Exécrables, les relations entre N’Djamena et le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, fragilisent la marge d’action de l’organisation dans la gestion du dossier tchadien. Alors que plusieurs points controversés de la charte censée réguler les dix-huit mois de transition n’ont toujours pas été amendé, des initiatives sont actuellement à l’étude pour resserrer la pression sur la junte.

Alors que le comité du dialogue national mis en place au mois d’août par Mahamat Idriss Déby dit « Kaka » a tenu ses premières consultations, aucune structure régionale ne devrait être associée aux discussions. Et pour cause, depuis le décès d’Idriss Déby le 20 avril, pas une instance supranationale africaine n’est parvenue à s’imposer dans la gestion et le suivi de la crise tchadienne. Dévolue dans un premier temps à l’Union africaine (UA), qui était parvenue à prendre le lead sur le dossier dès le mois d’avril, l’organisation panafricaine marche dorénavant sur des œufs et doit faire face à la méfiance du Conseil militaire de transition (CMT).

Guerre froide

En cause, la nomination le 2 juin du diplomate sénégalais Ibrahima Fall au poste de haut représentant de l’UA pour le Tchad. La décision avait suscité un véritable tollé dans les rangs du CMT : N’Djamena avait alors accusé l’UA d’avoir bafoué sa souveraineté en ne l’ayant pas consulté avant sa nomination, ni notifié officiellement. Dans la foulée, les autorités tchadiennes avaient refusé de recevoir Ibrahima Fall à N’Djamena. Commissaire affaires politiques, paix et sécurité, Bankole Adeoye s’était alors rendu en personne dans la capitale tchadienne. Face à la pression de N’Djamena, l’UA avait finalement consenti à remplacer Fall par le Congolais Basile Ikouébé. Diplomate discret âgé de 75 ans, il a été reçu par Kaka le 5 août. Mais son profil de technocrate dénote avec les ambitions initiales de l’UA, qui avait un temps esquissé le projet de nommer un ancien président sahélien en la personne de Mahamadou Issoufou.

Principale cause de cette bataille rangée entre N’Djamena et l’UA : les tensions entre les fils d’Idriss Déby et l’actuel président de la commission de l’UA, le diplomate tchadien Moussa Faki Mahamat. Depuis le décès de l’ancien chef de l’État, de violentes lignes de fractures se sont dessinées entre les deux camps. En cause, les ambitions supposées de Faki de concourir à une éventuelle présidentielle à l’issue des dix-huit mois de transition. Non avérée, la rumeur n’en alimente pas moins un profond blocage entre N’Djamena et l’institution basée à Addis-Abeba.

Toutes les actions de l’UA au Tchad sont désormais jugées par les autorités tchadiennes à travers le seul prisme de Moussa Faki, qui avait pourtant joué les premiers rôles à N’Djamena au lendemain du décès de Déby. Dès le 20 avril, il s’était rendu dans la capitale tchadienne, où il avait séjourné un peu moins d’une dizaine de jours. Initialement pensé comme la seule instance à même de superviser la transition tchadienne, l’UA marche aujourd’hui sur des œufs à N’Djamena et dispose d’une marge de manœuvre des plus limitées.

Point controversé

Conséquence du refus des autorités tchadiennes aux appels de l’organisation panafricaine, plusieurs points controversés de la charte censée régir les dix-huit mois de la transition n’ont toujours pas été amendés. Parmi eux, figure notamment la possibilité pour le CMT de « proroger une fois » la transition pour dix-huit mois supplémentaires, une mesure à rebours des injonctions formulées par l’UA.

Autre point de contentieux entre le CMT et l’UA : la possibilité, pour les membres de l’autorité de transition, d’être candidats à l’élection présidentielle. Si « Kaka » a à plusieurs reprises confié aux « partenaires » internationaux qu’il était prêt à consentir à amender les deux points incriminés, il entend bien rester le maître des horloges. Aucun changement de la charte de la transition devrait ainsi intervenir avant la fin du « dialogue nationale » entrepris par Kaka et qui pourrait s’étendre encore sur plusieurs mois.

Modèle hybride

Au siège de l’UA, où le scénario d’une « transition à la soudanaise » tient toujours la corde, plusieurs voix se sont élevées ces dernières semaines parmi les pays membres du Conseil paix et sécurité (CPS) – dont une délégation s’était rendue à N’Djamena en mai – pour dénoncer la fébrilité de l’organisation internationale face aux nouvelles autorités tchadiennes.

Outre l’UA, les autres institutions sous-régionale dont est membre le Tchad – Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) et G5 Sahel – n’ont pas eu plus de succès pour s’imposer comme interlocuteur de N’DjamenaUne situation qui contraste avec l’activisme de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans la gestion de la crise malienne, qui avait réussi à imposer à Bamako, et ce dès le lendemain du coup d’État, plusieurs de ses lignes rouges à la junte.

Mais ce flottement des organisations sous-régionale dans la transition tchadienne ouvre également des opportunités pour les initiatives unilatérales. Le Togo, le Nigeria (AI du 03/09/21) ou encore l’Égypte se sont ainsi positionnés afin de tenter de s’imposer comme des interlocuteurs clés dans le suivi de la transition tchadienne. Dans ce cadre, la création d’une structure ad hoc – un groupe de soutien à la transition au Tchad – pourrait prochainement voir le jour sur le modèle de celui mis en place pour le Mali.

Tchadanthropus-tribune avec la Lettre du Continent

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