Roland Marchal est chercheur au Ceri-Sciences-Po et spécialiste de la Centrafrique. Il décrit la rébellion qui a pris Bangui en mars dernier comme une fédération de groupes armés faiblement structurés, recrutant essentiellement dans les régions marginalisées du Nord.


Qui sont les rebelles de la Seleka qui ont renversé le président Bozizé en mars dernier ?


Roland Marchal.
 Seleka signifie alliance en langue sango. Il s’agit, initialement, de l’alliance de quatre groupes armés, dont trois étaient connus, le quatrième ayant été créé pour la circonstance, à partir du Tchad. Ces mouvements armés, longtemps plus rivaux qu’alliés, recrutent dans le nord du pays et au-delà des frontières, dans des groupes ethniques transfrontaliers. Dans ces régions, la présence de l’État est marginale, le sentiment national est faible, puisque la nationalité des habitants est mise en doute, même lorsqu’ils sont nés en Centrafrique. L’offensive rebelle date de décembre 2011. À ce mouvement se sont alors agrégés des rebelles tchadiens en déshérence, des Soudanais, des braconniers. Enfin la Seleka a recruté dans les villes prises, le plus souvent dans les communautés musulmanes, mais pas uniquement. À Bangui, les commandants de la Seleka ont recruté massivement parmi les jeunes. Si la Seleka exprimait initialement des revendications, son existence sociale reflète davantage un mouvement régional qu’un mouvement centrafricain. Il n’y a jamais eu de véritable contrôle au niveau politique : il s’agit plutôt d’une fédération de groupes armés eux-mêmes faiblement structurés, sans réelle chaîne de commandement. La Seleka a pris la forme d’un mouvement armé reflétant de loin en loin des populations du Nord très mal et très peu représentées et que, souvent, les Banguissois, les Centrafricains vivant dans le centre-sud du pays, ne considèrent pas comme de vrais Centrafricains. Si les gens ont voulu se débarrasser de Bozizé, ils ont très vite eu tendance à voir derrière cette rébellion la main de l’étranger.


Quelle carte joue le président tchadien Idriss Déby dans cette crise ?


Roland Marchal.
 François Bozizé avait lui-même conquis le pouvoir grâce à l’appui explicite d’Idriss Déby. De la même façon, la Seleka est parvenue au pouvoir parce 
que les forces tchadiennes parties prenantes de la force régionale, la Micopax, ont levé le pied, laissant ses combattants entrer dans Bangui. Les relations entre Déby et Bozizé s’étaient déjà fortement dégradées en 2012, après des années de tensions. Mais le 
départ de Bozizé n’est pas simplement dû à Déby. Il est dû à un accord régional pour s’en débarrasser. Déby a suscité la Seleka et l’a sans doute aidée officieusement. Certains estiment qu’il a joué cette partition dans le but de se débarrasser de rebelles tchadiens, dont certains ont disparu depuis. Une autre interprétation prête à Déby la volonté de sécuriser l’accès aux champs pétroliers transfrontaliers 
et d’écarter les compagnies chinoises 
qui auraient pu opérer dans le nord de 
la Centrafrique si la situation avait été stable.


Quel rôle joue aujourd’hui Paris ?


Roland Marchal. 
Les politiques françaises les plus contestables ont été conduites en Centrafrique. Et pas seulement sous la Ve République. La colonisation en Centrafrique a été un scandale de brutalité, d’aveuglement répressif. Depuis 1993, 
c’est une politique en demi-teinte. Les affaires ont continué, mais pas dans les dimensions prises sous Valéry Giscard d’Estaing. Dans les années 2000, en particulier sous Nicolas Sarkozy, la France s’est montrée très conciliante envers François Bozizé. En arrivant au pouvoir, François Hollande, lui, a voulu afficher une certaine distance. Reste à savoir pourquoi les Français ont laissé faire la Seleka. L’appui d’Idriss Déby à l’intervention française au Mali est sans doute l’une des explications.

                                  Entretien réalisé par Rosa Moussaoui 

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