12 septembre 2019 #TCHAD #Sénégal : Dans la cour des Princes d’hier et d’aujourd’hui. (Fatimé Raymonne Habré)
Une cour, c’est l’ensemble des hommes et des femmes qui entourent le Prince, et qui remplit des fonctions domestiques et politiques. Le phénomène de cour a toujours été au cœur du pouvoir, qu’il s’agisse des royaumes d’antan ou de nos jours en République
La cour célèbre la gloire et sa fidélité au Roi, elle est aussi un lieu d’échanges, de réceptions d’hôtes étrangers. Rappelons que le pouvoir se consolidait par les guerres, l’accaparement des terres, des armes mais aussi par la construction d’alliances consolidées par des mariages, pour conquérir d’autres territoires et affirmer sa puissance.
La cour était aussi un lieu de résolutions de conflits par le compromis et la négociation. En République, la cour est constituée par le cercle familial, les hommes et les femmes du parti, le groupe des amis de la famille, ou ceux de la même promo que le Prince. On compte aussi les personnes ressources appelées les visiteurs ou conseillers du soir, les hommes d’affaires, mais aussi les hommes des médias qui ont des relations particulières avec le Prince. D’autres acteurs sociaux comme les griots et les artistes complètent la cour.
L’esprit de cour se déploie au contact du pouvoir. La détention de la puissance suscite depuis toujours la peur et explique que les courtisans à la cour soient serviles, soumis à la volonté du roi, coupés du peuple et ayant comme seul horizon leurs intérêts individuels. La cour est là, structurée, puis organisée, voyante, puissante, arrogante. Elle a connu au fil du temps, mais aussi des événements de nombreuses mutations. Abolie avec la disparition de la royauté, elle a néanmoins survécu et est toujours là car le pouvoir exerce toujours fascination et attirance sur beaucoup de personnes qui veulent en tirer profit.
Les artistes, griots et une autre catégorie assimilée aux bouffons des cours royales ont vu leur présence évoluée selon les époques et l’ambiance qui régnait à la cour.
En Afrique, qui dit griot dit pouvoir de la parole, artisan du verbe. Le griot est un instrument de prestige des puissants, arbitre parfois des conflits sociaux entre les grandes familles, il peut être généalogiste, gardien des légendes et des mythes. Dès lors, parler de pouvoir à propos des griots, c’est d’abord évoquer le pouvoir du griot , un pouvoir exercé sur ceux qui l’écoutent, c’est-à-dire toute la société .Tout influent qu’il soit, le griot subit lui-même des pressions externes. Elles peuvent être d’ordre matériel, le répertoire du griot est modifié pour plaire aux puissants. La plupart des présidents africains ont leur griot, il assiste à de nombreuses cérémonies. Il flatte l’égo des puissants en public, souligne leur présence, la rehausse, la commente avec emphase. C’est pourquoi de nombreuses personnalités soignent leurs relations avec le griot du Président. Récemment lors d’une cérémonie à laquelle assistait le Président Macky Sall, le griot avait oublié de citer au micro un membre de sa délégation. La personne n’a pas hésité à écrire un petit mot et le faire passer au griot. Celui-ci prit le micro et précisera la présence de cette personnalité. C’est dire qu’être cité par le griot du Président est signe de visibilité et de reconnaissance sociale. Ce qui est recherché, aussi, c’est montrer au Président que vous êtes reconnu comme tel, quitte à forcer un peu.
Aux côtés des griots, les bouffons sont aussi des membres influents. Erasme écrivait dans Éloge de la folie : « Les plus grands rois les goûtent si fort que plus d’un, sans eux, ne saurait se mettre à table ou faire un pas, ni se passer d’eux pendant une heure. Ils prisent les fous plus que les sages austères, qu’ils ont l’habitude d’entretenir par ostentation… les bouffons, eux, procurent ce que les princes recherchent partout et à tout prix : l’amusement, le sourire, l’éclat de rire, le plaisir. ». Au sein des pouvoirs africains , la même pratique existe, sont conviés avec un rituel bien organisé, à la table du couple présidentiel, des hommes et des femmes connus pour leur qualité de commentateurs amusants des faits divers et des ragots dans l’espace politique. Détendu, le Président est plus réceptif pour écouter les messages et répondre aux sollicitations du bouffon. Pour cela, le bouffon courtisan doit savoir écouter les rumeurs des salons de la capitale pour les rapporter aux éminences. Il lui faut aussi savoir raconter comment de nombreux indices témoignent de la popularité du couple présidentiel. Vrai ou faux qu’importe.
