Le Soudan a annoncé samedi 2 novembre 2024, dans un communiqué publié sur la page officielle du porte-parole du gouvernement avoir déposé vendredi une plainte officielle contre le Tchad devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, dont le siège se trouve à Banjul, en Gambie. Khartoum accuse Ndjamena de fournir des aides aux forces de soutien rapide (FSR) au Soudan où ils commentent des exactions : tueries, viols, déplacement forcé des populations, crimes de guerres et crimes contre l’humanité.

La plainte a été déposée ce premier novembre devant la Commission de l’Union africaine, par les membres d’un comité juridique formé par le conseil souverain et chargé de poursuivre les FSR et leurs alliés étrangers devant les instances internationales.

La plainte vise le pouvoir tchadien et l’accuse d’intervenir dans les affaires soudanaises en soutenant les paramilitaires en guerre depuis plus d’un an et demi contre l’armée. Dans un communiqué, le ministère soudanais de la Justice affirme que le Tchad a joué « un rôle essentiel dans les crimes commis par la milice rebelle » et que le Soudan détient des preuves tangibles sur cette implication.

Ndjamena rejette les accusations.

Ndjamena a réagi à ces nouvelles accusations en réitérant qu’elle n’intervient pas au Soudan sauf en tant que médiateur afin de ramener la paix.

Le 29 octobre, le représentant du Soudan auprès des Nations-Unis a déclaré que les 30 camions d’aides humanitaires acheminés vers le Soudan depuis le Tchad étaient sous la protection des FSR, mais qu’en réalité, ils transportaient des armes sophistiquées pour eux.

Le Tchad a toujours nié toutes les accusations de la part de Khartoum.

Abderaman Koulamallah, MAE tchadien: «Le Tchad n’a aucun intérêt à amplifier la guerre au Soudan»

« Non, le Tchad ne soutient aucun belligérant dans la guerre civile au Soudan ». C’est la réponse ce jeudi matin du ministre tchadien des Affaires étrangères au dirigeant soudanais Minni Arcou Minnawi, qui, hier matin à la même heure sur RFI, accusait le Tchad d’être une plateforme de transit pour les armes et les munitions expédiées par les Émirats arabes unis aux Forces de Soutien Rapide du général Hemedti. En ligne de Ndjamena, Abderaman Koulamallah, qui est à la fois le chef de la diplomatie et le porte-parole du gouvernement tchadien, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Abderaman Koulamallah : Bonjour.

Dans une interview lors de son passage à Paris, le chef de l’Armée de libération du Soudan, Minni Arcou Minnawi, a accusé le Tchad de servir de pays de transit aux armes et munitions que les Émirats arabes unis envoient aux Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti. Qu’est-ce que vous répondez ?

Bon, tout d’abord, ce sont des informations fantaisistes. Le Tchad n’a aucun intérêt à amplifier la guerre au Soudan en fournissant des armes. Et d’ailleurs nous sommes l’un des rares pays où la guerre du Soudan a des répercussions importantes sur notre territoire. Monsieur Minni est un personnage assez connu, assez controversé, qui quelquefois ne maîtrise pas tout ce qu’il dit, et n’a pas les bonnes informations. Ce qu’on peut dire de ce qui se passe au Soudan, ce sont les généraux qui n’ont pas écouté la voix de leur peuple, qui ont amplifié cette guerre en refusant qu’un gouvernement civil dirige le pays et ils portent à eux seuls la responsabilité de cette guerre. C’est eux qui refusent un cessez le feu. C’est eux qui refusent de mettre en place un couloir humanitaire pour leur peuple. C’est trop facile de jeter leur propre responsabilité sur les pays voisins. Nous n’avons aucun intérêt à ce que la guerre au Soudan perdure. Nous sommes le principal pays qui soutient le poids de cette guerre. Nous ne soutenons aucune des factions qui se battent sur le territoire soudanais. Nous sommes pour la paix. Nous réaffirmons notre position qui est une position cohérente. Nous sommes pour qu’il y ait un cessez-le-feu, qu’il y ait des négociations. Et que la paix revienne dans ce grand pays qui est un pays frère. Monsieur Minnawi raconte des choses qui n’ont rien à voir avec la réalité. Les allégations mensongères de certains dirigeants soudanais auraient pu ne même pas être démenties par nous, si elles n’avaient pas une répercussion grave sur l’opinion nationale tchadienne et internationale, qui doit se dire que le Tchad est un pays qui souffre de cette guerre-là. Et j’en appelle aux organisations internationales. J’en appelle au Conseil de sécurité, pour qu’eux-mêmes prennent leurs responsabilités pour mettre fin à cette guerre.

