Nommé PDG de Cotontchad SN début octobre, Mohamed Ibni Oumar Mahamat Saleh, fils du leader de l’opposition disparu en 2008, est de retour au pays. Pour lui, c’est la meilleure façon d’honorer l’héritage paternel.

 

La voix est basse, le geste mesuré. Dans son bureau de PDG, Mohamed Ibni Oumar Mahamat Saleh, 34 ans, en tenue traditionnelle, repose un parapheur. Coton Tchad SN, la société publique à la tête de laquelle il a été nommé le 6 octobre, est dans une situation délicate. « En raison des difficultés avec les banques, nous essayons de mettre en place un crédit offshore pour sauver la campagne. Nous nous battons pour qu’elle puisse démarrer, en espérant que la situation va s’arranger et que l’État viendra à notre secours », explique-t-il.

Hommage


Expliquer, démontrer, c’est ce qu’il fait depuis début 2008, en France. D’abord à l’université d’Orléans, où il a obtenu un diplôme de troisième cycle en mathématiques. Puis à l’École pour l’informatique et les techniques avancées (Épita), en région parisienne, où il enseigne le codage et la cryptanalyse depuis 2015. Pourquoi a-t-il décidé de rentrer au pays et d’accepter un tel poste de la part d’Idriss Déby Itno, auquel son père, Ibni Oumar Mahamat Saleh, disparu en 2008, s’est opposé après avoir été son collaborateur
? « C’est un choix de raison. Pour moi, pour mes frères, la meilleure façon de rendre hommage à l’héritage de papa, c’était de rentrer. D’être actifs au Tchad avec nos compétences… Papa n’a jamais aimé l’exil. “Chez nous”, c’est ici », explique le deuxième de cette fratrie de quatre.


Depuis plusieurs années, des émissaires ont facilité les échanges entre la famille Ibni et le pouvoir tchadien. Il y a eu plusieurs rencontres, et Hicham, l’aîné des frères Ibni, s’est rendu plusieurs fois à N’Djamena, notamment en 2015 suite à une invitation du chef de l’État. « Nous avons traversé des épreuves. Beaucoup de gens ont été là pour nous, mais ils ne pouvaient pas être là tout le temps. Entre nous, nous avons vécu des choses particulières, et c’est une logique interne qui nous a conduits à prendre la décision de rentrer », lâche-t-il.


Vente à perte


En juin 2016, avec sa mère et son frère Hicham, il pose ses valises à N’Djamena. Un autre de ses frères est installé en Afrique de l’Ouest, tandis que le plus jeune est resté en France, où il poursuit ses études. Pendant quelques semaines, les nouveaux venus reçoivent parents et amis dans la concession familiale, près de l’aéroport. Puis Mohamed se rend au village, près de Biltine, à la frontière avec le Soudan. Là, il rend visite à ses cousins et fait construire une mosquée, avant de revenir à N’Djamena.


Pour l’heure, Mohamed Saleh dit se concentrer sur la mission qui lui a été confiée
: « À l’écoute des anciens de la maison, qui sont les plus expérimentés, je compte mettre en place un modèle économique plus productif. Aujourd’hui, notre entreprise vend de la fibre à perte: son coût de revient est plus important que celui de la vente. Les subventions de l’État n’arrivent pratiquement pas, et, quand elles arrivent, c’est avec du retard. Il faut absolument que nous arrivions à un autofinancement de nos intrants. »


En attendant les conclusions de l’audit qu’il a commandé, le jeune PDG travaille à la mise en place d’un système informatique qui permette d’avoir de l’information en temps réel sur les usines, et à l’équipement des camions en GPS. Il va aussi devoir renouveler un personnel vieillissant (30 départs en retraite par an) et, surtout, adapter les effectifs aux nouveaux enjeux. Autant d’équations délicates à résoudre pour le mathématicien.


Une fin sans fin

Il aurait eu 67 ans le 31 décembre. Il y a bientôt neuf ans, le 3 février 2008, l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh était enlevé à son domicile de N’Djamena par des militaires tchadiens, après une attaque des forces rebelles sur la capitale. Depuis, personne n’a revu le porte-parole de l’opposition et secrétaire général du Parti pour les libertés et le développement (PLD). Une commission nationale d’enquête a conclu en juillet 2008 qu’Ibni Oumar Mahamat Saleh était selon toute vraisemblance décédé.


En juillet 2013, la justice tchadienne a rendu un non-lieu. Le 7 février 2012, la famille d’Ibni Oumar Mahamat Saleh a déposé plainte devant le tribunal de grande instance de Paris. Une première décision, confirmée en juin 2013 par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, a autorisé une enquête sur la disparition. Sans résultat pour le moment. Dans les rangs du PLD, toujours ancré dans l’opposition, l’effigie d’Ibni Oumar Mahamat Saleh est visible à chaque manifestation. Son fils aîné, Hicham, y prend d’ailleurs régulièrement part.

 

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