I.              CONTEXTE

Tchad « les animaux sont mieux traités que nous »

Alors que théoriquement au niveau législatif et réglementaire, le système pénitentiaire tchadien  a connu des améliorations notamment avec  le Décret n°371/77/CSM/MJ du 09 Novembre 1977 et  les ordonnances n°031/PR/2011 et celle n°032/PR/2011 Portant Régime Pénitentiaire au Tchad, dans la pratique, l’exécution de ce système est  resté au stade où l’avait laissé le colonisateur :

En effet, aucune amélioration de la situation des détenus n’a été constatée depuis l’indépendance du pays en 1960.

Parce qu’ils n’ont pas la formation de gardien de prison, les  gendarmes  chargés de la garde des prisonniers pensent  que le détenu est un individu qui n’a plus aucun droit : cette situation est parfaitement décrite par le rapport d’Amnesty International de 2012 « les conditions de détention (au Tchad) sont telles qu’elles s’apparentent à une peine ou à un traitement cruel, humiliant ou dégradant. D’autres droits humains comme le droit à des soins, à un médecin à une eau potable et propre, à la nourriture, à des installations sanitaires et à divers  équipements essentiels ne sont pas respectés. Dans la plupart des prisons, les hommes ne sont pas séparés des femmes, pas plus que les mineurs des adultes, les civils des militaires ou les prévenus des condamnés ». Nous pouvons ajouter à cela, les sévices corporels et les tortures infligées par les gardiens, les décès suites aux mauvais traitements et les suicides.Cette situation illustre à n’en pas douter, le calvaire vécu par les détenus au Tchad. A coté des prisonniers qui continuent à rester en prison alors que leurs  libérations avaient  été ordonnées  par les juges quelques mois voire quelques années au paravent, il existe des détenus  « oubliés en prison » parce que victimes des disfonctionnements constatés dans les relations entre le parquet et l’administration pénitentiaire et surtout des agissements de certains magistrats.Il existe également des détenus dont les dossiers sont tout simplement égarés.

 

Le système pénitentiaire tchadien n’était régie à l’époque, que par le Décret n°371/77/CSM/MJ du 09 Novembre 1977 ; cet acte réglementaire a été abrogé et remplacé par les ordonnances n°031/PR/2011 et n°032/PR/2011 du 04 Octobre 2011 portant régime pénitentiaire au Tchad ; ces deux derniers actes sont sensés  modifier ce system carcéral en le rendant conforme aux impératifs liés au respect des droits humains  en vue d’une amélioration des conditions de séjours des prisonniers.

A coté de ces manquements cités plus haut s’ajoute le problème du nombre pléthorique des détenus dans les prisons  et  le problème crucial d’absence d’infrastructures carcérales adaptées aux normes actuelles.
 

Le présent rapport  rédigé par  la Convention Tchadienne pour la Défense des Droits Humains (C.T.D.D.H)  est le résultat de deux visites effectuées l’une le 26 juillet 2012 et l’autre le 1er Décembre 2013  par deux missions de ladite Association à la prison d’Amsinéné à la sortie Nord Ouest de N’djamena.

 
Ce rapport ne concerne donc pas les autres prisons tchadiennes ; celles-ci  feront l’objet de nos prochaines visites conformément au plan d’action 2014 de la CTDDH. 

Il convient de faire remarquer que ce rapport  vient corroborer à  un an et trois mois, les assertions  publiées  par Amnesty International  dans son dernier rapport sur les conditions de détention dans les prisons tchadiennes : rapport intitulé «  Nous sommes tous en train de mourir ici ».

Le même rapport d’Amnesty  International contient des recommandations pertinentes dont l’application étaient pour l’essentiel, largement à la portée de l’Etat tchadien s’il avait existé une volonté politique réelle de les appliquer.

Pourtant, non seulement aucune amélioration de ces conditions n’a été constatée depuis la visite de la mission d’Amnesty International, mais la situation des prisonniers s’est au contraire, considérablement dégradée.

Ce rapport ne saurait être clôturé sans que nous ne puissions évoquer le phénomène endémique des rackets dont sont souvent victimes les détenus et même les proches parents des prisonniers qui viennent leur rendre visite.

