Alors qu’en ce mois de juin 2014 l’armée tchadienne a fait l’acquisition de MIG-29, avions capables de franchir le mur du son, Blog défense vous propose une revue de détail de ses forces aériennes.

 

* Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis.

 

Durant la période mouvementée des années 1980 (avec en toile de fond, des rivalités politiques nationales, les revendications libyennes sur la bande d’Aouzou, l’intervention française…), le Tchad ne dispose que d’une aviation anecdotique. Fin 1987, après les batailles de Ouadi Doum et de Maaten al-Sarra, il n’aligne, comme appareils susceptibles d’accomplir des missions de combat,  que 2 Pilatus PC-7, quelques SF260, 7 (ou 11) L39 Albatross. Parmi eux, les L39 et SF260 ont été pris aux Libyens et ne sont pas opérationnels tandis que les PC-7, s’ils peuvent être armés, n’effectuent alors que des missions de reconnaissance. L’aviation de transport est un peu mieux achalandée, notamment avec 4 C-130A Hercules, 3 ou 4 C-47.

 

Hind et Frogfoot ukrainiens, Fennec singapouriens

 

Une trentaine d’années plus tard, la situation a bien changé. Idriss Déby, vétéran des incessants affrontements des années 1980, chef d’État confronté à une insurrection qui se développe durant les années 1990, a souvent constaté l’intérêt de l’aviation dans un pays comme le Tchad ; vaste  avec des frontières aussi interminables que poreuses, aux milieux géographiques variés : désert, reliefs arides, zones de végétation… À plusieurs reprises (et notamment en 2005 et 2008), les rebelles soutenus par le Soudan passent à l’action. Contexte délétère qui favorise évidemment les achats d’armes. N’djamena se tourne tout spécialement vers l’Ukraine. Ainsi lui commande-t-elle des matériels terrestres (véhicules blindés de combat d’infanterie BMP-1 et BTR-3E, fusils d’assaut) mais aussi aériens.

 

Les premiers "nouveaux" hélicoptères (achetés d’occasion) Mi-24 Hind arrivent en 2007. L’année suivante, ce sont deux autres Hind ainsi que 3 Su-25 Frogfoot, des avions d’attaque au sol dont nous avons déjà parlé au sujet du Niger. Ils ne tardent pas à entrer en action : en mai 2009, les Frogfoot sont engagés contre une colonne de rebelles. Ils déversent des bombes de 250 kilos ainsi qu’une pluie d’obus de 30 mm, 23 mm (canons en nacelles) et roquettes. En novembre, le Tchad reçoit 6 hélicoptères AS550 Fennec, achetés à Singapour. Légers, ils peuvent effectuer des missions de liaison, mais aussi d’observation et de reconnaissance, par exemple au profit des Mi-24. Ils sont suivis de Mi-17 eux aussi en mesure de seconder les Hind, emportant roquettes et éventuellement bombes. Par ailleurs, un quatrième Frogfoot a été livré, portant le total à 2 Su-25 et 2 Su-25UB (biplaces, pour l’entraînement et l’attaque). En décembre, au moins l’un d’eux intervient contre un camp rebelle au Soudan.

Les Fulcrum pourraient assurer une couverture a minima de troupes engagées contre des rebelles venus du Soudan.

 

Chadian Fulcrum

 

Cinq ans après, c’est une révolution qui s’annonce pour l’Armée de l’air tchadienne. En ce mois de juin 2014 : elle s’apprête en effet à rentrer dans le "club" des forces aériennes supersoniques (avec des avions en mesure de franchir aisément le mur du son). En effet, courant mai 2014, un MiG-29 Fulcrum aux couleurs nationales tchadiennes est aperçu au Centre de Maintenance d’aviation d’État de Lvov à l’occasion d’un vol d’essai. Trois de ces aéronefs sont attendus, aboutissement de discussions entamées en avril 2009. À cette date, accompagné du chef d’État-major de l’Armée de l’air, Oumar Déby, frère du Président, se rend en Ukraine afin d’y négocier l’achat de 3 MiG d’occasion, des pièces de rechange, des munitions…

 

