Le Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs (MAEP) est une institution qui contient en son sein un programme accepté volontairement et d’un commun accord par les Etats membres de L’Union Africaine en 2003 ; l’objectif est de promouvoir et renforcer la gouvernance dans le contexte du NEPAD (Nouveau partenariat pour le Développement) qui lui, est un projet conçu par l’Union Africaine pour permettre à l’Afrique de rattraper son retard sur le reste du monde en matière de développement ; Le programme du MAEP s’attache principalement à l’évaluation de quatre domaines précis : la gouvernance politique, la gouvernance économique, la gouvernance des entreprises et le développement socioéconomique.

Le Tchad qui a adhéré « volontairement » au Programme vient de procéder à son lancement officiel le 22 Aout 2013 et a créé pour sa mise en œuvre, des structures adéquates : un Point focal, un Conseil national de gouvernance et un Secrétariat national. Notre pays devra donc présenter au forum des chefs d’État au plus tard fin janvier 2015 soit dix-huit mois après son adhésion, un premier rapport qui permettra aux autres chefs d’État africains d’évaluer la qualité de la gouvernance dans notre pays.

Le lancement du programme du MAEP ce 22 Aout 2013 qui est censé être un événement important est passé presque inaperçu et pour cause : en dehors du tchadien lambda dont les préoccupations sont ailleurs, l’élite intellectuelle tchadienne qui a compris ce que c’est que le MAEP se demande légitimement à quoi sert cet organe pour notre pays. Si l’adhésion du Tchad à ce mécanisme est principalement destinée comme d’habitude, à abuser de la crédulité de l’opinion internationale, il va sans dire qu’aucun tchadien ne croit en une quelconque volonté des dirigeants d’améliorer la gouvernance de ce pays.

Cette adhésion est d’autant plus inconvenante qu’elle n’accouchera aux yeux des tchadiens ni plus ni moins que d’une officine de plus, destinée à caser des individus dont la médiocrité ternira encore l’image de notre pays quand ils auront à intervenir devant des instances internationales.

Mis à part le fait que cette institution pèsera encore plus sur le budget national à l’image de la Cour Suprême, du Conseil Constitutionnel et d’autres institutions nuisibles aux droits de l’homme dans notre pays, ce Programme sera pour nos plus hautes autorités, l’occasion, (nous le craignons) de soudoyer les experts qui auront la charge de la validation du rapport d’évaluation.

Ces tragi-comédies auxquelles nos gouvernants nous avaient habitués nous offriront comme à l’accoutumé, ce scenario connu d’avance : à terme, Les chefs d’états pourront évaluer « positivement » la gouvernance dans notre pays. Il serait cependant intéressant de connaitre les impressions des membres de ces missions d’experts qui auront à sillonner toutes les contrées du Tchad avant de valider le rapport d’évaluation à soumettre aux Chefs d’états quand ils seront confrontés à ce qu’ils découvriront réellement sur le terrain : Ces individus auront-ils le courage de valider un rapport qui occultera à n’en pas douter cette mauvaise gouvernance subie par les tchadiens depuis près de vingt trois ans ?

Cette adhésion au MAEP est d’autant plus absurde qu’elle oblige les tchadiens à se demander quelle forme des quatre gouvernances visées par ce programme mérite d’être évaluée au Tchad.


La Gouvernance politique ?

Au Tchad, ces experts constateront d’abords que tous les pouvoirs, Exécutifs, législatifs et Judiciaires sont dans les faits, concentrés entre les mains d’une seule personne en l’occurrence, le chef de l’Etat, faussant du coup, le jeu démocratique. ils ne manqueront pas de constater également qu’avec la disparition en 2006 de la disposition constitutionnelle limitant la durée du mandat présidentiel, le chef d’Etat Tchadien est assuré d’une présidence à vie avec l’aide d’un Conseil Constitutionnel à sa dévotion et dont le rôle est de légitimer régulièrement les fraudes électorales opérées par des CENI plus corrompues les unes que les autres.

Quand ont ajoute à cela le fait que les partis politiques d’opposition sont fragilisés par des divisions, intimidations arrestations et autres complots orchestrés par le pouvoir, ces gens auront- ils le courage de voir que dans ce pays, l’alternance est quasi impossible ? ils sauront que dans ce pays, les droits fondamentaux des citoyens sont régulièrement violées.

Ils apprendront sans doute que les prisons et autres lieux de détentions occultes regorgent de personnalités politiques arbitrairement arrêtées et détenues ,parfois des parlementaires interpellés comme de vulgaires bandits au mépris des procédures particulières requises pour cette catégorie de responsables.