Il y a des monarques qui aiment les réceptions, les élites artistiques ou intellectuelles, les politiques, les amis, les flatteurs. C’est ainsi que les artistes ont été présents nombreux dans les cours royales en France dès le XIVe siècle. Mais quelle est leur place dans cet espace ?
Les artistes à cette époque avaient besoin de la protection d’un prince. C’est le seul moyen de financer leurs travaux. Souvent, les œuvres d’art étaient créées à la suite de commandes princières.
Ainsi le célèbre Léonard de Vinci, au gré des mouvances de la cour, changera de protecteur tout au long de sa vie et de sa carrière.
Pour ses commanditaires, Léonard de Vinci peint, sculpte, mais s’occupe aussi de mettre en scène des fêtes princières, pour éblouir la cour, chanter et la faire danser. C’est le parfait courtisan, qui doit se rendre agréable, irremplaçable et indispensable, en échange de quoi, il reçoit une pension qui lui permet de vivre confortablement. Aujourd’hui, de nombreux artistes, accompagnent les hommes politiques dans leurs campagnes électorales, hier comme de nos jours, par besoin comme par nécessité, ils chantent leurs réalisations, leur dédient des chansons et sont récompensés pour cela.
La courtisanerie a, au fond, peu changé depuis l’époque de Versailles, depuis le moment où La Bruyère évoquait les « ensorcelés de la faveur », « ils montent l’escalier d’un ministre, écrivait-il, ils n’ont rien à dire et ils lui parlent, les voilà contents, ils lui ont parlé ».
La difficulté inhérente à la société de cour est de se situer dans la bonne cabale. Le courtisan doit régler en permanence son attitude sur la situation du moment ; calculer, flairer, renifler, prévenir, suivre de près les faits et gestes. Être à l’affut de toutes les micro secousses, et s’informer de leurs causes et conséquences.
L’avènement de la Vème république va modifier profondément le rôle du président qui devient prépondérant. On dira de lui qu’il est un monarque républicain et faut-il s’étonner que l’on parla de château pour désigner l’Elysée.
Force est de constater que la personnalité du Président, sa conception mais aussi sa pratique politique vont influer sur son entourage, sur l’existence ou non d’une cour.
Le Général de Gaulle était entouré de fidèles qui s’adressent à lui avec respect et craignent ses foudres. Certains observateurs signaleront la présence de cire-bottes du Général sans accepter la présence d’une cour. Pompidou demandera à De Gaule de courtiser la classe politique sans laquelle le régime aurait des difficultés à s’implanter. Réponse du Général : « C’est au peuple que je veux être lié et non seulement à ses cadres. Je veux m’appuyer sur l’Etat, sur une masse de granit. »
C’est Mitterrand et ses deux mandats qui a donné la plus belle expression de la cour. Entouré de fidèles, il faisait le pèlerinage de Solutré entouré d’amis, d’artistes, d’intellectuels, d’hommes politiques. Les obsèques du Chef de l’Etat français où se côtoyèrent l’épouse légitime et la maîtresse nous ramenèrent à la Cour, à Versailles, sous le Roi Soleil, filmées par les caméras du monde entier.
Le Prince décide parfois d’élever ou de rabaisser certains de ses privilégiés. Ainsi en France, Sarkozy avait crée un petit conseil où seuls 7 ministres siègent à ses côtés chaque jeudi. Les autres ? Il va leur falloir redoubler de flagornerie pour en être .Le chef de l’Etat est devenu un monarque qui ne sépare plus l’Etat de sa personne. Dés lors, tout ce qui touche à la sphère privée devient, par contrecoup, un enjeu de vie publique. Cécilia Sarkozy en revenant au Château après sa première séparation, prit sa revanche sur la cour. Elle sépara celle-ci entre ceux qui avaient couvert son départ et ceux qui l’avait abandonnée et critiquée. Cruauté de cette vie de courtisans qui connaissent état de grâce et disgrâce, ce que vécut Rachida Dati, amie de Cécilia Sarkozy à l’arrivée de Carla Bruni.
