7 janvier 2014 TCHAD/Centrafrique: Le CPFC (Conseil patriotique des forces pour le changement). Interview avec Houlé Djonkamla. Qu’on arrête d’indexer les Tchadiens civils.
L’opposition politico-militaire Tchadienne à travers le CPFC sort de son silence par rapport à la situation de civils Tchadiens dans ce Pays, fait son analyse et propose des solutions sur le fonctionnement de la MISCA et SANGARIS pour un retour à la paix.
Nous assistons à une dégradation continuelle de la situation sécuritaire en RCA, malgré la transformation de la FOMAC en MISCA et malgré la présence des troupes Françaises de l’Opération SANGARIS. Depuis le déploiement de toutes ces forces les tensions communautaires et religieuses ne font que s’accentuer avec en toile de fond la stigmatisation des civils tchadiens qui fuient vers leur pays. L’appel du président français au Conseil de sécurité pour un déploiement des casques bleus annonce-t-il des lendemains terribles dans ce pays de l’Afrique centrale ? Notre rédaction à voulu savoir ce que pense Houlé Djonga Djonkamla, le Coordinateur adjoint du Conseil Patriotique des Forces pour le Changement (une fusion de l’UFCD et du FPRN).
Blog Makaila : Bonjour Houlé ! La RCA, pays limitrophe du Tchad, s’est enlisée dans un conflit politico-militaire, quelle est votre appréciation de la situation ?
Houlé Djonga Djonkamla (HDD) : la situation actuelle en Centrafrique est préoccupante et elle nous interpelle compte tenu de ses ramifications sous-régionales et ses conséquences désastreuses sur les civils vivant dans ce pays et notamment mes concitoyens Tchadiens qui fuient vers le Tchad.
BM : face à la dégradation de la situation en RCA que doit-t-on attendre des différents acteurs politiques centrafricains ?
HDD : Il est urgent que les hommes politiques et religieux centrafricains comprennent qu’aucune force militaire extérieure ne pourra, même si elle a l’intention, imposer la paix en Centrafrique sans leur adhésion. Car en amalgamant les ex-SELEKA avec les populations originaires du Nord et musulmanes et les anti-BALAKA comme les populations sudistes majoritairement chrétiennes, les principaux acteurs de la scène publique de la RCA valident consciemment ou non la confusion fabriquée de toute pièce par la presse internationale et dont les conséquences risquent d’être plus graves qu’au Rwanda en 1994. C’est pourquoi, en des termes clairs, toute la classe politique centrafricaine, toute la société civile de la RCA doit dénoncer cette campagne médiatique internationale et appeler les populations à se démarquer des ex-SELEKA et les anti-BALAKA. La société civile dans son ensemble, y compris donc la classe politique, doit prôner la cohabitation pacifique entre les populations, car c’est à ce prix et à ce prix seulement que les forces régionales et internationales déployées pourront les aider à ramener la paix en RCA.
BM : Une large opinion publique centrafricaine dénonce les agissements des Tchadiens qui sont faiseurs de rois en RCA avec notamment l’appui qu’ils auraient apporté à Bozizé lors de son accession au pouvoir en 2003 ou avec Djotodia en 2013, qu’en pensez-vous ?
Je ne tomberai pas dans le raisonnement de la facilité comme le citoyen lambda, la crise en Centrafrique a ses ramifications lointaines. Je crois que le président Bozizé est encore en vie et il est joignable comme RFI a réussi à le joindre le 01 janvier 2014 lorsqu’il soutenait en de termes détournés les anti-BALAKA. Il peut nous dire qui du Tchad ou de la France a commandité sa venue au pouvoir en 2003. S’il ya des journalistes d’investigations, ils doivent se pencher sérieusement sur cette question au lieu d’alimenter une rancœur contre les civils Tchadiens qui a pour conséquence l’atteinte à leur intégrité physique et la spoliation de leurs biens. Les Tchadiens, faut-il le rappeler, ne sont pas arrivés en RCA avec l’arrivée du président Idriss Deby. Cette chasse aux civils tchadiens est inacceptable et toute la communauté des organisations humanitaires et de défense des droits de l’homme doivent la dénoncer comme ils l’ont fait lorsqu’il s’agissait des civils centrafricains.