 

II – Des dispositions législatives et réglementaires qui n’ont fait l’objet d’aucune application et une absence manifeste d’une réelle  volonté politique

           

A coté de certaines dispositions du Code Pénal et du code de Procédure Pénale qui régissent le système pénitentiaire tchadien, celui-ci a par la suite été spécialement encadré par deux Ordonnances signées suite aux activités découlant d’un programme appelé  Programme de reforme de la Justice au Tchad (PRAJUST) lui-même issu des conclusions des états généraux de la justice: ces textes sont :

Ø  LOrdonnance N°031/PR/2011 du 04 Octobre 2011 portant statut du corps des Fonctionnaires  de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion sociale.

Ø  LOrdonnance N°032/PR/2011 de la même date portant régime pénitentiaire ;

Ces deux Ordonnances sont sensées avoir abrogé le Décret N°371/77/CSM/MJ du 9 Novembre 1977 qui régissait jusqu’à là, le system Pénitentiaire Tchadien.

Ø  LArrêté N°044/PR/PM/MJ/2013 du 1er Aout 2013 portant Attributions  et Fonctionnement des Commissions de Surveillance des Etablissements Pénitentiaires ; cet arrêté signé du Ministre de la Justice vient  remédier en quelque sorte à l’absence des décrets d’application des Ordonnances précitées.

Tenus en juin 2003, les états généraux de la justice avaient donné naissance à un programme de reforme de la justice au Tchad appelé PRAJUST. Financé à hauteur de 16 milliards de Francs Cfa par l’Union Européenne, s’étalant sur cinq ans, les activités du PRAJUST visent à soutenir les priorités dégagées lors des états généraux de la justice ; cette reforme consiste à la formation, à la modernisation des outils et des capacités des autorités judiciaires, à la révision des textes législatifs pour assurer leur conformité avec  les engagements internationaux et régionaux du Tchad.

C’est ainsi que l’ordonnance n°031/PR/2011 a clairement prévu pour l’administration pénitentiaire, quatre catégories d’agents qui relèveraient tous de la Direction de l’Administration pénitentiaire et de la réinsertion sociale du Ministère de la Justice.

Ces employés  seraient sous les ordres d’un chef d’Etablissement pénitentiaire (le Directeur) qui assure l’administration et la gestion courante de la prison. IL s’agit en l’occurrence :

Ø  Des Administrateurs pénitentiaires

Ø  Des Contrôleurs pénitentiaires

Ø  Des Agents administratifs pénitentiaires

Ø  Des Surveillants pénitentiaires (gardiens de prison) 

 
Le professionnalisme de ces différents corps d’agent formés dans le cadre du respect des droits humains est sensé trancher avec les anciennes pratiques héritées du système colonial qui consistaient à traiter les prisonniers  comme des sous hommes. Le Décret n°371/77/CSM/MJ/77 du 9 Novembre 1977 ne prévoyait aucun autre corps spécialisé pour la surveillance des prisonniers que les éléments de la garde Nationale ; la Constitution elle-même l’évoque en son article 200 « la garde nationale est chargée de la garde et de la surveillance des maisons d’Arrêt » ; en dépit de l’existence de cette disposition constitutionnelle, ce sont les agents de la Gendarmerie Nationale qui assurent cette fonction dans les faits.

Quant à l’Ordonnance 032, elle reforme le régime pénitentiaire tchadien en le rendant conforme aux normes internationales  actuelles et aux impératifs liés au respect des Droits Humains.

Ces deux ordonnances qui organisaient de façon quasi parfaite les mécanismes et l’organisation générale du système pénitentiaire tchadien  n’ont  connu  aucun début d’exécution et jusqu’aujourd‘hui lé Décret 371 de Novembre 1977 continue à s’appliquer comme s’il n’avait pas été abrogé par les ordonnances 031 et 032. Ce phénomène est d’autant plus inquiétant que même les plus hauts responsables de l’administration pénitentiaire au Ministère de la Justice semblent  ignorer  l’existence de ces deux ordonnances ; en tout cas, ils n’en ont jamais  fait allusion.

Cette modernisation des outils juridiques et réglementaires introduite par les ordonnances précitées en plus du fait qu’elles semblent être ignorées même par ceux la mêmes qui devaient les mettre en œuvre se heurte à une absence totale de volonté politique et cette attitude est perceptible à travers trois exemples concrets :

Ø  Labsence de promulgation des lois d’application  et des décrets subséquents.