Selon la lecture que l’on a du rôle que joue la Première Dame, elle sera, elle aussi, démarchée, observée dans tous ses faits et gestes et dans ses relations avec la Cour. Le courtisan cherche par tous les moyens à se rendre utile. Il est là pour exaucer les souhaits non formulés du Prince et se positionne comme conseiller, contournant les procédures, observant, décryptant les humeurs pour agir. Il est féroce quand il murmure, pour comploter, au Président ou à la Première dame : « tel ministre ne vous cite jamais quand il parle à la presse, il ne pense qu’à lui », « cet autre évite d’insulter notre ennemi ». Vous avez compris que l’ennemi : c’est l’opposant. « Cet autre ministre avec tout le budget et les marchés qu’il contrôle, il ne vous a jamais rien offert, Première Dame ! ».
Rappelons que l’ancien Premier Idrissa Seck avait parlé des hommes qui évoluaient dans cet espace comme étant des « dames de compagnies ». C’est à rapprocher avec ce qui se passe dans les cours des sultans arabes où il y avait des eunuques. L’eunuque était un personnage important parfois puissant même. Il contrôlait le harem, veillait sur le harem, pouvait communiquer à tout moment avec le roi. Il était aussi un agent de renseignement au sein de la cour et avec l’extérieur et rassemblait toutes les informations, rumeurs et ragots. Aujourd’hui, en République, dans le monde arabe, certains courtisans sont qualifiés d’eunuques quand ils sont devenus des hommes de main pour de sales besognes tout en se cachant « sous les plis des draps de sa majesté » pour traduire l’expression arabe. Cette terrible qualification répond à la férocité et à la lâcheté des courtisans.
Au Zaïre, un des gendres de feu Mobutu a écrit un livre intitulé « À la cour de Mobutu », très intéressant et plein de révélations sur ceux qui, du monde entier, venaient par vagues, offrir leurs services ou solliciter quelques avantages. De tous les horizons; de Rockefeller, au patron de CNN, sans compter Georges Bush alors directeur de la CIA, Jacques Attali, un nombre incalculable de ministres et d’hommes politiques français, des journalistes français de grand nom qui cherchaient qui, à prodiguer des conseils, qui, à proposer d’écrire un livre sur le Maréchal. Les hommes d’affaires du Monde arabe et de Chine s’y bousculaient avec de multiples projets. Citons aussi, les marabouts africains, les spécialistes de la magie noire, les grands érudits de la Oumma islamique qui prétendaient tous détenir des secrets extraordinaires pour conserver le pouvoir.
Ainsi va, la vie à la cour, hier comme aujourd’hui, rythmée par les intrigues, les sollicitations, les guerres larvées et les complots de toutes sortes.
Pour comprendre le jeu des relations entre le monarque Président et la cour qui se presse autour de lui, il faut noter qu’elle ajoute à ses yeux, l’éclat de son existence. Il est le Bien-Aimé. Plus s’étend le rayon de sa puissance, plus se précise la condition de dépendance de ses courtisans, et plus, affluent les hommes et les femmes autour de lui. Un des ministres de Sarkozy dira que pour ce dernier : « plus sa cour est voyante, plus son pouvoir est grand. Ce sont des roseaux (les courtisans) plus penchés que pensant, qui ne vivent qu’à travers le regard du Prince.»
Mitterrand, quant à lui, va utiliser à fond son pouvoir de nomination, de décorations, de prébendes. Il tient à annoncer lui même la nouvelle à l’heureux bénéficiaire, une façon de bien appuyer qu’il était le dispensateur des faveurs et honneurs. Il attisera les rivalités entre les courtisans issus de la société civile et les célébrités pour conserver la cour sous sa coupe. VGE, lui, se fera servir avant ses hôtes pour marquer la distance qui le sépare de ses courtisans-sujets.
