Dans une intervention dressant le bilan de la diplomatie sénégalaise, M. Yoro Dia a mis en exergue les succès de la diplomatie sénégalaise tout comme ses échecs. Dans l’énumération des succès de la diplomatie sénégalaise, il a cité le « procès Habré ».

Ce n’est pas la première fois qu’une telle affirmation est faite. Celui qui nous la répète régulièrement, dès qu’une occasion quelconque se présente, c’est M. Sidiki Kaba, la personnalité sénégalaise la plus engagée dans cette affaire. Son implication personnelle dans le dossier et son actuelle  position à la tête de la diplomatie sénégalaise expliquent très certainement que le « procès Habré » soit requalifié de succès diplomatique pour le Sénégal par M. Yoro Dia.

L’Affaire Habré, faut-il le rappeler, a été une initiative conjointe menée par des pays occidentaux et autres dont la France, la Belgique, l’Union européenne, la Libye de Kadhafi et le Tchad d’Idriss Deby, etc. Les poursuites judiciaires, plus précisément ce qui en tenait lieu, ont été lancées au nom de la justice pénale internationale organisée et contrôlée par les mêmes pays occidentaux.

Cette soi-disant justice pénale internationale est devenue un instrument de la diplomatie occidentale, un moyen, un outil pour dérouler  une véritable action de règlements de comptes et d’élimination de certains dirigeants africains. Dans la mise en œuvre de cette politique d’instrumentalisation de la justice,  une mobilisation de certains acteurs a été initiée pour contribuer au succès de cette œuvre d’injustice ; il s’agit des ONG et des médias. Telle a été la stratégie déployée pour arriver à fragiliser la situation du Président Habré au Sénégal et le condamner à mort  tranquillement.

Le fameux procès Habré a mis en évidence la place de l’argent dans une procédure prétendument judiciaire, notamment  le financement de tous les acteurs, pendant plus de 10 années, substantiellement assuré par des fonds libyens, puis, par Idriss Deby. Le Sénégal a permis que ce complot se déroule à la satisfaction des bailleurs de fonds, et y a participé activement, en permettant que lesdits bailleurs impliqués dans la prétendue procédure judiciaire et déterminés à nuire au Président Habré, se positionnent pour y jouer les premiers rôles.

C’est dire donc, que le procès Habré a, d’abord, été la démonstration de la diplomatie d’influence à la française. De fait, la France a révélé sa capacité de faire faire aux autres ce qu’elle ne veut pas faire elle-même,  en leur démontrant qu’ils y ont intérêt, qu’ils y gagnent. Cette politique d’influence va s’articuler autour d’objectifs très précis en direction des responsables politiques, de ceux de la société civile, des ONG, des médias, des membres d’instituts bénéficiant de fonds de pays européens, assurant ainsi une présence médiatique; mais aussi produisant une  importante contribution en soutien à cette politique de liquidation politique sous le manteau de supposées procédures judiciaires. On constate donc que le Sénégal y a adhéré et l’a soutenue en mettant à disposition « ses magistrats et un terrain pour construire une prison » avant même le début du simulacre de procès, comme l’a si bien dit, M. Ali Ciré Ba, administrateur des Chambres Africaines Extraordinaires.

Faut-il comprendre que le succès diplomatique que le Sénégal aurait tiré de l’affaire Habré résiderait  finalement dans l’exploitation de cette affaire pour sa promotion, son image, mais aussi dans son engagement à aller jusqu’au bout, jusque dans la condamnation à mort du Président Habré, exécutant ainsi  le deal conclu avec ses alliés français, européens et autres dans cette affaire ? Le succès diplomatique se nicherait donc dans la satisfaction exprimée par  des Etats qui ont montré leurs capacités d’influence et  de puissance sur le Sénégal !

Si l’on y regarde de près, si l’on met sur la balance, ce que le Sénégal a gagné en termes de points positifs dans le procès Habré et ce qu’il a perdu dans  cette affaire, on ne pourra plus alors parler de succès diplomatique. Jugez-en !

Le Sénégal s’est toujours défini à l’international, en mettant en avant son  système démocratique qui fait de lui un Etat de droit d’une part,  et l’une de ses valeurs cardinales, la Téranga, d’autre part. Or, précisément, le procès Habré a mis à rude épreuve ces deux fondations de la Maison Sénégal.

Les tenants de la  prétendue justice pénale internationale ont créé la CPI  pour éviter de recourir à des tribunaux spéciaux. Or, quand  les commanditaires de l’affaire Habré se sont rendus compte que la plus haute juridiction sénégalaise, précisément la Cour de Cassation avait décidé que le Sénégal ne pouvait juger l’affaire Habré et qu’en plus, son cas ne pouvait pas  être soumis à la CPI, ils ont décidé d’ignorer les grands discours prononcés au sujet de cette Cour désormais permanente et de bricoler avec l’assentiment du Sénégal, la mise sur pied d’un pseudo tribunal, un instrument honteux,  comme il n’en a jamais existé dans le monde,  avec la mission de condamner le Président Habré.

En s’engageant à condamner le Président Habré, le Sénégal venait aussi de piétiner une valeur fondamentale à laquelle son peuple est viscéralement attaché : la légendaire hospitalité, la Téranga. Il devenait ainsi le seul pays au monde qui, après avoir accordé, en bonne et due forme, l’asile à un ancien Chef d’Etat, s’est retourné contre lui, pour le « juger », le mettre en prison et le condamner à  perpétuité. Illégalement et sur commande de puissances étrangères !

