Le soutien permanent de la diplomatie et de l’armée française au président tchadien Idriss Deby est peu étudié en France. Pour qui connaît le Tchad, ce soutien mériterait d’être, sinon aveuglement dénoncé, au moins, véritablement analysé. D’autant que l’action de la France au Tchad, sa mobilisation pour le maintien, coûte que coûte, du président Déby à la tête de ce pays – malgré des élections truquées, les viols de la constitution, l’autoritarisme de ce régime, la mal gouvernance, la corruption, les atteintes graves aux droits de l’homme, l’impunité de ses responsables, le tribalisme… –, n’est pas sans conséquence pour les Tchadiens.

 

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ÉCLAIRER LA POSITION DE LA FRANCE AU TCHAD

 

Pour y voir plus clair, le Comité de suivi de l’appel à la paix et à la réconciliation (un rassemblement de plus de 70 organisations de la société civile tchadienne, CSAPR) soutenu dans sa démarche par le CCFD-Terre solidaire et le Secours catholique, a demandé à au chercheur Roland Marchal (CNRS/Sciences-Po Paris) d’éclairer les relations entre les uns et les autres. Ce dernier s’intitule « Petites et grandes controverses de la politique française et européenne au Tchad ».

 

 

« La France et l’Europe ont-elles pris toutes les mesures en faveur d’une paix durable au Tchad? », interroge le CSAPR. Réponse? Pour les autorités militaires et diplomatiques françaises, soutenir Idriss Deby, a toujours été la meilleure chose à faire pour garantir la stabilité régionale, explique Roland Marchal dans un rapport passionnant d’une cinquantaine de pages. Le texte retrace cette histoire, expose les relais et les acteurs, tant militaires que diplomatiques, qui défendent et assurent le soutien de Paris au président Déby.

LES SOUTIENS FRANÇAIS D’IDRISS DÉBY

 

Pour Roland Marchal, ils sont de trois natures. Il y a d’abord les « réalistes » (surtout du temps de Jacques Chirac), pour qui Déby n’est pas meilleur que les autres, mais au moins on le connaît et il rend des services. À leurs yeux, note avec finesse le chercheur, « jamais on n’accepte un processus démocratique comme solution aux tensions qui déchirent le Tchad. « Donnez-nous un nom? Qui peut le remplacer? »: telle est la question dix fois entendue alors à l’Élysée et au Quai d’Orsay. L’idée de parier sur un processus plus que sur un nom est inacceptable. »

Les « néoconservateurs » (Bernard Kouchner du temps de Nicolas Sarkozy; Jean-Christophe Belliard, le directeur Afrique de Laurent Fabius), eux, voient en Déby un rempart au « Mal » que sont les islamistes et les terroristes.

Enfin, les « admirateurs », louent le courage et la valeur d’Idriss Deby (militaires, diplomates, hommes politiques).


L’INFLUENCE DU GÉNÉRAL BENOIT PUGA

 

Aujourd’hui, la grande figure militaire qui incarne le soutien de la France à Déby est, selon le rapport, le général Benoit Puga, le chef d’état-major particulier de François Hollande (après avoir été celui de Nicolas Sarkozy). Pour cet homme – il a participé aux opérations militaires françaises qui ont sauvé Idriss Déby des rebelles en 2006 et 2008 –, comme pour de nombreux militaires et diplomates, le président tchadien et son ethnie au pouvoir (lesZaghawa) ont le mérite d’être des guerriers. Une valeur indispensable pour le maintien de l’ordre dans la région.


Par ailleurs, il est impossible à ses yeux, « de jouer une carte démocratique, sauf à risquer le retour de la guerre civile » au Tchad. Enfin, la « médiocrité absolue de toutes les oppositions » dans ce pays permettrait de « passer par pertes et profits les défauts du président tchadien, l’affairisme de sa petite famille et une gouvernance qui cultive l’arbitraire ».

LA VISION DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (MAE)

 

À la tête de la direction Afrique du Quai d’Orsay, Jean-Christophe Belliard, qualifié de « néoconservateur » par le chercheur du Ceri, est le principal soutien d’Idriss Déby au cœur de la diplomatie française. Selon lui, le président tchadien est le rempart au « Mal » soudanais – sous-entendu islamiste. « Cette posture quasi religieuse (et donc plutôt paradoxale pour un franc-maçon), écrit Roland Marchal, est absolument en cohérence avec les secteurs les plus durs de l’Administration américaine ».

LA CONTRADICTION MAJEURE DE LA POLITIQUE FRANÇAISE EN AFRIQUE

 

L’élection de François Hollande n’a rien changé à la manière dont la France envisage sa relation avec le Tchad, selon ce rapport. Elle est la même que celles de ses prédécesseurs, note Roland Marchal.

Et de s’interroger« Comment réduire le terrorisme qu’on dit prospérer sur la mauvaise gouvernance, alors même que l’action militaire française sanctuarise des régimes autoritaires peu enclins à se réformer? ».

 

 À lireLe rapport de Roland Marchal sur le site du CCFD

 

LAURENT LARCHER

 

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