Il y a quelques mois, dans un rapport, un groupe d’experts de l’ONU a affirmé avoir observé une forte rotation d’avions cargos, en provenance de l’aéroport d’Abu Dhabi à destination de l’aéroport d’Amdjarass au Tchad, et ensuite avoir observé que des caisses d’armes et de munitions étaient déchargées de ces avions cargos à destination des Forces de soutien rapide au Darfour. Comment vous réagissez ?

D’abord, aujourd’hui, nous sommes à l’ère des nouvelles technologies et il faut qu’on fournisse des images. Puisqu’ils ont observé, ça veut dire qu’ils ont des images. Ils n’ont qu’à mettre ces images à la disposition du public ! Non, ce sont des allégations complètement mensongères. Et nous n’avons même pas jugé utile de répondre à ces allégations. Nous avons des bonnes relations avec les Émirats arabes unis, qui sont des relations économiques, des relations bilatérales, qui sont solides depuis longtemps. Mais en aucun cas, cette relation ne revêt un caractère militaire en fournissant des armes à quelque faction. Aucune preuve n’est apportée, aucune image satellite n’a été apportée. Comment voulez-vous qu’on prenne au sérieux ce genre d’allégations qui sont faites par des fonctionnaires, certainement qui ont d’autres intérêts que celui de dire la vérité ?

Dans cette interview, Minni Arcou Minnawi ne nie pas que l’armée soudanaise reçoit des armes et des munitions de l’extérieur, mais il affirme qu’on ne peut pas comparer cette institution nationale, l’armée soudanaise, avec les Forces de soutien rapide, qui sont, dit-il, un groupe tribal qui a été créé sur une base raciale et qui, sous le nom des Janjawid, a commis en 2003 un génocide au Darfour ?

Alors, quand les militaires soudanais ont fait du général Hemedti le vice-président de la République du Soudan, ils n’avaient pas ces informations et ils viendraient seulement de les obtenir ? Je crois qu’il faut être un peu sérieux. Quand ils disent qu’ils reconnaissent recevoir d’autres armes, c’est déjà quelque chose de très grave, que des pays fournissent des armes pour perpétuer la guerre au Soudan ! Nous, nous ne le faisons pas. Monsieur Hemedti a été vice-président du Soudan, je ne vois pas comment il a atterri à ce poste, alors qu’on l’accuse de choses aussi graves ! Ils n’ont qu’à se pencher sur leur propre responsabilité au lieu de chercher à mettre la responsabilité de cette guerre sur le Tchad qui n’a rien, absolument rien, à voir avec ces allégations, que je nie de toutes mes forces. Parce que je sais que le gouvernement tchadien est un gouvernement qui ne s’occupe pas des problèmes internes des pays voisins. C’est une philosophie développée par notre chef de l’Etat, le président Mahamat Idriss Deby, qui, depuis toujours, refuse de s’ingérer dans les affaires intérieures des pays voisins.

Minni Minnawi, gouverneur du Darfour: «Il n’y a pas de solution militaire à la crise au Soudan»

Le gouverneur du Darfour et chef du mouvement de libération du Soudan, faction Minni Arcou Minnawi (ALS-MM) était à Paris où il a échangé des points de vue sur la guerre au Soudan avec des responsables français. Son mouvement a rejoint en mars dernier le camp de l’armée soudanaise qui combat les Forces de soutien rapide (FSR)… RFI l’a rencontré à l’occasion de son passage à Paris. Il évoque au micro de Houda Ibrahim les derniers développements de 18 mois de guerre au Soudan.

RFI : Lors de la visite que vous effectuez actuellement en France, vous avez rencontré des responsables au ministère français des Affaires étrangères qui s’occupent du dossier soudanais, quelle discussion avez-vous eue ?

Minni Arcou Minnawi : La France, s’intéresse beaucoup, en réalité, aux conséquences de la guerre et aux questions humanitaires au Soudan. Durant nos rencontres nous avons évoqué ces points ainsi que celui des pays voisins du Soudan. Nous avons discuté ensemble des possibilités de mettre fin définitivement à la guerre et des possibilités de travailler ensemble pour faire parvenir les aides humanitaires à tous les Soudanais et surtout dans la ville d’al-Facher encerclée par les forces de soutien rapide. Il y a eu la proposition de larguer de l’aide humanitaire au-dessus de la ville…En réalité, nous avons demandé aux Français d’intervenir pour combler le fossé entre le gouvernement soudanais et le gouvernement tchadien, et surtout pour enrayer le rôle du gouvernement tchadien dans le transit à travers son territoire des aides non-humanitaires – des matériaux militaires – vers les zones sous contrôle des FSR au Soudan.