La cour avait depuis longtemps compris que le pouvoir est toujours entre les mains d’une seule personne et s’exprime par la prise de décisions et par la capacité de les faire exécuter. Chacun a pleinement conscience que « Si veut le Roi, si fait la loi ».
Le fait du Prince est omnipotent. N’est-ce pas Sarkozy qui, dès son arrivée, à l’Elysée a multiplié par 2 son salaire, puis a commencé à manœuvrer pour positionner son fils à la tête de l’établissement public de la Défense. C’est la raison pour laquelle Hobbes disait que les hommes se délestent de leur liberté et de leur égalité entre les mains d’un maître supposé garantir leur sécurité. Le détenteur du pouvoir obtiendra ainsi des autres qu’ils le suivent. Il les mobilisera pour coordonner leurs actions et asseoir son pouvoir.
Faire faire par d’autres, ce que l’on ne peut pas faire par soi même et tout seul. C’est aussi cela le pouvoir. C’est pourquoi le Prince va lui -même être pris dans un réseau de contraintes dont il ne peut ne pas tenir compte. Ces contraintes viennent de forces adversaires mais aussi des alliés et des subordonnés. En s’y pliant, très souvent, ce pouvoir officiel du Prince sera critiqué, considéré comme étant de façade; on suspecte un pouvoir officieux obscur, malfaisant qui s’exerce par des influences, des incitations, par l’amour aussi, par la peur de déplaire. Autrement dit, des pressions qui dévoilent une emprise sur l’homme de pouvoir qui va agir mais en donnant toujours l’impression de décider par lui même.
Le courtisan établit des liens avec les autres courtisans de la Cour et s’organisent pour défendre par tous les moyens ensemble leurs places et leurs privilèges.
L’avènement de la communication dans la politique et l’hypermédiatisation des pouvoirs va faire entrer les journalistes dans la cour des présidents. Ils vont jouer un rôle important et être quelque part un véritable baromètre politique du climat et des tensions au sein des pouvoirs.
A l’observation, au delà des actions de conseils en communication traditionnels, les hommes de média proches de la station gouvernementale vont s’investir à écrire des livres pour mettre en avant les réalisations du régime, ou encore un livre sur le Président ou sur la Première dame. Le pouvoir exprimera aussi en retour sa gratitude. Quelques exemples.
Ainsi, Mitterrand avait nommé ambassadeur au Danemark, l’homme de lettres François Regis Bastide qui avait écrit un livre sur lui. Le journaliste Bruno Roger Petit avait été récompensé par Emmanuel Macron qui le nomma porte de parole de l’Elysée, après de nombreux articles écrits en sa faveur dans la presse. L’écrivain et chroniqueur Philippe Besson a sorti un livre, intitulé « Un personnage de roman ». Un portrait louangeur d’Emmanuel Macron. Pour cette œuvre, le fauteuil très convoité de Consul de France à Los Angeles lui sera offert. Macron n’hésitera pas, pour cela, à modifier par décret, les règles de nomination à ce poste qui posaient que le bénéficiaire soit diplomate.
Les relations hommes des médias et présidents vont connaître de nombreuses évolutions. Si Mitterand avait réussi à imposer un silence total aux journalistes sur l’existence de sa fille naturelle qui, pourtant, vivait à ses côtés avec sa mère, allait au restaurant avec lui, et ce durant 14 ans. En revanche, sous la présidence de François Hollande, affranchie de certaines contraintes, la presse n’a pas hésité à publier une photo du Président français Hollande sur son scooter allant rendre visite à sa maîtresse. La recherche du scoop et l’explosion des réseaux sociaux va provoquer des tensions sérieuses entre hommes politiques et hommes de médias.
« Certains cherchent à serrer des liens, d’autres n’ont pas d’amis », a notamment déclaré Emmanuel Macron, interviewé par Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel.
Les deux journalistes demandaient à Emmanuel Macron de commenter le comportement vis-à-vis du fisc de deux oligarques présumés être ses amis, Bernard Arnault et François Pinault. « Je n’ai pas d’amis », a alors répondu Emmanuel Macron. Une manière pour le Président français de dire qu’il n’est pas dans un conflit d’amitié, étant par définition Président de tous et ami de personne.
