Pour accélérer les progrès du Tchad en matière de numérique, d’électricité ou encore d’agriculture, le ministre tchadien des Finances, du Budget, de l’Économie et du Plan compte faire largement appel au secteur privé.

« Le Tchad en a fini avec le volet politique de sa transition. Nous avons construit la paix. Maintenant, nous devons aller vers le développement et mettre en avant nos atouts », assure Tahir Hamid Nguilin, ministre des Finances et du Budget depuis 2019. Des responsabilités auxquelles se sont ajoutés les portefeuilles de l’Économie et du Plan, assortis du rang de ministre d’État, après l’élection de mai 2024.

Une fois menée à bien la renégociation de la dette souveraine du Tchad, dont il a obtenu la restructuration en novembre 2022, l’ancien vice-gouverneur de la BEAC s’est attelé à l’élaboration d’un nouveau plan de développement : Tchad Connexion 2030. Cette stratégie de développement se décompose en 268 projets qui couvrent quatre grands domaines : le développement des infrastructures, la politique sociale et les services publics essentiels, le développement économique et industriel, et l’amélioration de l’environnement des affaires.

Un programme chiffré à 30 milliards de dollars, qui bénéficie du soutien du FMI. En juillet dernier, l’institution a validé un plan de financement de 625,3 millions de dollars sur 48 mois. Au-delà de son montant, la facilité élargie de crédit accordée au Tchad devrait lui permettre de mobiliser des financements extérieurs supplémentaires, assure l’institution. Mais c’est aussi sur l’investissement privé que compte Tahir Hamid Nguilin qui ambitionne d’« augmenter le PIB du pays de 60 %, de sortir 2,5 millions de Tchadiens de la pauvreté, et de faire du Tchad un modèle de développement en Afrique ».

C’est pour convaincre de potentiels investisseurs que Tchad Connexion 2030 sera officiellement lancé à Abu Dhabi, le 10 novembre prochain. Entretien.

Jeune Afrique : Pourquoi avoir choisi les Émirats arabes unis pour le lancement du plan de développement 2025-2030 ?

Tahir Hamid Nguilin : C’est un pays avec lequel les relations économiques sont fortes : une partie de nos produits, notamment l’or, mais aussi des produits agricoles comme le sésame, y sont exportés. Pour l’année 2024, les seules exportations d’or du Tchad issu des exploitations artisanales vers les Émirats représentent un montant de 2 milliards de dollars. Dans l’autre sens, les flux sont également importants. Nous importons beaucoup d’Abu Dhabi et de Dubaï, du textile et bien d’autres produits. Les Émirats sont une terre d’investisseurs et de capital.

Le Tchad a récemment obtenu des Émirats un prêt concessionnel de 300 milliards de francs CFA au taux de 1 %. C’est l’équivalent de 15 % du budget 2024. Quelles contreparties ont été négociées ?

Il n’y a pas d’autre contrepartie que la rémunération du prêt par application d’un taux d’intérêt. Il s’agit de crédits parfaitement respectueux de notre souveraineté.

La tendance générale au repli des pays européens, couplée au démantèlement de l’Usaid, entraîne une réduction importante de l’aide publique au développement. En quoi cela touche-t-il l’économie tchadienne ?

L’impact est limité car nous ne sommes pas un des grands pays récipiendaires de l’aide extérieure. Évidemment, il y a des financements qui ont décru, pour les réfugiés par exemple. Mais l’Usaid ne représentait qu’environ 3 millions de dollars destinés aux ONG ou à d’autres organisations, très ciblées.

La baisse des cours du pétrole a-t-elle des conséquences sur votre budget ?

On a connu des cours encore plus bas et nous ne sommes pas un grand pays producteur de pétrole, même si notre production atteint 120 à 130 0000 barils par jour. Par conséquent, nous arrivons à compenser cette baisse des cours par le dynamisme de notre économie.

Pour mener à bien votre feuille de route, vous comptez faire largement appel au secteur privé. Pouvez-vous préciser la part qu’il prendra dans le développement du Tchad ?

Nous avons désormais une dette qui figure parmi les plus faibles d’Afrique francophone, à 32 % du PIB. Nous allons nous efforcer de conserver cet avantage en augmentant la part des investissements directs étrangers dans le financement de notre croissance et de notre économie plutôt que celle de la dette : sur les 30 milliards de dollars du PND, 14 milliards, soit 46 %, peuvent être financés par le privé. Cela concerne tout ce qui est marchand, monétisable et rentable, que ce soit dans le secteur des énergies, de l’élevage, de la logistique, des mines ou encore du numérique.

