Ndjamena a la sienne. Le N’Djamenois est-il alors obligé de réagir de la même manière que son cousin né ailleurs ?
Nous savons tous que les résidents de Ndjamena sont constitués de personnes issues de plusieurs groupes ethniques et chaque ethnie y est arrivée avec sa culture dans le bagage. Les habitants de cette ville cosmopolitique sont donc censés baigner dans un ensemble d’apports culturels de plusieurs groupes ethniques. Cet apport multiculturel constitue en soi une spécificité culturelle, une culture hybride ou tout simplement une culture à part entière. Cette culture hybride qui est donc la culture de Ndjamena est le résultat d’apports culturels de plusieurs groupes ethniques venues élire domicile dans cette citée.
De ce point de vue, elle est unique à sa contrée (Ndjamena) et de facto différente de celles de chaque partie du pays dont l’ethnie est venue constituée son ensemble. Tout comme chaque coin du Tchad dispose de sa culture, Ndjamena a sa propre culture. L’enfant né dans cette ville n’est pas forcément de la même culture que son propre père ou sa propre mère venus d’ailleurs !
De la même manière, l’enfant tchadien né dans un autre pays ne partage forcément pas la même culture de ses parents venus du Tchad. Sa personnalité forgée par la culture de son milieu n’aurait pas la même compréhension et lecture de la vie que celle de ses parents. Seraient-ils aussi différents ses actes et gestes posés qui sont en réalité la manifestation visible de sa personnalité.
Autrement dit, un enfant tchadien ayant vu le jour et grandi dans un autre pays ne réagirait pas de la même manière que ses frères vivant au Tchad. Même s’il a la même couleur de peau des Tchadiens, il doit avoir une identité différente et propre à lui. Une identité du milieu de sa naissance, de là où il a grandi.
La même logique pourrait s’appliquer à chaque contrée du Tchad et à plus forte raison à Ndjamena. L’enfant né dans cette ville aurait ainsi une personnalité fortement tributaire de la culture cosmopolite de son milieu et serait susceptible d’avoir une tendance comportementale bien différente de celle de son cousin né dans une autre partie du pays.
En raison du type de culture de son milieu, fruit d’apports de plusieurs groupes ethniques, le Ndjamenois « de souche », aurait moins tendance à magnifier les considérations ethniques dans ses interactions avec ses paires du quartier, de l’école ou du milieu professionnel. Avec eux, il partage les mêmes codes culturels, le même langage du milieu, les mêmes humours et se comprennent dans les mêmes sobriquets qu’ils se donnent.
Jusqu’à un passé récent, les Ndjamenois ont savouré dans toute sa plénitude la culture de leur ville avant que l’ethnie ne vienne s’introduire pour bousculer l’ordre établi. Par exemple, avant, le prénom ou parfois le sobriquet suffit largement pour s’identifier entre amis dans les quartiers. Personne ne s’hasarde à connaître l’ethnie de son ami. En réalité, l’idée même de la chercher ne traverserait l’esprit puisque dans le vocabulaire de la culture de Ndjamena l’ethnie est moins connue.
Bien qu’elle soit le fruit de plusieurs ethnies, la culture de Ndjamena semble néanmoins accorder une place moins privilégiée à celle-ci (ethnie). Cela pourrait trouver son explication dans le fait que presque toutes les ethnies qui la constituent viennent d’ailleurs ou du moins ont leur base arrière en dehors de la capitale. Pour le citadin, tout ce qui est « dehors de Ndjamena » serait assimilable à la campagne et donc l’ethnie serait originaire de la campagne.
C’est probablement pour ne pas s’identifier au campagnard que le Ndjamenois d’avant a tendance non seulement à ne pas s’exprimer dans les patois mais aussi fuir les parents qui s’aventureraient à lui s’adresser dans la langue de leur terroir en plein milieu de ses amis. C’est comme si savoir parler le patois ferait de lui moins « branché », moins Ndjamenois, bref moins citadin que ses pairs au tour de lui. Peut-être qu’il a raison de craindre d’être vu ainsi, car après tout la langue de son milieu est celle comprise par ses amis. Ou peut-être il a peur de remettre en cause son statut de « Ndjamenois de souche » en démontrant ne serait-ce qu’une moindre compétence linguistique d’un terroir de « moindre importance » que la capitale.
Dans tous les cas de figure et surtout à en croire les récits des Ndjamenois d’antan, les jeunes de la capitale ne semblaient s’accommoder avec l’idée d’un quelconque affichage ethnique. Si tel était le cas, peut-on se permettre de croire que c’est probablement à cause de cela que certains parents envoient fréquemment pendant les vacances leurs progénitures nées à Ndjamena au village par crainte de les voir s’éloigner de leur ethnie ?
Le Ndjamenois dont les parents sont nés en dehors de la capitale semble avoir ce problème d’identité. Il se voit constamment assener par des rappels à la source, c’est-à-dire à la culture de ses parents. Or, nous l’avons déjà mentionné que la culture de ses parents ne serait pas forcément la sienne. A cette tension au niveau de la famille nucléaire s’ajouterait une autre beaucoup plus importante. Celle de nouveaux « arrivistes ».
Nous appelons ici l’arriviste, toute personne arrivée à un âge adulte dans la capitale. Il est tout à fait logique pour quelqu’un qui arrive nouvellement d’imaginer Ndjamena, la ville cosmopolite, comme une jungle où se côtoieraient des gens de différentes sensibilités et qualités, des gentils et des méchants, des gros et des minces, des honnêtes et des malhonnêtes, des pacifiques et des criminels, etc. Pour le nouvel arrivant, le plus plausible des réflexes qu’il va avoir serait de se réfugier dans sa communauté ethnique, comme si agir autrement serait synonyme de se faire « phagocyter » par les autres.
De ce point de vue, l’ethnie serait un facteur déterminant pour sa survie dans cette « jungle » et par conséquent il serait dans son intérêt de jouer sur la fibre ethnique pour tirer son épingle du jeu et donc s’assurer des avantages escomptés. Par exemple, il peut utiliser, entre autres, l’ethnie comme une excuse pour bénéficier d’un hébergement gratuit chez un parent même lointain. Dans la plupart de cas, il n’est pas étonnant de constater que dans ses interactions avec les enfants citadins de son hébergeur, l’arriviste privilégie la communication dans la langue de son terroir.
Il n’est pas aussi étonnant de le voir encourager et conseiller son hébergeur à emmener de temps en temps ses enfants au village pour « se ressourcer », c’est-à-dire apprendre la culture de leurs parents. On comprend ainsi que les Ndjamenois dont les parents ne sont pas nés dans la capitale seraient soumis à la pression des arrivistes depuis la maison.
Or, l’enfant Ndjamenois a déjà sa propre culture, celle de sa ville. La culture de ses parents nés ailleurs n’est pas la sienne. Ne l’envoyez pas au village pour le faire adopter la culture de ses parents mais plutôt pour qu’il la découvre et enrichisse ses connaissances.

Moustapha Abakar Malloumi

Écrivain

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