise en place d’un examen permettant de détecter un trouble psychologique lors de la visite médicale par les services concernés. La période d’emprisonnement des personnes en situation irrégulière, en attente d’expulsion, se voit doublée. Au sujet du droit d’Asile, les délais d’examen sont raccourcis, passent de 11 mois à 6 mois et le délai de recours réduit d’un mois à 15 jours. Raccourcir les procédures et réduire les délais de recours pour expulser plus vite un nombre plus important de personnes. C’est l’essence de la réforme engagée par Macron. C’est un recul considérable en matière de droit d’asile, dans la mesure où c’est dans la lenteur que les situations des demandeurs d’asile pouvaient être bien examinées, étudiées et qu’une écoute spéciale pouvait être poséeet des solutions adéquates proposées à des personnes majoritairement en situation de souffrance et de détresse. Le délit de solidarité mis en place avant le vote de la loi a été juste amendé, il demeure donc dans la loi adoptée. Après le délit de solidarité, il ne reste à Macron qu’à instituer le crime de fraternité, a souligné un député. Cette nouvelle loi affaiblit donc le droit d’asile, et rogne les droits des étrangers. Les quelques voix de députés de la LREM qui s’étaient exprimées contre les aspects les plus répressifs du texte de loi, se sont finalement abstenues sur l’ensemble du texte devant les menaces du chef du groupe parlementaire LREM contre ceux ou celles qui voteraient contre le projet.

Ce qui est frappant, devant cette levée de boucliers en France, à l’écoute des débats parfois virulents des interpellations jusqu’au Parlement Européen, c’est le silence assourdissant dans les Capitales africaines, silence et indifférence  des élites politiques, des ONG, des membres de la société civile, des personnalités considérées comme des personnes ressources, des leaders d’opinion. Bref, pas âme qui bouge et qui ne pipe mot sous les tropiques. Et pourtant ! Il en va du sort de beaucoup d’Africains, d’hommes, de femmes, de jeunes adolescents mineurs qui ont quitté leur pays et se sont embarqués, à partir des côtes africaines, vers les côtes européennes. Comment expliquer que le sort et le traitement dégradants auxquels ils sont soumis, une fois sur le territoire français, ne deviennent pas une question qui interpelle les autorités politiques des pays africains et leurs opinions publiques? On constate même que cette attitude de profil bas est quasiment unanime dans l’espace françafricain. Jamais les États africains ne se sont émus des expulsions musclées, des mauvais traitements subis par leurs fils et filles sur le territoire français; et face à la surenchère des médias français pour qui  » la vague de migrants qui submerge le pays est l’expression de la faillite économique des régimes africains qui sont dévastés par la corruption et la mal gouvernance. C’est pourquoi leur jeunesse brave les océans et la mort, à la recherche d’un avenir meilleur. » Quant aux hommes politiques, ils ont à la bouche un discours xénophobe: « la France ne peut accueillir toute la misère du monde “! La fameuse phrase de Michel Rocard est devenue un véritable slogan pour les hommes politiques français. Emmanuel Macron nous l’a encore sortie lors de son interview sur Médiapart et BFMTV. Face à cette agression verbale tous azimuts, devant les propos humiliants et dégradants, mais aussi constatant les actes d’emprisonnement d’enfants mineurs, les actes de violence multiples, nous observons en silence, dans unehonteuse inertie  ce déluge insupportable.

Ces jours-ci, des groupuscules d’extrême droite ont créé le groupe Génération Identitaire, une espèce de KU KLUX KLAN contre les migrants. Une opération avec des hélicoptères loués a eu lieu, pour poser des barbelés et des grillages afin de bloquer les routes de montagnes empruntées par les migrants. Dans cette société française, de nombreuses personnes profitent du climat de haine pour se lâcher contre les migrants qui sont, d’ailleurs, rassemblés autour de cette appellation qui gomme leur identité pour mettre en avant leur condition, justifiant ainsi les mesures prises contre eux. Il est choquant de constater cette posture d’indifférence de nos États et de nos fameuses ONG par rapport à ces multiples dérives et violences contre nos frères et sœurs.

Surtout que, une fois installés dans l’hexagone, ces mêmes hommes et femmes travaillent d’arrache-pied, que ce soit, de manière légale ou au noir, et démontrent qu’ils sont majoritairement d’utiles forces de travail. Faut-il expliquer qu’une politique d’accueil d’immigrés ou de demandeurs d’asile rapporte de l’argent, dans la mesure où les immigrés, par leur travail participent au PIB, payent des impôts etc. Ce fut le raisonnement développé par le patronat allemand pour soutenir la Chancelière Merkel dans l’accueil de plus 800.000 réfugiés. La France, selon les statistiques officielles, accueillent 150.000 immigrés, toutes catégories confondues, regroupements familiaux inclus et dans le même temps 150.000 français quittent la France, chaque année, pour s’expatrier dit-on, et non immigrer !

