18 novembre 2014 TCHAD: Sur les traces du pétrole de contrebande.
Au Tchad, une semaine après les manifestations contre la hausse des prix du carburant, le président Idriss Déby a annoncé avoir pris des mesures contre la contrebande de pétrole. Depuis quand et comment des citernes ont-elles pu se retrouver en Centrafrique et dans les pays voisins ? Enquête.
Le chef d’Etat tchadien Idriss Déby a décidé de réagir aux manifestations du 11 novembre dernier – qui portaient, notamment mais pas uniquement, sur la hausse des prix du carburant – en se rendant lui-même vendredi dans la raffinerie de Djarmaya. Là, il a constaté publiquement les écarts qui existaient entre ce qui sortait de la raffinerie et ce qui était commandé pour approvisionner les pompes.
L’explication ? D’après Idriss Déby, ce sont des dizaines de citernes qui partent en Centrafrique et au nord du Nigeria. Depuis quand et comment des citernes ont-elles pu se retrouver en Centrafrique et dans les pays voisins ? La contrebande a commencé dès le lancement de la raffinerie de Djarmaya, il y a trois ans, explique un professionnel de la filière pétrole en Centrafrique. « Un transporteur tchadien m’avait proposé une citerne de 36 m³. C’était au tout début », ajoute-t-il.
Meilleur marché qu’en Centrafrique
Du carburant détaxé dont le prix était plus concurrentiel que celui fixé par l’Etat centrafricain : l’essence tchadienne était à 500 francs CFA le litre, alors qu’en Centrafrique, le gouvernement l’avait fixé à plus de 800 francs.
Depuis l’offensive de la Séléka sur Bangui, la plupart des stations-service situées hors de la capitale ont été détruites. Et avec l’insécurité, les transporteurs basés en Centrafrique n’approvisionnent plus les provinces du pays. À Birao, c’est donc vers le Soudan que la population se tourne. À Paoua, vers le Cameroun. Mais à Ndele, Kaga-Bandoro, Batangafo, et dans les villes encore contrôlées par la Séléka, c’est encore du Tchad que provient le carburant, malgré la fermeture de la frontière.
Enquête des députés
« C’est la Séléka qui s’occupe de ça, mais les prix sont très chers », a expliqué à RFI un habitant. Comme au Tchad voisin, les prix sont montés en flèche – entre 2500 et 5000 francs CFA le litre –, et comme au Tchad également, la population se plaint des pénuries. D’autres sources affirment que le carburant tchadien se vendait aussi depuis ces trois dernières années au Cameroun et qu’inversement, ces dernières semaines, avec les pénuries, les commerçants tchadiens venaient s’y approvisionner. Lors de sa visite à la raffinerie de Djarmaya, le président tchadien a lui-même évoqué une autre destination : le nord du Nigeria. Idriss Déby ne semble plus rien ignorer de ce trafic.
Par ailleurs, le président de l’Assemblée nationale a convoqué le ministre du Pétrole et les représentants de l’organe de régulation de la distribution des produits pétroliers, l’ASART, pour répondre aux questions des députés. Ces derniers ont eux-mêmes lancé une mission d’enquête sur les raisons de ces pénuries au Tchad.
Mafia
Des mesures ont été prises, a assuré le président Déby lors de sa visite de la raffinerie, pour supprimer les intermédiaires et acheminer le carburant tchadien directement dans les stations-service du pays. Mais l’opposition se dit sceptique par rapport à ces mesures : « Le monopole de la distribution de carburant a été octroyé par le pouvoir à des commerçants qui sont presque tous proches du président de la République. Forts de ce monopole, ils font ce qui leur plaît », affirme Ali Golhor, l’un des porte-paroles de la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC).
Il détaille les chemins pris par ce pétrole de contrebande : « Quand les citernes sortent de Ndjamena, ont dit sur les papiers qu’elles vont à Moundou, à Sarh, à Abéché. Mais souvent, celles qui sont destinées à Moundou vont servir les commerçants du Cameroun, celles qui arrivent à Sarh continuent en fait leur chemin jusqu’à la Centrafrique, et certaines de celles destinées au nord traversent la frontière pour aller en Libye ou au Nigeria. »
Un système bien organisé, sur lequel les mesures promises par Idriss Déby auront peu d’effet, estime Ali Golhor : « C’est une sorte de mafia : la distribution du carburant échappe totalement à l’autorité. Je ne pense pas que les mesures préconisées par le chef de l’Etat après la visite de la raffinerie puissent arranger les choses. »
RFI
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