Accord céréalier, influence géopolitique du Kremlin, conséquences de la rébellion de Wagner… Le sommet organisé par Vladimir Poutine, qui se tient à Saint-Pétersbourg les 27 et 28 juillet, sera l’occasion pour Moscou de compter ses alliés sur le continent.

Les 27 et 28 juillet, beaucoup auront les yeux tournés vers Saint-Pétersbourg. La ville de Pierre le Grand accueillera la deuxième édition du sommet Russie-Afrique après celui de Sotchi, en 2019. Un an et demi après la début de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022, cette réunion de chefs d’État et de gouvernement – dont la présence, ou non, sera scrutée avec attention – est un test diplomatique majeur pour Vladimir Poutine.

Depuis la rébellion avortée du groupe Wagner, le 23 juin, l’avenir de la présence (et de l’influence) russe sur le continent suscite bien des interrogations – et ce malgré la récente annonce de son patron, Evgueni Prigojine, que ses troupes ne combattraient plus en Ukraine pour se concentrer sur l’Afrique. L’annonce de la non-participation du président russe au sommet des BRICS, organisé fin août en Afrique du Sud, apparaît également comme un revers pour le maître du Kremlin.

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Mais le sommet de Saint-Pétersbourg comporte aussi des enjeux économiques cruciaux pour le continent. Alors que le non-renouvellement de l’accord sur les exportations de céréales en mer Noire présente un risque majeur pour l’alimentation en Afrique, Vladimir Poutine a assuré, le 24 juillet, que, malgré les sanctions qui la vise, « la Russie poursuivra ses efforts énergiques pour assurer la distribution de céréales, de produits alimentaires, d’engrais et d’autres biens vers l’Afrique ».

1. Vladimir Poutine réussira-t-il son test diplomatique ?

Depuis qu’il a déclenché sa guerre contre l’Ukraine, le maître du Kremlin s’est coupé d’une bonne partie du monde. En quête d’alliés dans le conflit qui l’oppose aux Occidentaux, il tente de rallier à sa cause un maximum de partenaires, notamment africains. Sur le continent, il dispose de plusieurs soutiens affichés, comme le Mali et la Centrafrique où le groupe Wagner est présent, mais aussi – surtout – l’Algérie et l’Afrique du Sud, deux poids lourds africains historiquement proches de l’ex-Union soviétique.

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À l’heure où ses ennemis le dépeignent comme isolé sur le plan international et fragilisé en interne, comme l’a montré la rébellion avortée des mercenaires de Wagner le 23 juin, Vladimir Poutine mise beaucoup sur ce sommet pour les faire taire, et montrer qu’il demeure le chef d’un État puissant et fréquentable. Il espère donc qu’un nombre significatif de ses homologues africains feront le déplacement jusqu’à Saint-Pétersbourg et y poseront à ses côtés pour la traditionnelle photo de famille.

Objectif non affiché mais que tous les observateurs ont en tête : faire au moins aussi bien qu’au sommet de Sotchi, en 2019, où 43 chefs d’État et de gouvernement – sur 54 pays africains – s’étaient rendus. Un succès diplomatique pour Poutine, qui souhaite aujourd’hui montrer que, malgré la guerre en Ukraine, il n’a rien perdu de son attractivité.

Ces derniers mois, les diplomates occidentaux n’ont pas ménagé leurs efforts pour tenter de dissuader leurs partenaires africains de faire le déplacement en Russie. « On a leur a fait savoir que s’afficher aux côtés de Poutine dans le contexte actuel était un marqueur », explique l’un d’entre eux. Parmi les chefs d’État qui ont annoncé leur présence, plusieurs de ses partenaires privilégiés sur le continent, tel le président de transition malien Assimi Goïta – son premier voyage à l’étranger depuis qu’il a pris le pouvoir après son deuxième coup d’État, en 2021 -, mais aussi des présidents jugés plus proches de la France, comme le Sénégalais Macky Sall, qui quittera le pouvoir à la fin de son mandat en février 2024.

2. Quelles ambitions russes pour l’Afrique ?

La réussite du sommet de Sotchi, en 2019, avait clairement marqué le retour des ambitions russes en Afrique, trois décennies après l’effondrement de l’Union soviétique qui fut une alliée de poids pour nombre de pays africains. À l’époque, Vladimir Poutine avait affirmé qu’ « une nouvelle page » s’ouvrait dans les relations entre la Russie et l’Afrique.

Il expliquait aussi qu’il souhaitait renouveler ce type de rendez-vous pour pérenniser les relations entre son pays et ceux du continent, tout en affichant sa volonté de doubler le volume des échanges commerciaux entre Moscou et les capitales africaines (qui étaient d’environ 20 milliards de dollars en 2018, dont 7,7 milliards pour la seule Égypte). Un pari qui n’a pas été tenu, ce chiffre ayant baissé à 17,7 milliards de dollars en 2021. Le 24 juillet, en prélude au sommet de Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine a assuré que « le réseau des ambassades russes et des missions commerciales en Afrique sera élargi ».

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Si les résultats économiques et commerciaux n’ont pas été au rendez-vous, la Russie a en revanche clairement avancé ses pions sur le plan militaire et sécuritaire. Par l’entremise du groupe Wagner, plusieurs pays – Centrafrique et Mali en tête – ont fait de Moscou leur nouvel allié au détriment de la France et des pays occidentaux. Selon un rapport publié en mars par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), la Russie a ainsi repris à la Chine, entre 2018 et 2022, la place de premier vendeur d’armes en Afrique subsaharienne avec un total de 26 % des parts de marché.