Les ordonnances n°031 et 032  font référence à plusieurs lois  et décrets subséquentes  qui  devraient être promulguées et signés afin de  permettre l’exécution des termes de ces deux ordonnances ; jusqu’aujourd’hui, aucun acte légal  n’a été pris pour la mise en œuvre des  dispositions de ces ordonnances ; c’est dire que dans les faits, c’est toujours le Décret 371/CSM/MJ/77 du 09 Novembre 1977 qui est en vigueur et aucune volonté d’application de ces deux ordonnances n’est perceptible.

 

 Un acte important  avait toutefois été pris par le Ministre de la Justice en l’occurrence, l’ Arrêté N°044/PR/PM/MJ/2013 signé le 01 Aout 2013  Portant Composition, Attribution et Fonctionnement des Commissions de Surveillance des Etablissements Pénitentiaires : cet acte avait été pris au lendemain de la publication de notre communiqué de presse dénonçant les mauvais traitements subis par les détenus d’Amsinéné ; cet arrêté met en place une Commission de Surveillance des Etablissements Pénitentiaires (COSEP) auprès de chaque établissement pénitentiaire :

Composée de huit personnes, la Commission de Surveillance des Etablissements Pénitentiaires  comprend (Article 4) :

Ø  Un Président : le Président du tribunal ou juge de paix

Ø  Un vice Président : Sous préfet ou son représentant

Ø  Des membres : le Maire ou son représentant ; un médecin, un représentant des detenus, le délégué des finances, un représentant de la société civile et le procureur de la république

Les prérogatives de ces commissions sont décrites dans l’Article 2 de l’Arrêté 044 : la COSEP est chargée de :

Ø  Surveiller l’approvisionnement en nourriture des détenus, la qualité des aliments ainsi que la fréquence de leur distribution.

Ø  Vérifier les conditions d’accès à l’eau potable des détenus

Ø  Contrôler les conditions d’hygiène des détenus ainsi que la salubrité des locaux d’hébergement

Ø  Participer à l’évaluation annuelle des activités de réinsertion sociale.


L’Article 6
stipule que le Président de la COSEP peut visiter à tout moment l’établissement pénitentiaire


L’Article 9
prévoit que « La COSEP reçoit les doléances des détenus relatives à leurs conditions de détention »


L’Article 10
en son alinéa 3 indique que le Président adresse au mois de Décembre, un rapport annuel d’activité à la Direction Générale de l’Administration Pénitentiaire et de la Réinsertion Sociale et à l’Inspection Générale des Services Judiciaires et pénitentiaires.

Cet Arrêté  pris par le Ministre de la Justice vise simplement à combler la lacune provoquée par l’absence des décrets subséquents qui tardent à venir et qui devaient être  pris en exécution des Ordonnances 031 et 032 précitées ; l’Article 12 de cet Arrêté indique d’ailleurs que cet Arrêté « sera entériné par un décret dès la ratification, par l’Assemblée Nationale, des Ordonnances 031 et 032 susvisées »

Non seulement aucun décret n’a été pris depuis la ratification des deux Ordonnances précitées, mais même les Commissions de Surveillance des Etablissements Pénitentiaires (COSEP) auxquelles l’arrêté 044 faisait  allusion n’ont jamais réellement fonctionné. Aucune  des dispositions de cet arrête n’a donc réellement été mise en œuvre. Nous avons de toute façon la certitude que cette commission de Surveillance n’a jamais vue le jour pour ce qui concerne la prison d’Amsinéné parce que l’un des responsables de l’Administration pénitentiaire nous l’a avoué lors d’un entretien ; le Ministère de la Justice compte donc instituer cela « dans les jours à venir »

 

Ø  L’absence de préoccupation des autorités pour le sort des détenus

Cette absence de préoccupation du sort des prisonniers au Tchad est illustrée également par la récente destruction de la maison d’Arrêt de N’Djamena ; cette opération avait été effectuée dans la précipitation, sans aucune planification qui prenne en compte le sort des détenus notamment leur lieu d’hébergement; ceux-ci ont donc été transférés à Amsinéné à la sortie Nord de N’djamena pour certains, d’autres dans les prisons de Koro Toro,  Moussoro etc. accentuant le nombre pléthorique des détenus de ces prisons déjà extrêmement surpeuplées. Il  avait été établi de façon certaine qu’au moment où les autorités avaient prévu la construction d’un centre des affaires à l’endroit où se situait la maison d’arrêt de N’djamena, le sort des détenus n’avait pas encore été sérieusement discuté.