Aussi, Sachez que les militaires Français ne viennent pas d’arriver en RCA comme on nous le fait croire. Ils y étaient en 2003 quand Patassé était renversé et en 2013 quand le président Bozizé fut renversé par la SELEKA. Voulez-vous que je sois si naïf pour croire que le Tchad renverse un Chef d’Etat de la RCA lorsque la France est présente militairement dans ce pays ? Tous les hommes politiques centrafricains le savent mais refusent pour leurs intérêts personnels de le dire. Tous savent que cette stigmatisation des civils tchadiens est injuste et il est temps qu’ils la dénoncent et appellent ceux qui sont instrumentalisés à arrêter de s’en prendre aux civils tchadiens.
BM : lorsque certains opposants tchadiens et centrafricains imputent la responsabilité de la situation en RCA aux Tchadiens, il est surprenant que vous fassiez entendre un autre son de cloche ?
HDD : Les hommes politiques centrafricains et tchadiens savent faire la différence entre les civils tchadiens et le gouvernement tchadien. Nous avons toujours dénoncé avec vigueur jusqu’à nous rebeller les dérives de ce régime. Pour autant il sera irresponsable de notre part de nous taire sur le drame que vivent les civils Tchadiens et Centrafricains dans ce pays. Nous ne nous sommes pas rebellés contre les populations civiles tchadiennes. C’est au contraire pour le bien-être de cette population civile que nous réclamons plus de protection, de justice et de liberté à travers notre combat. Quand les civils tchadiens sont menacés comme c’est le cas en Centrafrique, nous nous devons d’être solidaires de ces civils, dénoncer tous ceux qui organisent cette campagne médiatique qui les stigmatise. C’est une position de responsabilité.
BM : Quelle lecture faites-vous du traitement de l’information par la presse internationale sur la situation actuelle qui prévaut en RCA ?
HDD : Si les journalistes internationaux avaient tendu leurs micros aux responsables centrafricains favorables à l’apaisement de la situation en RCA, ils auraient fait un grand pas vers le rétablissement de la quiétude entre les Centrafricains et les étrangers, notamment les civils tchadiens qui vivent pour certains avant les indépendances dans ce pays. Si la presse internationale veut participer aux différents scenarios de remplacement de Michel Djotodia, elle n’a pas besoin d’alimenter une rancœur en stigmatisant les civils tchadiens.
Nous avons depuis toujours attiré l’attention de cette presse internationale sur le caractère dictatorial du régime d’Idriss DEBY , elle devrait exploiter les milliers de sujets de gestion que soulève depuis 23 ans l’opposition politique interne, la société civile et les mouvements politico-militaires. Mais lorsque le travail de la presse a pour conséquence l’exacerbation de la xénophobie contre des civils tchadiens comme c’est le cas en RCA où la parole est donnée aux groupes qui attaquent des civils et qui appellent à leur extermination, nous ne pouvons l’accepter parce que nous voulons simplement profiter de tout ce qui nuira à l’image du gouvernement. Beaucoup de Tchadiens sont portés disparus sans que cette presse-là ne s’émeuve, notre constitution a été modifiée sans que cette presse ne s’émeuve, le pays est sans eau et électricité alors que les ressources ne manquent pas mais cette presse n’en parle pas. Où est cette presse pendant ce temps-là ? Ne nous trompons pas volontairement lorsqu’on sait que les victimes de cette campagne médiatique en RCA sont les civils tchadiens et centrafricains. Il va falloir qu’elle mette l’accent sur le drame humanitaire des déplacés et rapatriés civils tchadiens et centrafricains qui sont de loin les plus grandes victimes de ce conflit.
BM : Que dites vous de la décision de la MISCA sur le retrait des troupes tchadiennes de Bangui?