Le pouvoir soudanais a à plusieurs reprises accusé le Tchad de faciliter le transfert d’armes aux FSR, ce que confirment les rapports des experts des Nations unies, mais que Ndjamena a toujours nié. Quelles sont vos informations sur cette question ?

Il y a toujours, de très importantes quantités de matériels militaires qui traversent le Tchad vers le Soudan. Jusqu’à il y a cinq mois cela se faisait via l’aéroport d’Amdjarass. Actuellement, d’autres aéroports à l’intérieur du pays sont utilisés. Mais nous savons ce qui se passe et nous savons aussi que des armes sont également transportées à travers l’Atlantique vers le port de Douala, puis elles passent à travers la république du Cameroun pour arriver à Ndjamena avant d’emprunter le passage d’Adré, ce chemin que le gouvernement soudanais a rouvert pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire. Mais actuellement ils profitent de la situation et il y a davantage d’aide militaire que d’aide humanitaire acheminée par ce point de passage.

Les Émirats arabes unis ont été accusé à de multiples reprises d’ingérence dans les affaires soudanaises, y-a-t-il un nouvel appel que vous souhaitez adresser à ce pays aujourd’hui en ce qui concerne son appui militaire et financier aux FSR ?

Nous l’avons rappelé à plusieurs reprises et nous le referons maintenant. Nous appelons les Émirats arabes unis à cesser de soutenir une telle milice, cette machine de tuerie et de destruction, de génocide et d’épuration raciale… Cette milice raciste n’est pas le groupe qui pourrait bâtir l’État, elle peut, au contraire, détruire l’État, les infrastructures, elle peut piller et produire tout ce qu’une catastrophe naturelle pourrait produire. C’est comme un tremblement de terre ou un volcan destructeur… Elle ne construit pas. C’est pour cela que nous disons aux Émirats qu’il faut soutenir le peuple soudanais pour pouvoir reprendre les bonnes relations qui prévalaient entre les deux peuples.

Les deux généraux qui s’opposent, al-Burhan et Hemedti ne semblent pas résolus à vouloir résoudre la crise pacifiquement, pourtant la communauté internationale ne cesse de rappeler qu’il n’y a pas une solution militaire possible à cette guerre, qu’en pensez-vous ?

Nous sommes tous entièrement convaincus qu’il n’y a pas de solution militaire à la crise au Soudan y compris Hemedti lui-même, comme il l’a précisé dans son discours d’il y a une semaine où il a considéré que des pays étrangers ont mis le feu au Soudan. Mais il est lui-même, en ce moment, aux mains de ces forces étrangères. En arrachant les soudanais, aux mains des forces étrangères, ces agents qui sont payés, qui sont employés par ces forces étrangères, si on arrive à réaliser cela, à ce moment-là, la solution pacifique sera la meilleure sortie de crise.

L’armée soudanaise est également accusée d’acquérir des armes et des drones auprès de l’Iran et de la Turquie…

Il n’est pas possible de comparer l’armée soudanaise à un groupe dirigé par Hemedti, un groupe tribal qui a été créé sur une base raciale, qui a commis un génocide en 2003, puis qui a continué à commettre des crimes sous le nom de Janjawid, puis sous le nom de gardiens des frontières puis en tant que Forces de soutien rapide…Tous ces noms ne sont qu’une tentative de cacher les crimes de cette milice et de redorer son blason. Jusqu’à maintenant Hemedti ne fait que conduire une milice tribale et familiale. Son frère est son vice-président, leur autre frère est le responsable financier, leur troisième frère est le responsable médiatique et ainsi de suite… L’armée est une institution nationale, et c’est le ministère de la Défense qui conclue tout naturellement des contrats avec d’autres pays pour acheter des armes. C’est une institution nationale, le ministère, qui achète des armes. C’est officiel et ce ne sont pas des armes qui sont acheminées clandestinement pour une milice familiale soutenue par les Émirats.

Quand est-ce que cette guerre pourrait s’arrêter alors ?

