1 décembre 2021 #TCHAD #Société : Le vivre ensemble et ses complications – Abderaman Koré l’explique à ses compatriotes.
ABBA GARDE : Les Tchadiens, dans leur diversité sociale, culturelle et économique, etc. s’acceptent de moins en moins. Le concept des liens pacifiques, de bonne entente s’effrite davantage. Qu’est-ce qui pourrait bien expliquer cette désagrégation du tissu social ?
ABDRAMAN KORE : De manière générale, toutes les sociétés connaissent des tensions sociales de temps en temps, et à des différents degrés, qu’elles soient liées à des crises sociales, économiques, politiques et autres. Dans les pays dits « sous-développés », les crises sociales sont souvent liées à la mal gouvernance, donc les politiques en place ne facilitent pas la cohésion sociale. Ce dernier temps, des événements qui se passent dans notre pays laissent voir que notre tissu social, déjà fragile, semble sérieusement mis en péril, dont les principales causes sont le manque d’une justice sociale, la défaillance de l’État dans certains domaines, et la montée en puissance du communautarisme. Tous ces éléments engendrent à leur tour des comportements ou des actes qui mettent évidemment en péril le vivre-ensemble. Plusieurs facteurs expliquent cette dégradation galopante du vivre-ensemble : d’abord le réchauffement climatique qui aggrave les conflits entre les éleveurs et les cultivateurs qui sont devenus récurrents. Ces dernières années, les pluies sont précoces ou très courtes, cela impacte gravement la production céréalière et les fourrages, ce qui engendre des conflits éleveurs-cultivateurs, qui se disputent la terre et l’eau. Deuxième facteur, c’est le chômage endémique qui frappe la population en général et les jeunes de moins de 30 ans en particulier, qui basculent dans la violence (trafics en tous genres, les vols à main armée, des agressions et des assassinats etc.…). À cela, s’ajoute l’utilisation abusivement néfaste des réseaux sociaux, où on voit ce dernier temps un développement inquiétant des discours haineux et divisionnistes aux caractères communautaires, qui menacent gravement la cohésion sociale. Il y a donc chez beaucoup de Tchadiens un sentiment d’injustice, de lassitude et d’exaspération qu’ils expriment parfois de manière virulente. Et enfin le dernier facteur, peut-être le plus important, c’est le contexte politique actuel que traverse notre pays, cette période d’incertitudes et d’inquiétudes, dans laquelle se préparent simultanément un dialogue national inclusif et des échéances électorales à venir, ne facilite pas les choses. Pour préserver l’unité nationale, la cohésion sociale, le vivre-ensemble et la paix, les autorités en charge de la transition doivent prendre des mesures fortes, efficaces et durables.
Nous constatons aussi la dégradation du tissu social surtout dans le milieu des jeunes. Il y a pourtant des associations qui luttent pour l’unité nationale et le brassage intercommunautaire, mais l’on observe néanmoins un repli identitaire sur les réseaux sociaux, des jeunes du Sud qui défendent uniquement que la cause du Sud et ceux du Nord qui en font pareil. Avez-vous toujours espoir en cette jeunesse et devrait-on recadrer l’utilisation de ces outils de communication ?
Vraiment, cette situation est très préoccupante certes. Sur les 23 provinces du Tchad, je n’ai pas visité que la province du Lac. Laissez-moi vous dire que de Dembo (Mandoul) à Tine-Djagaraba (Wadi-Fira), Bardaï (Tibesti) à N’Djamena, les Tchadiens vivent ensemble, et les appartenances d’où qu’ils soient ne posaient aucun problème. Le malheur du Tchad, ce sont nos prétendus intellos qui se veulent se faire voir et assouvir leurs intérêts égoïstes à tout prix et au détriment de ce peuple berceau de l’humanité. Ces manipulateurs dits influenceurs sont derrière cette dégradation, et c’est bien dommage alors que leurs plateformes virtuelles pourraient être utiles pour des fins constructives. Parmi ces gens, l’on dénombre des journalistes, des écrivains, des artistes, des politiciens ratés et quelques activistes. Personnellement, je ne me suis jamais senti bien chez moi à Mandjoura (Bahr-el-Ghazel) qu’à Dembo (Mandoul), alors, j’ai confiance en notre jeunesse. La solution ne serait pas de restreindre les libertés fondamentales, mais plutôt de vulgariser la nécessité du vivre-ensemble. Comprenons qu’il n’y a qu’un seul Tchad et nous sommes tous des êtres passagers. Voudrions-nous que ce pays soit un bel héritage pour la génération future ou bien un champ de rivalités néfaste pour notre survie ?
La question reste posée.