Sans compter, et il faut le rappeler avec force, que chaque année, des centaines de milliards sont envoyés en soutien à leurs familles restées au pays par ces mêmes hommes et femmes migrants. Ces milliards représentent une manne financière importante qui contribue de manière essentielle à améliorer les conditions de vie de nombreuses familles sur le continent. Ces migrants constituent aussi la diaspora africaine représentée dans la plupart des pays africains par un ministère spécial. Ces Africains de l’extérieur sont aussi des électeurs convoités lors des campagnes électorales.

Comment alors comprendre que nos pays, nos élites, les autres corps sociaux, les partis politiques de tous bords, se distinguent par une incapacité totale à réagir, à dénoncer, à formuler tout simplement un point de vue critique sur les questions qui touchent les Africains en situation d’immigration ou de demande d’asile ?

Comment expliquer que nous ayons une capacité extraordinaire à encaisser toutes sortes de violences, mais sommes comme anesthésiés, sans ressource pour traduire en actes  notre indignation et faire en sorte qu’elle s’exprime, enfin, par les voies officielles, par nos associations, par des groupes de citoyens etc. Quel regard les députés français qui ont vigoureusement dénoncé cette loi, portent-ils sur nos gouvernants indifférents, mais aussi, sur nous mêmes, citoyens passifs?

Des associations françaises s’activant dans l’humanitaire se sont mobilisées contre cette loi inhumaine alors  que  nos ONG africaines ont mis la tête dans le sable, de peur de mécontenter leurs bailleurs de fonds. Triste !

Si, nous, Africains, détournons le regard et développons un véritable art dans l’esquive et le silence, oubliant nos principes, valeurs et devoirs envers nos frères et sœurs, baissant les bras, étouffant notre indignation, bref démissionnant de tous les fronts, se laissant impressionner et au finish, être indifférents à la situation de nos frères et soeurs migrants, faut-il s’étonner que personne ne nous respecte ?

Notre essence africaine est construite autour des valeurs de solidarité, d’humanité. La perte de notre faculté d’indignation agit sur nous comme une chaîne qui nous enserre, nous étouffe et nous paralysera à jamais. Si dans l’ensemble de cet espace françafricain, tout le monde est paralysé, qu’aucune expression d’une quelconque indignation n’émerge de nulle part, comment s’étonner qu’aucun acte d’engagement ne soit posé pour exprimer un point de vue critique ?

Car, c’est toujours d’une indignation que naît un engagement qui forge une résistance et permet une action. Et c’est pourquoi, nous devons défendre le fait que les Africains sont des sujets de droits, ont desdroits dont la violation -quel qu’en soit l’auteur- doit nous faire réagir. Vigoureusement ! Nous aurions alors relevé la tête, exprimé notre colère contre l’injustice et démontré que nos sociétés sont capables d’exprimer pacifiquement leur indignation, mais aussi que notre solidarité reste intacte et agissante envers nos frères et sœurs qui ont, certes migré, mais n’ont jamais coupé avec leurs racines et aident leurs familles. Notre indifférence est la pire des attitudes, elle contribue à installer un état d’esprit démissionnaire, d’autant plus que, et chacun l’aura compris, le profil bas adopté dans tous les pays africains sur le sort des migrants en France, nous met face à nos insuffisances, notre peur, notre immobilisme dès lors que nous réalisons qu’il faut mettre en cause l’ancienne puissance coloniale et ses élites.

60 ans après les indépendances, seuls quelques esprits libres et courageux, mais solitaires, osent le faire, tandis que la majorité demeure silencieuse, et décourage, voire empêche que des forces sociales de résistance émergent dans nos pays et qu’une opinion publique naisse et grandisse. Ainsi se pérennise un système que nous accompagnons nous-mêmes par nos peurs, notre maslaha aussi, et consciemment ou inconsciemment, nous formatons notre jeunesse à se loger  dans ce moule que nous laissons en héritage aux générations futures. Ainsi, s’enracine l’esprit de soumission, l’absence totale de réactions organisées, ce qui permet aisément à la françafrique d’étaler ses tentacules, de nous contrôler et nous imposer sa volonté.

Aussi, plus que jamais, il urge d’éveiller les consciences, d’exprimer son indignation, de s’engager, de mobiliser la jeunesse, de résister et d’agir. C’est à  ce prix qu’il est possible de peser sur le cours de l’histoire, de se faire respecter et de faire respecter ses droits.

 

Par Mme Fatimé Raymonne Habré

Cette chronique a été publiée ce jour 07 avril 2018 par le journal Dakartimes

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