Il convient de faire remarquer que l’absence d’intérêt des autorités tchadiennes pour le sort des détenus a fait que ceux-ci avaient été débarqués dans le désordre et la précipitation ; il s’agissait pour  les autorités de vider la maison d’arrêt de ses occupants, de la raser et de laisser place à la construction de ce centre commercial qui est en fait, le but ultime ; le simple fait de constater qu’en ce moment à Amsinéné , il est difficile pour un visiteur de distinguer les prisonniers militaires des civils, ceux de droit commun et des prisonniers politiques, les prévenus des condamnés etc. est la preuve que les détenus  avaient été débarqués à la hâte et sans aucun discernement .

Non seulement les détenus sont abandonnés à un sort incertains, ils sont également victimes de l’indifférence des autorités pour ce qui concerne leurs conditions de détention comme nous le verrons par la suite.

Ø  L’insuffisance des crédits budgétaires alloués au Ministère de la justice en général et au système pénitentiaire en particulier

Les textes les plus adaptés aux normes actuelles ne peuvent être mis en œuvre sans un budget conséquent ; il est évident que la modicité des crédits affectés à l’entretien et à la gestion des prisons (un milliard de francs Cfa pour la gestion de 45 prisons) est en deçà des ambitions prônées par les ordonnances 031 et 032. D’ailleurs  une importante partie de cette enveloppe couvre le salaire des fonctionnaires de ses prisons.

L’insuffisance du salaire payé aux gardiens des prisons les amène à pratiquer certaines activités à la limite de la loi et de la morale : utiliser des prisonniers pour des petits trafics en tout genre, recevoir des pots de vin de certains prisonniers aisés et en échange les laisser dormir chez eux et revenir le matin etc.

 

Alors que le Tchad a ratifié sans réserve  presque toutes les conventions relevant des droits humains et des libertés publiques, dans les faits, le sort des détenus semble ne pas être la priorité des autorités ; en dépit des moyens  colossaux engagés pour certaines dépenses futiles, la volonté de renflouer les crédits relatifs à la gestion des prisons n’est pas perceptible et ceux-ci sont restés très insuffisants.

 

Il convient de noter que cette situation est déplorée par presque tous les hauts responsables du Ministère de la justice qui, au cours de multiples entretiens que nous avons eu avec  eux affirment que les crédits alloués au Ministère de la justice et ceux prévus pour la gestion des prisons sont le résultat des coupes sombres opérées par le Ministère des Finances au cours des discussions budgétaires.

 
Pour la Convention Tchadienne pour la Défense des Droits Humains (CTDDH), cet obstacle n’est pas insurmontable si les plus hautes autorités avaient  réellement pris la mesure de la situation. Il est vrai que la nouvelle prison de N’djamena dont la pose de la première pierre vient d’être effectuée en Octobre  2013 est censée résoudre en partie du moins l’épineuse question d‘absence d’infrastructures carcérales adéquates ; il y’a cependant lieu de craindre que les budgets annuels  alloués pour l’entretien et la gestion des prisons tchadiennes ne soient restés les mêmes ; et cette infrastructures sans budget conséquent d’entretien et de gestion ne puisse présenter aucune garantie quant à sa conformité au respect des normes internationales.

 
Il convient de faire remarquer qu’en dehors de ce manque de volonté des autorités d’améliorer de façon certaine le sort des détenus ; certaines considérations relatives aux mesures disciplinaires qui devraient sanctionner les manquements et excès exercée sur les détenus n’avaient fait l’objet d’aucune réglementation ; à cela s’ajoute le fait que les détenus ne disposent d’aucun outil juridique leur permettant d’exercer un quelconque recours contre les mauvais traitements  pratiqués sur eux par leurs geôliers ; bien que l’ordonnance 031/PR/2011 prévoit en son Article 82 que les sanctions disciplinaires applicables au personnel pénitentiaire seront fixées par Décret présidentiel sur proposition du Ministre de la Justice, à notre connaissance, ce décret n’a jamais vu le jour ; seul l’Article 9 de L’Arrêté n°044 du 1er Aout 2013 évoqué plus haut prévoit que « la Commission de Surveillance des Etablissement Pénitentiaires reçoit les doléances des détenus relatives à leurs conditions de détention » ; aucune mesure disciplinaire contre des gardiens indélicats n’est donc prévue dans cet Arrêté.  