3. L’avenir incertain de Wagner

Qui dit Russie en Afrique dit Wagner. Depuis 2017, la société militaire privée d’Evgueni Prigojine est le bras armé du Kremlin sur le continent et y pousse les intérêts russes à grands coups d’opérations d’influence. Libye, Soudan, mais surtout Centrafrique et Mali : ses hommes sont présents dans plusieurs pays où ils servent de supplétifs aux forces armées locales, tout en faisant prospérer leurs affaires, en particulier dans le secteur minier.

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Depuis la rébellion avortée d’Evgueni Prigojine contre le régime de Vladimir Poutine, les autorités russes tentent de reprendre la main sur les activités du groupe Wagner. Chassés de Russie, son patron et les quelques milliers d’hommes qui lui sont restés fidèles ont désormais leur base arrière en Biélorussie. C’est depuis leur nouveau quartier général d’Asipovichy, près de Tsel, que Prigojine a repris publiquement la parole pour la première fois après son coup de force manqué. Dans une vidéo diffusée le 19 juillet, le patron de Wagner a annoncé que ses troupes ne combattraient plus en Ukraine et qu’elles se concentreraient désormais sur l’Afrique.

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Reste à évaluer la marge de manœuvre dont Prigojine dispose. Sans le soutien financier – et surtout logistique – des autorités russes, l’avenir de Wagner est forcément plus incertain sur le continent. Mais beaucoup estiment que, malgré sa « trahison », Poutine ne peut se passer de l’ancien vendeur de hot-dogs devenu puissant chef de guerre pour préserver ses intérêts en Afrique. Certains en veulent pour preuve leur rencontre au Kremlin, le 29 juin, seulement quelques jours après le coup de force manqué de Wagner en Russie. Si quelques centaines de mercenaires ont quitté la Centrafrique, début juillet, aucun mouvement similaire de troupes n’a pour l’instant été observé au Mali.

4. Pourquoi les engrais sont devenus une arme diplomatique pour Poutine ?

Cacao, coton, céréales… Les engrais russes sont indispensables pour de nombreuses productions agricoles africaines. Avec quatre géants mondiaux du secteur, (EuroChem, Acron, PhosAgro et Uralchem-Uralkali), la Russie est un des principaux producteur et fournisseur d’engrais du continent. En 2021, Moscou a couvert 50 % des besoins du Togo, 35 % de ceux du Burkina Faso et du Sénégal, près de 30 % de ceux de la Côte d’Ivoire et plus de 20 % de ceux du Mali et de la Guinée, révèle une étude tripartite menée par le Cedeao, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM).

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Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Afrique est confrontée à des difficultés d’approvisionnement en engrais. Pour débloquer des stocks saisis dans les ports européens, suite aux sanctions européennes contre Moscou, le président russe, Vladimir Poutine a sorti le joker des dons stratégiques d’engrais à destination des pays africains. Si 300 000 tonnes de produits devaient être acheminées gratuitement par Uralchem-Uralkali vers le continent, seules 67 000 tonnes de potasse, urée et NPK ont atterri à bon port : 23 000 tonnes au Burkina Faso, 20 000 tonnes au Malawi et 24 000 tonnes au Kenya. Une quatrième livraison est attendue au Nigeria.

En effet, l’offensive russe vise aussi le renforcement de l’offre commerciale et le transfert de compétences. Premier exportateur russe en Afrique, avec 500 000 tonnes d’engrais en 2022, « PhosAgro prévoit de doubler ses exportations vers le continent dans les cinq ans à venir », affirme Alexander Sharabaiko, le directeur général adjoint en charge de la finance et de l’international du géant russe. Prévu du 27 au 28 juillet, à Saint-Pétersbourg, le deuxième sommet Russie-Afrique abordera « la stabilité du marché des engrais comme gage d’éradication de la faim dans les pays africains » avec au programme une promesse, celle du « transfert des technologies agricoles de pointe en Afrique ».

5. Pourquoi la fin du « corridor céréalier » pourrait affamer le continent ?

Le Kremlin vient de décider de ne pas renouveler l’accord céréalier, qui a permis les exportations agricoles ukrainiennes par la mer Noire malgré l’offensive russe. Selon la FAO, certains pays en Afrique ont une dépendance « dangereuse » aux exportations céréalières russo-ukrainiennes. Entre 2018 et 2020, le Bénin et la Somalie affichent une dépendance totale au blé russe et ukrainien qui représente 100 % de leur approvisionnement, selon la Cnuced.  Et 15 pays africains dépendent à plus de 55 % pour leur approvisionnement de l’Ukraine et/ou de la Russie : le Soudan (75 %), la RDC (68 %), le Sénégal (65 %) ou le encore Congo (61 %)…

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Le retrait de Moscou « est synonyme de retour à la case départ pour les pays africains », confirme Mahfoud Kaoubi, analyste économique algérien. Alors que cette décision a accéléré la hausse des cours de ces denrées, malgré la promesse du président Russe Vladimir Poutine de « remplacer les céréales ukrainiennes à destination de l’Afrique », le continent doit s’attendre à tous les scénarios possibles. « Il y a non seulement un risque de poussée inflationniste, mais surtout une menace de pénurie en cas de perturbation des chaînes d’approvisionnement », craint Kaoubi.

Jeune Afrique

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