DECLARATION DU CHEF DE L’OPPOSITION POLITIQUE

 

Actualité oblige, je dois commencer par la nouvelle du jour, l’accord Tchad/Glencore, triomphalement annoncé par le gouvernement il y 48 heures. A la lecture du document, l’on note que les informations essentielles relatives, notamment, au montant de la dette et au nouveau taux concédé, n’y sont pas évoquées. Le gouvernement est mal fondé d’affirmer que la Loi de finances 2018 se poursuivra et que son exécution n’en souffrira point. Cela revient à dire que les coupes et autres mesures sur les salaires sont maintenues. Nous y reviendrons. Enfin, le dossier Glencore ne sera jamais fermé tant que la totalité des prêts qu’elle a accordés au Tchad ne seront pas dévoilés. Dans le cas contraire, aujourd’hui, ou demain, les Tchadiens seront fondés à saisir les Tribunaux pour y voir clair. Car il s’agit d’une hypothèque sur l’avenir du pays, qu’il faudra apurer, d’une façon ou une autre.

 

Mesdames et Messieurs,

 

ces dernières semaines, la crise financière qui frappe notre pays depuis trois ans a commencé à avoir des effets multiformes, qui ont pris des allures souvent insurrectionnelles. Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? Comme à son habitude, le gouvernement a volontairement caché la vérité aux Tchadiens, puisqu’on entrait en période pré-électorale truffée de mensonges du candidat Idriss Déby Itno qui a sillonné le pays en promettant monts et merveilles. Le réveil post électoral sera douloureux. A peine investi le 8 août 2016, le nouveau président a, toute honte bue, impulsé les fameuses « 16 mesures » de triste mémoire qui vont précipiter le pays dans le gouffre. Idriss Déby Itno, son parti le MPS et le gouvernement qu’il remanie à chaque virage n’ont plus rien à proposer aux Tchadiens. Les décisions de baisse drastique des salaires et les taxes en cascade à l’appui sont illégales et anti sociales, puisque qu’elles portent gravement atteinte au pouvoir d’achat des Tchadiens. Ils n’ont pas compris que le problème que vit notre pays est essentiellement structurel avant de devenir endémique. Il ne sert donc à rien de faire l’autruche en croyant qu’on peut résoudre ces problèmes sans leur trouver une solution globale, aussi bien au plan économique et financier que politique.

 

Il y a des taches noires dans notre système dont le poids ne peut plus être supporté par un pays aux abois…

 

Une armée nationale aux effectifs pléthoriques, incontrôlée, volontairement déstructurée, suréquipée pour une vocation extra nationale injustifiée et, au total, mal maitrisée. Le budget des « forces de défense et de sécurité » est une fiction, plus que le budget national lui-même. Il y a donc lieu de s’y pencher très sérieusement. La Fonction publique tchadienne a connu plusieurs contrôles d’effectifs sans qu’aucune mesure d’assainissement n’ait jamais été prise. On a recruté à tour de bras, sans le respect des critères, dont le moindre est le diplôme. Elle est devenue un fourre-tout du MPS et de ses affidés qui l’ont inondée de leurs parents et amis sur la base du clientélisme. Ses effectifs restent un mystère que l’Etat ne connait pas. Les emplois fictifs y occupent une place importante. L’autre gangrène reste la gestion des finances publiques. L’on a beau décrié l’accaparement des régies financières par Déby, ses proches et ses alliés directs, rien n’y fit. L’hémorragie a commis des dégâts incommensurables, et le comble est qu’elle se poursuit ! La pratique des DAO (dépense avant ordonnancement), la violation des règles des marchés publics et les marchés fictifs ont généré des fortunes immenses. Les méthodes de gestion de Déby qui, très vite, a pris les commandes du pays en donnant l’impression de partager ou de cogérer, alors qu’en réalité, sa culture dominante est la prédation à outrance et la mainmise sur tous les secteurs financiers. L’ère pétrolière a accentué cette pratique, puisqu’après les premiers accords qui ont abouti à la production en 2003, il a négocié seul et géré les accords avec tous les exploitants : américains et canadiens, chinois et suisse notamment. Dans la plus grande opacité, pour les besoins de la cause, comme on le sait. Des sommes immenses s’y sont volatilisées en rétro-commissions.