HDD : Nous aurions souhaité que les troupes Tchadiennes n’interviennent pas du tout en RCA. Mais aujourd’hui, pour ceux qui analysent la situation militaire actuelle de la RCA et qui veulent le retour de la paix dans ce pays, le retrait des Tchadiens de Bangui ne fera qu’envenimer la situation dans cette ville. Qu’est-ce qui se passe sur le terrain ? Les seules forces qui dissuadent les ex-SELEKA et les anti-BALAKA sont les forces tchadiennes et françaises. Les militaires français ont la force de feu qui peut dissuader les deux parties, mais ils ne peuvent pas prendre les risques de terrain que les tchadiens sont capables de prendre. Si cette analyse n’est pas encore comprise des hommes politiques centrafricains, à Paris et au sein de l’état-major de la MISCA, on est conscient de cette réalité. C’est pour cette raison que les forces tchadiennes n’ont pas quitté Bangui à ce jour. Il faut dire la vérité, la situation à Bangui ressemble dans une certaine mesure à celle de Mogadiscio lorsque les troupes américaines sont intervenues avant de se retirer. C’est à cause de la pression surtout du Tchad que les ex-SELEKA ont accepté leur cantonnement. Le départ des Tchadiens de Bangui poussera les ex- SELEKA à créer une nouvelle milice pour protéger les nordistes centrafricains à Bangui. Et ce ne sont pas les gros moyens des militaires français ou des autres forces africaines qui seront efficaces pour faire la guérilla urbaine ou dans la forêt face à une éventuelle milice équipée d’armes d’assaut et de roquettes. Les Français et les autres forces africaines devront accepter de perdre suffisamment des hommes pour pouvoir rétablir la sécurité dans une telle hypothèse. Sinon, comme hier au nord Mali, les Tchadiens feront le travail le plus dur avec les pertes que cela suppose afin de désarmer les milices quelles que soient les critiques que nous pourrons faire à leur endroit. C’est cela la réalité du terrain et ce n’est pas l’arrivée éventuelle des troupes rwandaises qui les remplaceront à Bangui qui changera cette réalité.
BM : On remarque sur le terrain que l’armée tchadienne serait composée, selon les centrafricains, de musulmans accusés de pactiser avec les ex-Seleka. Comprenez-vous les mobiles pour lesquels certains acteurs exigent son départ ?
HDD : L’armée tchadienne peut être accusée de tout sauf d’être une armée de musulmans. Elle comporte en son sein tous les enfants des différentes régions même s’ils ne sont pas représentés comme on l’aurait souhaité. Le premier militaire tchadien tombé dans le cadre de la mission de soutien en RCA, l’adjudant chef Adoum BOKSOU, est de confession chrétienne catholique et a été inhumé selon les rites catholiques. C’est la preuve qu’on doit éviter la confusion qui veut que les Tchadiens musulmans soutiennent les musulmans en RCA. Ces hommes sont venus pour une mission humanitaire comme au Mali et ils doivent être considérés comme tels. Nous étions les premiers à relever les manquements de cette armée qui doit élever son niveau de discipline, améliorer son commandement et sa communication. Mais elle est de loin, en dehors des troupes françaises, la plus capable à prendre les risques humains, matériels et financiers pour imposer la paix en RCA. Ce n’est pas parce que nous sommes opposants que nous refuserons que notre pays participe aux missions extérieures, nous l’aurions fait si nous étions au pouvoir. Nous pensons que ces participations aux missions peuvent influer positivement sur sa réorganisation et son professionnalisme. Rassurez-vous, aucun mouvement politico-militaire ne dit qu’il ne prendra aucun élément de cette armée actuelle une fois au pouvoir. Tous, nous parlons de la réorganisation de l’armée nationale Tchadienne. Nous voulons permettre qu’elle devienne la garante d’une démocratie qu’il faut impulser, qu’elle comporte judicieusement dans sa hiérarchie les enfants de toutes les régions du pays, qu’elle soit disciplinée et professionnelle.
BM : Selon une dépêche de l’AFP, le commandant du contingent burundais accusait les soldats tchadiens d’avoir jeté des grenades sur ses hommes, comment peut on admettre que les hommes qui sont censés faire cause commune s’attaquent-ils ainsi ?
HDD : Là encore vous mettez le doigt sur une lacune importante de la communication de la MISCA. Si chaque contingent doit saisir la presse pour parler de n’importe quoi, on ajoutera de la cacophonie à la cacophonie. Le commandement de la MISCA doit prendre ses responsabilités pour qu’aucune fuite aussi irresponsable ne parvienne aux medias. Nous sommes à une ère où les armées doivent savoir communiquer et particulièrement dans le contexte de la RCA où une pléthore de medias est à la recherche d’informations sensibles pour avoir de l’audience. S’il y a un domaine qui doit être pris tout de suite en main par le commandement de la MISCA, c’est celui de la communication. Qu’aucune permission ne soit accordée aux chefs des contingents de distiller des informations à la presse ; que rapidement soit désigné le responsable de communication de la MICA qui serait l’interlocuteur des medias. La réussite de la mission de la MISCA en dépend. Pour revenir à l’accusation, aucune enquête interne à la MISCA ne confirme à ce jour ces accusations.
BM : vous parler de la MISCA, mais on a vu sur Itélé, TF1, France 24 ou BFM TV des soldats français assister à des scènes de pillage des commerces des musulmans à Bangui ?