De plus, l’ouverture de ce que l’on a abusivement appelé le procès Habré, a mis à mal  les grands principes d’un Etat de droit et a démontré que la volonté politique d’un pouvoir pouvait ouvrir une brèche dans un système démocratique et y loger un régime d’exception, des lois d’exception, de choisir des magistrats non indépendants et partiaux pour s’assurer d’un verdict décidé par avance.

La justice dans un  régime démocratique suppose  la tenue d’un procès juste et équitable. Le procès juste et équitable exige la réunion et le respect de nombreuses conditions techniques. Or, cela n’a jamais été la volonté du Sénégal et, encore moins celle des bailleurs. Quand on constate dans une procédure judiciaire,  la suspension volontaire et organisée de l’Etat de Droit, le temps de liquider un homme, on est en droit de se demander : comment peut-on considérer qu’une telle attitude, d’une part, attentatoire à tous les grands principes juridiques qui irriguent un procès pénal, et d’autre part, constitutive de violations de nombreuses conventions internationales signées par le Sénégal, peut engendrer un quelconque succès ?

On a vu l’Etat du Sénégal organiser un procès sui generis, obéissant à un temps politique, de manière expéditive pour exécuter un contrat diplomatico-financier, plutôt que rendre justice. Comment peut-on parler de succès, quand la communauté du Droit au Sénégal constituée par les universitaires, les chercheurs, les étudiants, les magistrats, les juristes, les avocats, s’est mise en marge de ce procès spécial et spécieux, l’a ostensiblement boudé, n’y a pas assisté, ni suivi le déroulement pour y travailler d’une façon ou d’une autre. Même ceux qui, de manière pointue, ont donné de la voix pour soutenir cette pseudo action judiciaire, en contrepartie des fonds versés par les bailleurs du procès à leurs différentes organisations,  se sont abstenus de le suivre et ne se sont pas donner la peine d’assister aux audiences.

Où est le succès quand, on nous avait annoncé que le peuple sénégalais allait s’approprier ce procès par une présence massive en prenant part aux audiences organisées dans la salle N°4, entièrement rénovée et équipée, par le budget des CAE à hauteur de 300 millions de francs CFA avec 1500 places ?  Et qu’au finish, ce fut un immense échec, la salle des audiences était désespérément vide, à peine 50 personnes. Ce fiasco dans la mobilisation, est  le symbole d’un refus de cautionner une mascarade judiciaire. Les organisateurs du procès l’ont tellement bien compris, qu’ils renoncèrent eux-mêmes à la diffusion en direct du procès, après avoir, rappelez-vous, piétiner la décision du CNRA interdisant la retransmission en direct du procès.

Où est la réussite quand aucun pays africain n’a participé au financement de ce simulacre de procès, mis à part le rôle majeur joué par Idriss Deby, financier principal du faux tribunal, enquêteur, accusateur, et finalement maître du jeu quant au fonctionnement de cet instrument de règlement de comptes positionné au sein de l’organisation judiciaire du Sénégal. C’est dans cette forme de collaboration entre une dictature et un Etat qui se veut de droit, que dérivent et s’abâtardissent les démocraties.

Quoi d’étonnant de relever que la réalité des choses est ainsi maquillée pour assurer la promotion d’hommes politiques qui se sont positionnés résolument, en toute conscience, pour détruire un homme au nom de leurs intérêts personnels.

Les  Africains font face, quotidiennement, à une manipulation de l’information, à une désinformation  organisée et portée par différents canaux. La CPI qui, en 17 ans, a rendu 2 décisions définitives qui concernent des Africains, et a enrôlé  pour jugement 7 autres affaires encore africaines, trouve encore et toujours des voix africaines qui la défendent, en fermant les yeux sur son mécanisme, sur le choix de ses cibles, sur l’analyse des actes que cette Cour hautement politique pose. Arbitrairement, scandaleusement!

Aujourd’hui, la guerre économique qui fait rage sur le Continent africain a démontré les limites d’action, d’influence de certains pays, qui ont déjà opéré un grand virage par l’abandon des discours sur la justice pénale internationale comme moyen de pression sur les dirigeants africains (comme nous l’avons souligné dans notre analyse sur le discours de Macron à Ouagadougou), pour obtenir une décrispation sur certains dossiers. En outre, des juristes français ont été mobilisés pour réfléchir à un élargissement des domaines de compétence de la CPI aux grandes multinationales et aux organisations criminelles qui agissent en Afrique. Après justice et politique, nous voilà dans l’utilisation de la puissance du Droit dans la guerre économique, c’est ce qui explique les manœuvres pour que la CPI soit cet instrument qu’elle a toujours été  au service des intérêts politiques, économiques de ceux qui la financent, la contrôlent et l’actionnent.

Le véritable succès diplomatique du Sénégal dans l’affaire Habré, aurait été d’abord, de défendre l’Etat de Droit, autrement dit,  de respecter les décisions rendues en 2001 par sa propre justice sur cette affaire, et, ensuite de refuser de mettre en place un peloton d’exécution  contraire à ses valeurs essentielles, à son système démocratique, à la réputation de ses grands juristes, à ses nobles traditions, à l’éthique, à la morale et aux enseignements de toutes les religions.

En faisant le choix d’agir dans l’affaire Habré, contre et au mépris de ce qui fait l’âme du peuple sénégalais, ces hommes politiques ne pouvaient en aucun cas avoir du succès, mais ont seulement révélé au monde entier, que la démocratie sénégalaise est en crise et qu’elle  est bel et bien malade de ses élites.

Par Mme Fatimé Raymonne Habré

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