Le chasseur-bombardier observé provient donc du stock ukrainien hérité de l’éclatement de l’URSS. Il semble avoir été modernisé aux standards MiG-29 9.13 également désigné comme MiG-29SM Fulcrum-C. Soit un modèle de "vieille" génération, modernisé, étant ainsi capable de délivrer un armement air-sol plus étoffé, à commencer par des projectiles guidés. Si nous sommes encore loin de la montée en puissance soudanaise (avec notamment 18 Su-30MK Flanker, 12 bombardiers Su-24M Fencer et pléthore d’hélicoptères Mi-24 et Mi-8 commandés en 2013 et qui s’ajoutent à de nombreux autres aéronef relativement récents), cela représente toutefois une sensible augmentation des capacités aériennes tchadiennes.

 

Avantages et inconvénients des MiG-29 pour le Tchad

 

Capacité qui répond à la fois à l’impératif du symbole de puissance militaire (toute proportion gardée) pour un Tchad qui se veut acteur majeur de la bande sahélienne (intervention au Mali, en Centrafrique…) et à la fois à des considérations opérationnelles cohérentes. D’une part s’inscrit la possibilité de frapper plus loin et plus vite qu’avec les Su-25, dans la partie méridionale (au sud-ouest avec la menace de Boko Haram aux frontières nigérianes et camerounaises, au sud-est avec la Centrafrique et enfin, à l’est et au sud-est avec le Soudan). D’autre part, même si cela n’a pas été pensé à l’époque et même si le Tchad ne dispose pas de moyens de détection aérienne performants, les Fulcrum pourraient assurer une couverture a minima de troupes engagées contre des rebelles venus du Soudan et susceptibles de bénéficier de l’appui aérien discret de Khartoum.

 

Le rayon d’action à basse altitude du Fulcrum-C est d’environ 700 kilomètres (sans réservoirs supplémentaires) contre 450 kilomètres pour le Su-25 Frogfoot (là encore, à basse altitude et uniquement avec carburant interne). Si la charge offensive (bombes, roquettes) est au maximum de 4 400 kilos pour le Frogfoot, elle est en revanche bien moindre pour des raids impliquant l’utilisation de réservoirs supplémentaires. Le MiG-29 9.13 peut quant à lui recevoir 3 200 kilos de missiles, de bombes et de roquettes.

L’arrivée des MiG-29 donne à N’djamena les moyens d’une politique régionale affirmée.

 

Deux bémols toutefois. Premièrement, alors que le Su-25 est un appareil rustique, facile à opérer depuis des bases peu aménagées, le MiG-29 est beaucoup plus complexe, demande davantage de maintenance. Deuxièmement – même s’il ne s’agit que d’une donnée subjective et variable (selon les forces aériennes et leurs moyens, l’âge des avions…) – le coût de l’heure de vol sur MiG-29 est en moyenne deux à trois fois plus élevé que sur Su-25. Considération non-négligeable pour un pays dont les finances ne sont pas exceptionnelles. À noter que les pilotes et techniciens sont Ukrainiens…

 

Cette entrée en service du premier chasseur-bombardier supersonique tchadien ne doit pas occulter l’entrée en service, début 2014, d’un premier C27J Spartan de transport tactique, pouvant transporter une soixantaine d’hommes, 46 parachutistes ou encore 6 tonnes d’équipements. Avec un rayon d’action de 4 260 kilomètres, il est destiné à épauler les C-130 Hercules. Un second Spartan intégrera la force aérienne fin 2014 ou début 2015. De cette manière, le Tchad ne sacrifie pas au transport aérien stratégique, vecteur d’influence. Certes, l’aviation tchadienne reste numériquement et qualitativement modeste, dépendant beaucoup de "contractors" pour son bon fonctionnement. Néanmoins, avec l’arrivée des MiG-29, elle se muscle, donnant à N’djamena les moyens d’une politique régionale affirmée, tant pour y défendre ses intérêts que dans le cadre d’opérations sous l’égide de l’UA.


Pour approfondir :
 une "revue de détails de l’armée tchadienne est au programme ; en attendant, l’auteur de ces lignes recommande la lecture d’un état des lieux de ladite armée en 2013 par Stéphane Mantoux. À l’instar de tous les articles du rédacteur, le contenu est excellent.


Jeuneafrique.com  

 

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