HDD : L’analyse que nous venons de faire pour la MISCA est valable pour les troupes françaises dont on voit dans les medias français des soldats et certains officiers subalternes tenir des propos ou assister à des scènes qui réconfortent tel ou tel camp. Si les scènes de désarmement de certains ex-SELEKA, les scènes de pillages des domiciles et commerces des musulmans en présence des soldats Français, ou de lynchage des personnes prétendues musulmanes en présence des soldats français, si toutes ces scènes que dénonce une partie en conflit sont permises par le commandement français, il s’agirait alors d’une irresponsabilité totale. J’ose croire que tout cela n’est pas fait avec la permission du commandement de SANGARIS et qu’à l’ avenir on évitera aux troupes françaises et à la presse française un traitement de partialité. Car nous savons que les journalistes français à Bangui se déplacent avec l’aval des autorités militaires françaises pour des raisons de sécurité. Le commandement militaire français doit revoir sa manière de laisser ses soldats et officiers subalternes s’exprimer dans la presse car cela peut être très mal interprété.
BM : De votre point de vue quelles seront les solutions à préconiser pour ramener le calme à Bangui et imposer la paix aux différents belligérants en RCA ?
HDD : Premièrement, il faut que les différentes forces MISCA et SANGARIS harmonisent leur communication à défaut d’avoir un état-major intégré. Il faut surtout que dans l’urgence actuelle les patrouilles des troupes de la MISCA surtout tchadiennes et des troupes françaises soient conjointes afin de lancer un message clair aux différents belligérants que les troupes déployées en RCA ont une mission commune et ne sont pas venues soutenir une partie au détriment d’une autre. Il faut ensuite brasser les patrouilles journalières de la MISCA pour éviter de parler de contingent de tel ou tel pays. Ce brassage peut être fait par la mobilisation des véhicules des troupes et blindés au prorata des éléments présents dans chaque contingent de la MISCA. Ensuite, les responsables politiques centrafricains et ceux de la société civile doivent comprendre le même message et tenir un discours qui renforce l’élan des missions en place. Il faut réaffirmer aux différents acteurs politiques centrafricains que le seul calendrier qui tienne est celui qui a été fixé par le conseil de la transition à au moins 18 mois pour donner aux partis une unité de vision. Il faut mettre en place des mécanismes incitatifs qui permettent à la population d’adhérer aux dispositifs sécuritaires MISCA – SANGARIS en leur permettant de dénoncer les mouvements suspects des ex-SELEKA et anti-BALAKA. Il faut que le conseil de sécurité des Nations-unies déploie une mission judiciaire internationale pour identifier les personnalités coupables des exactions au sein des ex-SELEKA ou anti-BALAKA afin de les traquer et les traduire devant les juridictions internationales. Il faut enfin que les forces internationales mettent en place une brigade mixte pour faciliter l’aide d’urgence internationale aux populations déplacées qui n’ont pas pu faire leurs champs et qui sont exposées aux menaces de la famine et des maladies. C’est ce qu’il convient de faire, à notre avis, dans l’urgence. Ce n’est bien entendu pas la seule démarche mais c’est ce que nous croyons importante pour calmer la situation.
BM : Au regard de la situation sécuritaire actuelle en Centrafrique, croyez vous que la lutte armée est encore d’actualité au Tchad ?
HDD : Le Conseil Patriotique des Forces pour le Changement (CPFC) a toujours pensé que la solution au conflit qui nous oppose au gouvernement du Tchad est politique. Il doit être résolu à travers un dialogue politique inclusif comme nous l’avons toujours souhaité. La lutte armée est envisagée lorsqu’il n’y a aucune porte ouverte pour le dialogue. Nous sommes conscients que non seulement la situation en RCA est dangereuse pour la stabilité au Tchad, mais nous avons le Nigeria, la Lybie, le Sud Soudan et le Darfour Soudanais qui sont des foyers en ébullition. Mais dans tous ces pays la solution passera par le dialogue. C’est pourquoi nous pensons que le gouvernement doit saisir cette accalmie pour lancer un véritable dialogue entre les différentes parties Tchadienne afin de consolider la stabilité précaire dans notre pays.
B M : Votre dernier mot
HDD : Que les Centrafricains privilégient le dialogue à travers la mobilisation de la communauté internationale et qu’ils respectent le droit des civils étrangers de vivre dans leur pays.
Interview réalisée avec le blog Makaila.
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