Comment convaincre les entreprises privées étrangères de la sécurité de leurs éventuels investissements au Tchad, alors que nombre de vos voisins ont entamé des démarches de renégociation de leurs contrats avec elles ?

Nous ne jugeons pas et nous n’avons pas d’avis à donner sur ce qui se passe dans des pays souverains. En ce qui concerne le Tchad, nous avons eu une des transitions les plus réussies et les plus exemplaires. D’ailleurs, beaucoup de Tchadiens qui étaient à l’étranger sont rentrés.

En parallèle, sous l’égide et grâce aux orientations du maréchal Mahamat Idriss Déby Itno, nous avons entrepris une grande vague de réformes, avec beaucoup de rigueur et de sérieux, pour aller vers la facilitation et la simplification des rapports avec les entreprises. L’ouverture des discussions avec le FMI en fait partie : c’est un événement tout récent mais prometteur, et qui montre la qualité de la signature du Tchad. Nous nous sommes également fait noter par les agences internationales pour avoir des avis extérieurs, indépendants, qui puissent rassurer les uns et les autres. Le Tchad apparaît en tête des pays d’Afrique centrale en termes de note souveraine [B- pour S&P comme pour Fitch Ratings].

Pouvez-vous citer certaines des facilités que vous accordez aux entreprises ?

Nous avons une infrastructure fiscalo-douanière totalement digitalisée et accordons des facilités fiscales parmi les plus intéressantes au monde, avec une réduction drastique de l’impôt sur les sociétés sur dix ans et une TVA réduite. À cela s’ajoutent des avantages ciblés : pour les activités installées dans l’arrière-pays, pour les secteurs agricole, touristique ou encore les énergies renouvelables ; pour les entreprises qui recrutent des jeunes… Nous avons aussi pris des dispositions pour faciliter l’accès à la terre, réintroduit les e-visa et augmenté notre production d’électricité.

Des opérateurs économiques tchadiens réclament toujours l’apurement de la dette intérieure. Où en est ce dossier ?

C’est une question qui existe plutôt sur les réseaux sociaux que dans la vraie vie. Nous avons procédé à beaucoup d’opérations de paiements et nous n’accumulons pas les factures. Nous n’avons pas d’arriérés de salaire, pas de problème de fonctionnement. Que les cours du pétrole aient baissé ou pas, nous essayons d’aller de l’avant.

Qu’en est-il des connexions ? L’enclavement du Tchad est-il un problème ?

Nous voyons plutôt notre continentalité comme une chance. Nous sommes au centre de l’Afrique et pouvons être stratégiques, un hub logistique, aérien ou terrestre, mais aussi un hub numérique : les principaux câbles de fibre optique africains pourraient transiter par le Tchad.

En termes de connexions, les choses s’améliorent, même si nous avons dû renoncer à la route vers Port-Soudan. Nous avons déjà d’importants flux de marchandises, dans les deux sens, vers l’Algérie et le Niger. Au Cameroun, l’accès via Bongor a été ouvert, en plus de Koutéré et des accès plus anciens. Nous devons encore formaliser et mettre les infrastructures nécessaires, douanières et logistiques, à nos frontières pour commercer mieux et plus facilement.

Nous avons le projet de rendre le lac Tchad navigable en toute saison vers le Nigeria, qui est un grand marché traditionnel pour le Tchad et qui a été délaissé pendant quelques années.

Quand le projet ferroviaire N’Djamena-Douala va-t-il enfin voir le jour ?

Il y a beaucoup d’intérêts de part et d’autre, les discussions et les études se poursuivent. Mais nous regardons aussi avec beaucoup d’intérêt les autres projets de chemin de fer qu’il y a en Afrique de l’Ouest, du Niger vers la Libye par exemple.

Quelle place les secteurs pétroliers et miniers occuperont-ils à l’avenir ?