Mais comme le soulignera avec malice quelqu’un : Macron peut avoir voulu nous dire ; « Je n’ai pas d’amis, je n’ai que des obligés, je n’ai que des courtisans ».
Du côté des médias, à y regarder de près, ce qui a contrarié, c’est l’analyse de la conception du pouvoir de Macron avec l’idée dominante d’un pouvoir centralisé, vertical, solitaire et monarchique. Il faut dire que cette tentation autoritaire, la presse française en a fait les frais avec Macron ; le système des accréditations des journalistes à l’Elysée a été modifié, de même, que la salle de presse à l’Elysée a été déplacée à l’extérieur, Macron a souhaité procéder lui même aux choix des journalistes pour l’accompagner à l’étranger. Sur CNN, le président français s’explique ; « …les journalistes politiques en France ne veulent que, parler d’eux mêmes, au lieu de me parler des français et de leurs préoccupations. »
Ainsi donc, selon la vision et la pratique politique du Prince, selon aussi, sa capacité à accepter que l’esprit critique est indispensable à tout système démocratique, va dépendre et déterminer l’engagement de journalistes dans la définition de ses actions de communication politique. On aura relevé que Mitterrand a réussi grâce à une mobilisation exceptionnelle des services de renseignements à imposer un secret défense absolu sur sa double vie. Emmanuel Macron s’est organisé pour imposer un accès restreint à l’Elysée, il a aussi recadré publiquement certains journalistes, sans hésiter à exposer un mépris affiché pour la profession… L’exercice des rapports entre le président Macron et les journalistes nous dit qu’il souhaite les maintenir loin de lui et faire ses propres choix.
Aujourd’hui, dans de nombreux pays africains, on constate un glissement très important ; de ce face à face qui existait entre hommes de pouvoir et hommes de médias, dans de nombreux cas, le débat politique et démocratique entre les différents acteurs de la scène politique, a laissé place à des actions de ripostes, de part et d’autre, menées essentiellement par des journalistes, bien loin, de leur rôle traditionnel. Ce basculement s’est fait au détriment, des hommes et femmes des partis politiques dont le rôle principal consistait justement, à exposer leurs idées et à en débattre, entre eux, de façon démocratique.
Cette spirale d’attaques assumées par des médias, au service des chapelles politiques et au nom d’intérêts privés, interpelle les citoyens en démocratie. Les courtisans ont-ils pris le pas sur les partisans ? Ou bien c’est le militant a pris le dessus sur le journaliste? S’en est suivi un chassé croisé d’actions de communication qui met en avant et privilégie une lecture et une analyse des faits politiques essentiellement sous la loupe de la communication. Et la politique me diriez-vous ? Les journalistes ne sont pas des hommes politiques même s’ils observent et analysent quotidiennement les faits politiques et les prises de position d’acteurs politiques avec beaucoup de finesse et de perspicacité. Leur positionnement sur le front politique se fera à leur détriment. Ils se sont enfermés dans une caste, se dévoyant dans une société de cour et d’argent et ont ruiné leur crédibilité auprès de l’opinion publique.
En politique, celui qui exerce le pouvoir, n’est pas seul, il a, à ses côtés, toute une chaîne d’institutions sur lesquelles repose sa légitimité. Elle peut être d’origine religieuse, découlée du peuple souverain ou parfois des ancêtres. C’est tout le mystère du pouvoir qui est individuel et collectif, personnel et impersonnel.
En société, une pluralité de liens enserre les individus ; on parle de cercles, de mafia, de réseaux, d‘associations, de clans, de cour. Autant de façons qu’ont les êtres humains de se rendre dépendant les uns et les autres. A l’analyse, peu à peu, la cour en tant qu’institution, se transforme et n’est plus la même, seuls les courtisans semblent éternels. Indéniablement, plusieurs facteurs expliquent que la cour en République ait connu un second souffle ; la révolution numérique et l’émergence de nouveaux médias mais aussi les rivalités d’ambition, les oppositions de personnes qui s’affrontent avec d’autant plus de virulence que le combat pour le pouvoir engage aussi leur avenir personnel. Mais aussi quelque part, l’affaiblissement de l’Exécutif contraint de plus en plus à prolonger des mandats, tripatouillant la constitution pour éliminer des concurrents.