Quand les interventions étrangères cesseront, et quand on cessera d’utiliser des Soudanais payés par des capitaux étrangers pour désintégrer le Soudan… et tuer les Soudanais avec de l’argent étranger comme le font actuellement certains pays. Quand les ingérences s’arrêteront, la guerre s’arrêtera.

Pensez-vous que les avancées réalisées par l’armée ces dernières semaines permettront de revenir aux négociations pour un cessez-le-feu ? Est-ce qu’il y a actuellement des contacts dans les coulisses pour retourner à la table des discussions ?

Bien sûr, mais les négociations seront différentes. La forme est dépassée par les développements qui ont eu lieu en mai 2023. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts… Il y a eu la résistance populaire, les forces communes… La population soudanaise s’est reconstruite pour défendre ses communautés, ses biens, son honneur et son argent… Les prochains pourparlers de paix seront donc un peu différents et nécessitent une grande préparation. Mais nous disons toujours que toutes les discussions sur le Soudan devraient être basées sur la déclaration de Djeddah.

Minni Arko Minnawi, vous vous êtes pourtant vous-même rendu au Tchad, plus d’une fois avant de rallier l’armée soudanaise !

A l’époque, nous cherchions la paix. Nous cherchions à garder une bonne relation entre le Tchad et le Soudan. La dernière visite date du juin 2023. J’y ai rencontré, par hasard, Abderrahim Daglo, le frère de Hemedti. Nous sommes restés à discuter durant trois jours. Il voulait mon accord pour séparer le Darfour du Soudan, et pour l’arracher aux mains de l’armée. J’avais posé des questions sur le pourquoi, sur le but d’une telle manœuvre. Je n’ai jamais réussi à obtenir de réponses claires.

Le tchadien Ousman Dillo est au Soudan. Depuis la mort de son frère, l’opposant Yaya Dillo. Il est accusé par le pouvoir tchadien de vouloir s’opposer à lui depuis le Darfour, votre réaction ?

Ousman est avec nous. Il est de la même tribu et du même groupe social. Quand il est arrivé pour protéger les gens du Darfour, son frère était encore vivant. Il a annoncé sa volonté de nous rejoindre depuis le Tchad. Tous les cercles du pouvoir tchadien savaient qu’il allait au Darfour pour soutenir ses gens, compte tenu qu’il s’agit de la même communauté qui s’étend au Tchad comme au Darfour. Après l’assassinat de son frère, ils ont commencé à l’accuser d’être un opposant. Comment peut-il être un opposant ? Ils ont tué son frère et il est jusqu’à maintenant avec nous sans qu’il soit un opposant. Il est avec moi. Il fait partie de mes hommes. Il n’est pas de l’opposition tchadienne mais c’est l’un de ces volontaires venus protéger les habitants du Darfour. Il est à al-Facher. Il est arrivé au Soudan cinq mois avant la mort de son frère. Et cela est connu par le président Mahamat Kaka et par la sécurité tchadienne. D’ailleurs, Ousman n’est pas le seul, ils sont nombreux les tchadiens avec nous, certains rentrent puis reviennent. C’est comme ça…. Maintenant, parce qu’ils ont tué son frère et parce qu’ils ont peur qu’il se venge, ils disent qu’il est opposant. Jusqu’à maintenant il ne s’oppose pas au gouvernement mais à ceux qui ont tué son frère.

Justement, on dit qu’Ousman Dillo est en train de préparer des forces au Soudan pour se venger de ceux qui ont tué son frère ?

Ousman n’est pas seul. Il n’est pas seul à avoir ce ressentiment actuellement. Il y a beaucoup de gens qui sont déçus de l’attitude officielle tchadienne qui soutient les Janjawid et qui tuent leurs familles. Actuellement, il y a beaucoup d’enfants de réfugiés soudanais qui travaillent au Tchad. Ils sont en bon nombre dans l’armée tchadienne et au palais présidentiel. Ils ont aussi une position.

Que voulez-vous dire par cela ?

Il y a beaucoup d’enfants de réfugiés soudanais qui sont entrés au Tchad en 2003, qui sont dans l’armée tchadienne et dans la garde républicaine. Ils sont des officiers de l’armée tchadienne. Il y a plus de 20 tribus communes qui s’étendent au Tchad comme au Soudan. La géographie ne t’empêche pas d’avoir de la compassion pour tes frères. La position officielle en ce qui concerne le Soudan est refusée par un grand nombre d’officiers tchadiens.

Tchadanthropus-tribune avec RFI

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