Ceci est d’autant plus inquiétant que les brutalités et les violations répétées des droits fondamentaux à travers la multiplication des traitements humiliants et dégradants sont exercées sur des détenus par des gardiens pour la plupart, complètement analphabètes et qui pensent que le détenu n’est en prison que pour y être puni.

 

III – Des conditions carcérales inhumaines

A-   Un lieu de détention inadapté et insalubre

La prison de N’djamena est située à Amsinéne dans la banlieue nord-ouest de la ville ; c’est une ancienne garnison de la gendarmerie Nationale transformée pour la circonstance en prison après la destruction de l’ancienne Maison d’Arrêt de N’Djamena  située au centre-ville. IL convient de souligner que cette destruction s’est opérée sans planification aucune et surtout au mépris du sort des détenus à qui, un point de chute avait été trouvé à la dernière minute en l’occurrence, cette ancienne garnison de gendarmerie.

Ces locaux qui au départ n’étaient  pas conçus pour abriter des détenus était du fait de son exiguïté  très loin de ressembler à une prison ; c’est ainsi que quelques petits aménagements avaient été faits pour  permettre l’accueil des détenus de la maison d’arrêt ; mais cette «  prison » dont la capacité réelle est de 380 détenus en contient actuellement 1469. Ce chiffre donne une idée de la nature du séjour des détenus dans cet endroit.

Il convient avant de décrire les conditions de séjour des détenus de faire remarquer que l’absence d’intérêt des autorités  pour le sort des détenus tchadiens fait que dans chaque lieu de détention au Tchad, il est difficile de faire la distinction entre les détenus condamnés et ceux en détention préventive ; détentions préventives qui se muent parfois en séjours définitifs pour la plupart d’entre eux comme nous le verrons ci-après.

         B – Des détenus pratiquement « oubliés ».

Les deux missions de la CTDDH avaient fait un constat des plus invraisemblables ; constat qui confirme en grande partie les conclusions du rapport d’Amnesty International sur cette question : un nombre important de détenus d’Amsinéné  sont soit des « oubliés » de la justice, soit déjà libérés par le juge mais qui continuent à séjourner en prison  par ce qu’ils n’ont pas les moyens de payer des « droits de sortie » exigés par les gardiens ; il existe d’autres  prisonniers, arbitrairement arrêtés et détenus sans jugement ; Adoum Ali Outoumane  ayant séjourné 4 ans 4 mois et 22 jours explique à la mission :


« Que par suite de bagarre  qui n’a causé d’ailleurs aucune blessure ; j’avais été conduit ici et j’y suis depuis 4 ans, en ce moment, je n’ai aucun dossier et je n’ai rencontré aucune autorité judiciaire » ;

 
C’est aussi  par exemple le cas des 11 bergers interpellés par les autorités centrafricaines et extradés au Tchad après avoir été délestés d’une somme d’un montant de 14 millions de frs Cfa ; ces personnes sont détenues tout simplement sans jugement ;

Mahamat Moussa Abderrahmane parlant au nom de ces camarades d’infortune déclara à la mission de la CTDDH  que :


« Des soldats centrafricains nous  ont surpris nous et nos familles  sur la route et nous les hommes avons été arrêtés sans ménagement après nous avoir qualifié de « rebelles » ; nous ne savons pas contre lequel des gouvernements centrafricain ou tchadien nous sommes accusés d’en être les rebelles ».

Ø  Les détenus dont les dossiers sont bloqués par le 4 e et 3 e cabinet du juge d’instruction ou simplement perdus sont nombreux :  

En effet, ces  deux cabinets sont  la cause des retards enregistrés dans le traitement des dossiers des prévenus et certains magistrats retiennent à desseins certains dossiers pour obliger les parents des détenus à venir « négocier » le sort de leurs  proches ; cette réalité a été reconnue au civil par une intervention courageuse d’un magistrat en l’occurrence Madame Nderbé Matibeye Ndam, Conseiller à la Cour d’Appel qui avait affirmé dans un journal de la place que « Certains magistrats prorogent à maintes reprises des dossiers de délibérés soit pour espérer le contact avec un éventuel corrupteur intéressé dans l’affaire ; soit pour rechercher des arguments pouvant leur permettre de tordre le droit applicable. Ce qui entraine du coup des décisions judiciaires sans motivation solides, faute de bases légales. Aussi, un dossier en délibéré et vidé peut attendre plusieurs mois sans être rédigé tant que l’une des parties ne vient pas voir le juge »   ce qui fait que les dossiers des détenus démunis ne sont pas traités rapidement et quelquefois classés pour de bon.

