Le pays des Sao souffre-t-il du syndrome hollandais ? A en croire les experts, oui. Ce concept est directement inspiré du modèle économique des Pays-Bas en 1960, à la suite de la découverte de gisements pétrolifères dans la Mer du Nord. En temps normal, cette augmentation des revenus pétroliers aurait du être une bénédiction pour les descendants de Guillaume d’Orange. Il n’en fut rien. Si une manne a été dégagée de l’exploitation des gisements, elle engendra dans le même temps un déclin irrémédiable de la production industrielle locale, causée entres autres par le désintérêt des pouvoirs publics pour un secteur désormais jugé non-prioritaire.
 
A la suite des débuts de l’exploitation du champ pétrolifère de Doba (sud du pays) au tournant des années 2000, le Tchad fut atteint du même phénomène. A l’époque, son économie était diversifiée. Elle bénéficiait notamment d’un avantage comparatif dans de nombreux secteurs agro-pastoraux, comme le coton, l’élevage ou le sucre. L’arrivée du tsunami d’or noir a tout bouleversé. D’une économie diversifiée, le pays est passé à une économie de rentes, basant toute sa stratégie commerciale sur les seuls revenus pétroliers. Pire, des secteurs qui faisaient la fierté de la nation tchadienne ont été peu à peu démantelées du fait de l’incapacité des pouvoirs publics à les maintenir à flot. Des entreprises publiques comme la Cotontchad ou la Compagnie Sucrière du Tchad ont vu leur bilan considérablement grevé par la corruption et leur manque de vision à long terme.
 
Car en effet, pour Idriss Deby, qui ambitionne de faire du Tchad un pays émergent à l’horizon 2025, le bilan est désastreux sur le plan économique. De 210 000 tonnes en 2004, la production de coton a été divisée par 6 pour s’établir au chiffre famélique de 35 000 tonnes en 2010 (à titre de comparaison, la production du Mali est de plus de 600 000 t/an). Depuis, la production n’est pas repartie malgré les promesses présidentielles, n’arrivant à dépasser que très épisodiquement les 50 000 tonnes annuelles. Le déclin du secteur, qui fait vivre plus du quart de la population (3 millions de personnes), a occasionné un sérieux coup d’arrêt au développement du pays.
 
Mais le coton n’est pas la seule filière touchée par l’incompétence du gouvernement. Le secteur sucrier est également mis à mal, avec la fermeture coup sur coup de deux usines de production, à Ndjamena en 2012 et près de Sarh il y a un peu plus de deux semaines. Aujourd’hui, ironie du sort, alors que le sucre tchadien était autrefois exporté dans toute l’Afrique, plus de 70 % du sucre consommé au Tchad est importé depuis l’étranger. Quant à l’élevage, suite à sa libéralisation sauvage opérée au profit de la famille présidentielle (le frère du Président, Saleh, est aujourd’hui à la tête du plus gros cheptel du pays, plus de 5000 têtes), il n’est pas en reste et subit de plein fouet la concurrence des pays voisins, plus soucieux de leur développement pastoral.
 
Aujourd’hui, si la vie est très chère au Tchad et que l’inflation se montre exponentielle (7 % en 2012 ce qui ramène le taux de croissance déflaté des prix à 0,2 %), cela est notamment à mettre sur le compte de l’impossibilité pour le Tchad d’assurer son autosuffisance alimentaire et d’être obligé d’importer une grande partie de ses produits de première nécessité. Quant aux annonces d’Idriss Deby visant à faire de la terre de Toumaï un grand pays agricole, elles sont pour l’instant restées lettre morte.
 
Mais le pire est encore à venir. Car les économistes, suivant les exemples empiriques du syndrome hollandais, prédisent le tarissement progressif des ressources en matières premières. Et selon le rapport ITIE (Initiative de transparence sur les industries extractives) de 2014 sur le Tchad, notre pays est déjà dans ce cas de figure. En effet, la production pétrolière a diminué de 9% entre 2011 et 2012. Sur le moyen terme, le constat est plus alarmant. La production du champ pétrolifère de Doba est passée de 182 000 barils/jours en 2004 à moins de 110 000 aujourd’hui. Par ailleurs, les deux autres champs du pays, ceux de Glencore et de Caracal, ne tiennent pour l’instant pas leurs promesses. A l’aune de ces chiffres, il est alors plus aisé de comprendre pourquoi Idriss Deby est venu déstabiliser la Centrafrique, ciblant notamment les ressources pétrolières du nord de pays avec le gisement de Boromata.
 
En conséquence, il est permis de nous poser une question d’importance : si demain, comme beaucoup l’annoncent, le Tchad se retrouve confronté à une baisse de ses revenus pétroliers, comment pourra-t-il assurer son avenir s’il ne dispose plus d’une économie diversifiée et d’un secteur agro-pastoral solide ? Cette quadrature du cercle ne trouvera sa solution que dans le renversement du régime actuel et dans son remplacement par un pouvoir plus à même de mener le Tchad sur la voie d’un développement économiquement viable.
 
Fait à Bruxelles le 14 mars 2014,
 

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