 

Le président Déby gère le Tchad comme un patrimoine familial : les ponctions financières à répétition au Trésor, les prêts contractés auprès d’autres pays de la sous-région, les marchés de gré à gré accordés sur ses ordres, sont des exemples de mauvaise gouvernance qui ne sauraient être passés par pertes et profits. A l’heure du bilan, nous sommes dans l’impasse totale et le président Déby est curieusement absent. Il racle les fonds du Trésor pour des missions improductives, quand la population gît dans la misère, la faim et la maladie. Il veille uniquement sur les instruments du pouvoir qui ne doit pas lui échapper. L’interdiction de manifester, c’est lui. La répression sauvage par des forces de 3èmedegré, c’est encore lui. Les mesures impopulaires prises depuis le début de la crise, c’est toujours lui, parce qu’il croit les Tchadiens incapables de se soulever. La réalité d’aujourd’hui est que les Tchadiens en ont marre de ce régime et disent à Déby : « ça suffit», « Iyna », et lui diront bientôt «Va-t’en », « Dégage » ! A court d’argument, le gouvernement utilise maintenant des passerelles pour le moins étonnantes ! Que des associations et des personnalités de son cru sortent du bois pour appeler au dialogue est dans la logique du système. Par contre, que de vrais hommes de Dieu accourent au secours de Déby pour le sauver sous prétexte de sauver le pays nous parait curieux : ils ont le devoir et l’obligation d’être aux côtés du peuple martyr pour le soutenir dans ses souffrances croissantes. Ce pouvoir que certains tentent de sauver est réputé menteur, faux jeton et « faux cul », même quand il s’agit d’affaires aussi graves que l’avenir du pays. Quand les plus hauts responsables du pays, à un moment aussi crucial que celui que nous vivons, continuent imperturbablement leurs œuvres de prédation au vu et au su de tout le monde, et sont décidés à tuer ceux qui les contredisent par des voies pacifiques, faut-il encore tergiverser ? Non, il faut les dénoncer. Pour ma part, j’ai décidé, comme toujours, d’être du côté du peuple et des démunis.

 

C’est pour cela que :

 

Je condamne avec la dernière énergie le gouvernement qui s’oppose aux syndicats, aux associations et à la jeunesse, en usant de moyens disproportionnés pour réprimer toute velléité de manifestation.

Je dénonce les arrestations illégales par des forces illégales comme l’ANS, ainsi que l’emprisonnement des manifestants injustement condamnés et qui doivent être immédiatement élargis ;

J’appuierai toute initiative qui sera prise pour poursuivre les auteurs de crimes devant toutes les juridictions pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes économiques.

Je soutiendrai toutes les manifestations des travailleurs et des jeunes dans leurs actions pacifiques pour recouvrer leurs droits et restaurer leur dignité.

Je serai aux côtés de la population qui vit dans la misère et ne demande qu’à sortir de cette situation d’injustice où elle doit continuer de souffrir, mourir de faim et de maladie, en lieu et place des voleurs de la République qui ont mis le pays à genoux, protégés par le président Idriss Déby Itno.

J’invite, en conséquence, toutes les forces politiques et sociales à intensifier les actions multiformes et légales afin d’obliger le gouvernement de M. Idriss Déby Itno à la négociation, pour prendre des mesures idoines qui sortiront le Tchad de la crise. Enfin, je lance un appel pressant à la communauté internationale de cesser de soutenir un pouvoir illégitime et antinational.

 

Mesdames et Messieurs,

 

l’heure est à l’action, à l’unité d’action de toutes les organisations politiques que j’invite, de nouveau et instamment, à se ranger du côté du peuple martyr. L’heure est grave. Départissions-nous de nos petites divergences, s’il y en a, pour nous unir et lancer une grande œuvre d’assainissement national dont notre pays, le Tchad, a plus que besoin. Je vous remercie.

 

N’Djamena, le 23 février 2018

Saleh KEBZABO

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