A coté de ces détenus oubliés, il existe des détenus dont les dossiers sont tout simplement égarés et la probabilité est forte pour que l’intéressé croupisse plusieurs années en prison : c’est parmi  tant d’autres, le cas par exemple de Mr Djimtangar Lao incarcéré depuis le 12/1/2009 et de Issa Abbas Ibet  à Amssinéné depuis trois ans et cinq mois.

 

Ø  Les détenus dont le juge a préalablement ordonné la libération mais qui sont retenus par les gardiens

 
Il existe une règle imposée par les gardiens qui oblige les détenus libérés à verser à leur geôliers un « droit de sortie » dont le montant varie entre 15 000 et 50 000 frs Cfa ; la mission en avait rencontré quelques uns : une fois de plus, les prisonniers libérés mais démunis continueront à sejourner en prison faute de s’être acquitter de cette obligation.

Il est difficile dans ces conditions d’imaginer que les régisseurs principaux responsables de la prison ne puissent pas être au courant de ces agissement extra-légaux lourds de conséquences.

 

 C –  Des conditions de vie infrahumaines

 

1°- l’exigüité  des lieux et des cellules


La prison d’Amsinéné, nous l’avons déjà dit, était un ancien camp de gendarmerie, elle avait était réaménagée à la hâte pour la circonstance, afin de permettre de caser les détenus de la maison d’Arrêt de N’Djamena après la destruction de celle-ci. La prison d’Amsinéné qui était au départ réaménagée pour recevoir 380 détenus en abrite au moment de notre dernière visite 1469.


Une paillotte construite au milieu de la petite cour et qui fait office de mosquée abrite les détenus les plus fragiles : les personnes dont l’âge avancé leur a permit d’éviter d’être mis en cellule et donc la mort, certains malades et même quelques personnalités politiques sont également autorisés à rester dans la mosquée.


La réputation de la prison d’Amsinéné, elle la doit à l’exiguïté de ses cellules : en effet, dix cellule numérotées de 1 à 10 étaient toutes identiques et  mesuraient chacune cinq mètres sur quatre (5×4) ; ces cellules accueillent chacune en moyenne  soixante cinq personnes (la moins peuplées en contient 63 et la plus peuplée 70)


Les personnes qui y sont enfermées sont en général des détenus de droit commun, et des personnes de condition modeste et certains militaires accusés d’avoir vendu leurs armes etc.

 
Ces détenus sont pour la plus part les  « oubliés » dont nous avons parlé plus haut.


Ces détenus sont enfermés dés 17heures dans ces cellules qui ne seront ouvertes que le lendemain à 9 heure30 du matin ; ces personnes passent donc 16 heures trente minutes de leurs temps, enfermées à environ 65 personnes dans chacune de ces cellules de 5 mètres sur 4.


Les détenus enfermées sont obligés de s’organiser pour rendre supportable leur séjours dans ces cellules ; ainsi, pendant que certains à tour de rôle doivent se tenir debout une partie de la nuit, les autres dorment les uns pratiquement sur les autres en utilisant un système que les détenus eux-mêmes ont inventé et qu’ils ont surnommé « bateau » : il consiste en effet à s’allonger sur le dos, les jambes écartées pour permettre à un autre détenu de s’allonger entre ses jambes et reposer la tête sur son ventre ;  lui-même devant écarter les jambes pour recevoir une autre personne et ainsi de suite. Une démonstration nous en a été faite par quelques prisonniers à l’insu des gardiens (voir photo).

 
N’djamena est l’une des villes les plus chaude du continent (42°C en moyenne par an) ; pendant les périodes de très fortes chaleur où la température atteint parfois 45 à 46°C on enregistre régulièrement  des cas de décès par étouffement ; de l’aveu même de certains responsables pénitentiaires, en période de forte chaleur, la montée de la température est telle que le gaz dégagé par les respirations se transforme en vapeur et au contact du toit se mue en des gouttelettes d’eau  qui retombent sur ces détenus.