Ces experts verront aussi que les activités de la société civile tchadienne se résument à une relative liberté d’expression destinée à la consommation extérieure et que le Tchad est le seul pays où la moindre marche et autres manifestations pacifiques pourtant autorisées par la Constitution sont systématiquement interdites. Ils verront enfin qu’il existe dans ce pays des citoyens au dessus des lois et que l’insécurité est alimentée par une impunité qui n’existe nulle part ailleurs. Bref, ces experts auront, nous l’espérons, la lucidité de conclure que le Tchad n’est pas un Etat de droit et de refuser de valider un rapport qui conclurait à une bonne gouvernance politique.


La Gouvernance économique ?

Ces experts se rendront rapidement compte qu’il n’existe pas au Tchad de véritable économie dans le sens déontologique du terme, par ce qu’il n’existe pas de politique économiques : aucune statistique crédible n’est perceptible. Les chiffres publiés par les bailleurs sont anecdotiques et ne reflètent aucune réalité. Le dernier rapport du F.MI publié le 19 Septembre 2013 est tout simplement scandaleux et a provoqué l’indignation de toute l’intelligentsia tchadienne, jetant un discrédit sérieux sur la moralité des membres des missions de cette prestigieuse institution. Connaissant les méthodes de nos dirigeants, cette hypothèse est plus que crédible .

Le fait que notre économie soit informelle à 80% a considérablement favorisé le caractère artisanal de celle-ci et à lire ce rapport du FMI, on croira qu’il s’agit d’un pays autre que le notre. La charte des Investissement qui a remplacé le code des Investissement en vigueur sous l’ancien régime transforme quasiment le Tchad en une zone franche faisant la part belle aux investisseurs étrangers qui réalisent du coup des bénéfices exorbitants au détriment de l’intérêt du pays en corrompant les hauts responsables ; cette charte des investissements taillée sur mesure aurait pu pourtant, dans un système économique maitrisé, redynamiser ce secteur important de la gouvernance hélas, la privatisation à été utilisées par nos dirigeants pour permettre aux membres de la famille du Président et de son clan d’accumuler simplement des richesses qui sont soit thésaurisées soit investies à l’étranger, de toute façon, elles ne sont jamais réinvesties au bénéfice de l’économie nationale.

Étant donné que le taux de chômage dans un pays préfigure une bonne ou mauvaise santé économique, Les experts chargés de valider le rapport sur la gouvernance économique se rendront compte que le Gouvernement tchadien n’a tout simplement aucune politique d’emploi et que le nombre de chômeurs, s’il y avait eu de statistiques fiables aurait été catalogué comme l’un des plus élevés au monde.

Les ressources pétrolières sensées servir au bien être des tchadiens sont la propriété exclusive du Président et de sa famille et sont régulièrement drainées vers un compte bancaire ouvert à la BCC au nom de la Direction des grands travaux présidentiels ; c’est de là que sont financées toutes les « Réalisations »dont la qualité est bien connue et dont le coût est dix fois supérieur à la normale.

Les recettes douanières qui constituent 70% des ressources hors pétrole du pays sont, au mépris de la réglementation financière en vigueur au Tchad, logées depuis 2012 dans un compte ouvert à la CBT et sont devenues pratiquement, une caisse noire. Les experts apprendront également que la corruption au Tchad est endémique et structurelle. Elle sévit à tous les niveaux de l’état et gangrène presque tous les secteurs à l’image de plusieurs projets de construction abandonnés : nous citerons au hasard, (un exemple parmi des Dizaines) le pipeline de Sédigui qui en est une des plus belles illustrations. Trois milliards partis en fumée.

Le système financier tchadien est le domaine qui à connu et qui continue de connaitre les dégâts les plus importants : le budget Général de l’État une fois voté et promulgué est tout simplement abandonné : les engagements sont rapidement suspendus et les dépenses sont effectuées directement au trésor par DAO (dépenses avant ordonnancement) essentiellement effectuées par les hauts responsables ; ce qui fait que les crédits budgétaires ne servent qu’à régulariser les détournements opérés par les hautes autorités ; la gabegie financière est telle que les montants des dépenses à régulariser ( près de 300 Milliards) donnaient régulièrement le tournis aux membres des missions du FMI et de la Banque Mondiale.

Il n’est donc pas étonnant qu’avec cette gestion « épicière » et unique dans le monde, de nos Finances publiques, nous fument la risée des institutions financières internationales à l’époque où leurs différentes missions produisaient des rapport à peu près objectifs.


La gouvernance des entreprises ?