La part des hydrocarbures dans l’économie nationale a diminué depuis longtemps, car le pays s’est diversifié. Néanmoins, il reste beaucoup de terres à explorer. Sur le plan minier, nous avons de l’or, de l’antimoine, du tantale, du coltan et d’autres minéraux qui font que beaucoup d’investisseurs s’intéressent à nous. Aujourd’hui, ce potentiel extraordinaire n’est exploité que de façon artisanale, mais nous sommes prêts à accueillir de nouveaux acteurs et à monter en gamme. Ceux-ci devront opérer suivant les meilleurs standards, pour bénéficier tant aux provinces productrices qu’au budget de l’État, en reversant des royalties qui seront gérées suivant des procédures rigoureuses de bonne gouvernance.

Vous prévoyez aussi la privatisation de la Sotel et l’arrivée d’un troisième opérateur. Est-ce que le marché du Tchad est suffisant pour trois opérateurs ?

Nous sommes plus de 18 millions d’habitants avec un PIB qui croît. Le marché est loin d’être saturé. L’arrivée d’un troisième opérateur permettrait non seulement de booster la concurrence, mais aussi d’élargir le marché.

Concernant la production d’électricité, comment va se passer le recours au secteur privé ?

Nous sommes partie prenante de l’initiative M300 [électrifier l’Afrique] de la Banque mondiale et de la BAD. Nous allons lancer des avis à manifestation d’intérêt à l’administration qui permettront de mesurer l’appétit des sociétés qui veulent investir dans la production d’énergie. Les villes commercialement rentables pourront être alimentées par des sociétés privées, pour des raisons d’efficacité, mais aussi de célérité. Évidemment, l’État va continuer à investir pour électrifier les zones rurales.

Côté tourisme, vous affichez l’objectif ambitieux d’attirer 500000 touristes à l’horizon 2030, contre à peine 60 000 aujourd’hui. Comment comptez-vous procéder, tant du point de vue des infrastructures que de la sécurité ?

Nous sommes l’un des pays les plus sécurisés de la région et avons des atouts qui ne manqueront pas de séduire les investisseurs : une belle nature, de la faune, des parcs importants, du désert. Nous allons améliorer les infrastructures d’accueil, notamment les hôtels et les aéroports, et assurer la promotion de la destination.

Vous comptez aussi sur un boost de l’agriculture, notamment un doublement des rendements agricoles et de la production laitière pour sortir 2,5 millions de Tchadiens de la pauvreté d’ici à 2030. Est-ce que vous ne craignez pas que le changement climatique ne complique cet objectif ?

Le pays étant vaste, la répartition des pluies change mais le niveau d’eau global va plutôt en s’améliorant. En outre, l’importation massive de panneaux solaires que nous avons permise depuis 2020 en levant les taxes et les droits de douane, a permis certes d’éclairer le pays mais aussi de développer et d’améliorer l’irrigation. Selon les statistiques, durant le premier semestre 2025, les Tchadiens ont importé l’équivalent de 150 mégawatts en plaques solaires, uniquement de Chine.

Cela permet une augmentation nette de la production agricole et une baisse des prix des denrées sur tous les marchés du Tchad. Nous pouvons encore augmenter cette production : sur 30 millions d’hectares de terres arables, plus de 80 % sont disponibles et peuvent être mises en valeur. Il y a donc du potentiel dans ce secteur pour les investisseurs, tout comme il y en a dans l’élevage. Nous avons un cheptel très important de 150 millions de têtes de bétail, dont 10 millions de dromadaires, ce qui nous place au premier rang mondial pour cet animal. Mais nous avons encore des besoins notamment pour la transformation locale du lait, pour le marché intérieur comme extérieur.

La guerre civile au Soudan a provoqué l’arrivée au Tchad de milliers de réfugiés. Leur prise en charge pèse-t-elle sur le budget national ?

Dans les premiers jours, ça a été assez important mais nous nous sommes adaptés. Les communautés et le gouvernement ont fait des efforts, et la communauté internationale fait de son mieux pour nous aider. Quant aux populations soudanaises qui arrivent au Tchad, elles s’intègrent aussi dans le circuit économique local et contribuent à l’augmentation de la production nationale.

Sur le moyen ou le long terme, pensez-vous que le franc CFA laissera sa place à une nouvelle monnaie en Afrique centrale ?

Il s’agit certes d’un débat important mais qui reste très politique. Pour l’instant, nous devons donner la priorité à l’économie. Les questions monétaires viendront dans un second temps.

Tchadanthropus-tribune avec Jeune Afrique

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