Ces élites de la cour s’entre-déchirent, montent des complots, des affaires, trouvent des boucs émissaires pour détourner l’attention et la colère populaire. La cour a toujours su pratiquer avec cruauté l’art d’abattre les ennemis du Prince. Aujourd’hui, la République use des mêmes procédés avec l’appui de la cour pour frapper fort et neutraliser les opposants au Prince.
Les mutations de la cour font qu’elle n’est pas seulement là où on croit la voir mais elle s’insinue partout comme un cancer. L’Affaire Betancourt a démontré l’existence d’une cour clandestine ; un monde caché où les intérêts publics et privés se confondent. Un monde obscur avec ses codes, ses secrets. Un monde d’arrangements et d’échanges de services. La nouvelle cour aiguise ses appétits et s’impose par la surenchère. Pour comprendre cette mutation, il faut peut être se poser la question de savoir ; ce que sont devenus le pouvoir et la politique aujourd’hui? Le pouvoir, c’est la conquête d’une opinion, sa séduction à tout prix. Il est alors ; or, argent, lumières et célébrités pour Nicolas Sarkozy.
De nos jours, la politique tourne le dos à la réalité et se délecte dans l’artificiel, le superficiel et l’éphémère. Une approche utilitaire et opportuniste de la politique est ainsi mise en avant et seules les actions qui ont un intérêt immédiat et un apport tactique sont engagées. Soulignons aussi la place considérable de l’argent dans nos relations sociales ainsi que des médias sur le plan politique comme souligné plus haut.
Comprenons donc que le courtisan moderne est le même que celui de la cour du roi Louis XIV sauf qu’il n’est plus identifié comme tel et n’est plus ce personnage civilisé, galant, ayant de la prestance, connaissant les arts et la conversation, il en est que plus redoutable car il avance masqué, il use et abuse de sa position proche du Prince, fait du trafic d’influence avec beaucoup d’arrogance. Mais il reste cet éternel solliciteur mis à nu par le Figaro de Beaumarchais : « Recevoir, prendre et demander »
La révolution numérique a accéléré le processus d’une médiatisation galopante devenue une addiction pour les responsables publics. Chacun demande une réécriture médiatique de ses idées.
Ainsi se sont inversés les rapports entre hommes politiques et journalistes. L’homme politique a besoin du journaliste pour exister « sachant que audience vaut notoriété et notoriété pouvoir »comme on le dit souvent. Ce climat malsain va être propice à la multiplication des affaires et aux règlements de compte.
Des informations confidentielles contrairement au devoir de réserve des institutions qui les détiennent et en violation des droits des personnes, vont ainsi être mises à la disposition du journaliste et vont lui valoir une reconnaissance de ses talents de journaliste « d’investigation ». De nombreux observateurs préféreront parler de « journalistes gestionnaires de fuite » organisées par les autorités de justice, de police ou tout simplement par des hommes politiques du Prince.
C’est pourquoi, par exemple, dans l’affaire Habré, on s’est préoccupé avant tout de commettre un crime médiatique pendant de longues années à coups de millions déversés sans compter. A l’entame du procès, à l’heure de vérité, si l’on peut dire, à l’heure de devoir présenter des preuves à l’opinion ; il a fallu à nouveau organiser une oppression médiatique en posant sur la table 500 millions de francs CFA presque 1 million d’euros pour que « les médias accompagnent les Chambres Africaines Extraordinaires » selon les propos du représentant de l’Union Européenne à Dakar et ce, en violation de la présomption d’innocence mais aussi, en violation flagrante des règles déontologiques qui définissent ce qu’est la mission et le rôle du journaliste dans une affaire judiciaire. Est-on, dans ce cas, encore journaliste quand on a activement participé à une affaire politique donc l’objectif assumé était la liquidation d’un homme politique ? Ou devient-on de fait, autre chose ; un acteur politique, ou…. ?
Ce débat a opposé en France le journaliste Pierre Péan, décédé, il y a quelques jours, aux journalistes de Médiapart. La question reste brûlante sous tous les cieux et expliquent pourquoi les citoyens se détournent de plus en plus des élus et des médias.