Les entreprises publiques sont presque toutes sous le couvert de la privatisation, bradées par le pouvoir au profil des membres de la famille du Chef de l’État : le cas de la SNER est le plus patent : cette société d’État est désormais devenue société anonyme et est la propriété exclusive du grand frère du Président.

Avec ces cinq filiales toutes contrôlées par les membres de leur famille, cette unité économique et toutes ses filiales à la faveur de deux conventions d’établissement signées avec le gouvernement sont exonérées d’impôt pendant 15 ans. Cette convention qui occasionne des manques à gagner considérables à l’État en matière de recettes fiscales est entérinée par un décret pris en conseil de Ministre. Les bénéfices engrangés par ces unités économique ne servent donc plus à l’érection d’autres entreprises susceptibles de créer des emplois et surtout de générer des ressources fiscales importantes nécessaires au développement économique du pays : ces entreprises nationales dont les membres de la famille du Président se sont illégitimement accaparées produisent des bénéfices qui sont tout simplement thésaurisés et ne sont jamais réinvestis ; de plus, des proches du Président, désormais propriétaires de ces sociétés ne payent plus d’impôt contribuant grandement à l’anéantissement des capacités financières de l’État.

La famille présidentielle en plus des entreprises d’état a fait également main basse sur les régies financières les plus rentables : les services de recettes gérés en régie par le trésor public en l’occurrence les régies des pièces d’identité et passeport ainsi que celles des cartes grises, permis de conduire, licences etc. sont octroyées par des contrats de concession qui permettent à un membre de cette famille de s’adjuger 90% des redevances perçues sur les usagers tchadiens. Les marchés financés par les ressources pétrolières sont toujours attribués de gré à gré aux membres du clan au pouvoir (qui, pour la circonstance possèdent chacun sa propre entreprise) comme ils sont tous bénéficiaires exclusifs de ces contrats de gré à gré, ils en font évidemment à leur tête.

Ce qui fait que les surfacturations constatées pour leurs exécutions sont devenues célèbres en Afrique. Quelle gouvernance des entreprises peut-elle être évaluée ici ?


Le développement socio-économique ?

C’est le domaine où se rencontrent les formes les plus graves de violations des droits Humains : les violations des droits économiques des tchadiens au regard de l’Article 11 du Pacte International relatif aux Droits économiques sociaux et culturel, pacte ratifié par notre pays.

Le Tchad est l’un des pays au monde où les inégalités sociales sont les plus accentuées : les experts chargés de la validation du rapport se rendront rapidement compte qu’une seule ethnie possède toutes les richesses de ce pays. Ces expert découvriront sans nul doute qu’une infime minorité de milliardaires détentrice de toutes ces richesses cohabite avec une majorité de citoyens incapable d’assurer le repas quotidien ; ils verront également que l’injustice dans ce pays n’a jamais été aussi flagrante au point où 80% des citoyens ne se sentent plus tchadiens ; ils verront que les institutions de contrôle ne répriment que les autres citoyens à l’exclusion des membres de la famille du président pourtant seuls grands détourneurs des fonds publics etc.

Le ministère de micro crédit est une institution destinée comme à l’accoutumé à divertir l’opinion internationale, faisant croire à celle-ci que le gouvernement tchadien pense aux plus pauvres. Cette institution permet essentiellement aux responsables généralement proches du pouvoir de s’enrichir et sert à la campagne du président en période électorale ; ces experts constaterons sans doute que ces maigres crédits sont généralement octroyés à des groupements à quelque heures de la visite du président dans leur zones.

Ces experts se rendront très vite compte que le gouvernement tchadien est le principal responsable de la cherté de vie qu’il programme minutieusement pour mieux asservir les tchadiens ; ils se rendront compte enfin que l’enrichissement éhonté de la minorité ethnique et l’appauvrissement concomitant de la majorité des tchadiens peut amener à penser qu’il existe une volonté délibérée de vouloir créer une classe sociale de maitres et celle de serviteurs.

Pour conclure notre étude, nous disons que si les autres pays africains qui avaient adhéré au MAEP l’on fait dans le souci (peut-être) d’améliorer leur gouvernance, notre connaissance du régime politique tchadien nous amène à être plus que sceptique quant à d’éventuels changements dans la gouvernance. Les tchadiens n’ont donc rien à attendre de ce Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs.


Mahamat Nour A. Ibedou Secrétaire Générale de la Convention Tchadienne pour la Défense des Droits Humains (C.T.D.D.H) Tel port : 00235066267981  mail : ibedoum@yahoo.fr
 

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