Certains prisonniers nous  ont confirmé que les gardiens restent souvent sourds aux cris de détresses  adressés par eux pour demander l’ouverture des portes afin de permettre à certaines personnes fragiles menacées de mort par étouffement de  respirer un peu d’air frais.  Il convient d’ajouter que comme les portes ne s’ouvrent que le lendemain,  les mauvaises odeurs provoquées par les urines et quelquefois les besoins faits à l’intérieure des cellules par certains détenus rendent l’atmosphère encore plus invivable. Nous avons demandé aux gardiens pourquoi ils ne répondent pas aux cris  des prisonniers en pareil circonstances ; les gardiens nous ont dit qu’ils craignent des mutineries ou des tentatives d’évasion  qui seront très difficiles à contenir surtout pendant la nuit.


Le fait que ces détenus soient mis en cellule dès 17 heures sans possibilité d’ouverture des portes avant 9 h 30 mn le lendemain ne permet pas souvent à certains détenus croyants de s’acquitter de leurs obligations religieuses.


A part les minuscules ouvertures grillagées pratiquées sur le mur de derrière  à presque 4 mètres du plancher, des petits trous sur les portes métalliques sont censés aérer les cellules. Ces orifices sont rapidement rendus dérisoires à cause du nombre pléthorique des détenus (65 personnes en moyenne dans ces cellules de 4 mx5). Certains détenus nous ont dit que leur nombre dans chaque cellule fait que même les petits ventilateurs qui ne font que brasser l’air sont inefficaces et la respiration est toujours très difficile et s’empire en période de forte chaleur.


Il est difficile de chiffrer le nombre de décès dans cette prison car les langues de délient difficilement concernant ce chapitre ; l’on sait seulement que des cadavres sont régulièrement évacués d’Amsinéné de la façon la plus discrète possible.


Un ancien dortoir fait de plusieurs containers abrite un nombre important de détenus dont des anciens agents de l’ex Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS) qui était l’ancienne police politique de l’ex Président Hissein Habré ; si ces containers dont les flancs sont  ouverts permettent à cette catégorie de détenus de disposer d’une relative liberté leur permettant d’aller et de venir dans la cour de la prison, leur nombre par contre est tellement important qu’ils sont obligés de dormir les uns contre les autres.


Certains détenus aisés, des officiers supérieurs, des personnalités  politiques et des  commerçants séjournent dans des cellules climatisées et ne sont qu’à quatre ou cinq personnes par cellules ; ces personnes doivent leur statut actuel relativement confortable soit à leur position sociale, leur statut politique ou simplement à l’argent grassement distribué aux gardiens.


Des arrangements de toutes sortes existent entre les gardiens et certains prisonniers aisés qui permettent à ces derniers de passer les nuits à leurs domiciles et de regagner la prison au petit matin moyennant des pots de vin.


Le traitement modeste des gardiens et surtout des régisseurs a fait que ces actes leur permettent d’arrondir leurs fins de mois

 

2°- des repas immangeables et insuffisants


La première visite de la C.T.D.D.H s’étant achevée vers 14h 45 mn, les membres de la mission avaient eu l’unique occasion d’assister à la préparation du repas journalier ; l’unique menu était la « boule » traditionnelle à base de petit mil et une sauce faite de gombo sec bouilli et d’un peu de viande de bœuf et de sel ; compte tenu du nombre important des détenus, la qualité et la quantité du repas servi s’en ressentent : le régisseur adjoint qui nous accompagne nous informe qu’aujourd’hui, le fournisseur en viande a apporter un demi bœuf ; il est difficile d’imaginer que cette quantité  puisse suffire à nourrir correctement un millier et demie de personnes ;

 
Ce quartier de viande (s’il est fourni) au dire de beaucoup de prisonnier est en grande partie régulièrement détourné par les gardiens ; une bonne partie de cette viande est préparée avec du riz par une détenue pour le repas des gardiens et régisseurs ; ce qui en reste est  bouilli  et c’est de l’eau salée qui est ainsi servie aux détenus en guise de sauce.


C’est notre présence qui a fait que l’unique marmite sensée contenir la sauce à servir à 1496 personnes contient ce jour-là des morceaux de boyaux de bœuf. «  La boule » à base de petit mil presque avarié et qui est sensée accompagner cette sauce est préparée dans quatre grosses marmites ; tout ce repas boule et sauce comprise ne peut pas nourrir300  personnes : (voir photo)

 

Le régisseur nous a également fait visiter ce qu’il appelle « le magasin « » ; un container placé au milieu de la cour de la prison et  destiné à accueillir le stock de nourriture des détenus; celui-ci est constitué de plusieurs sacs de petit mil presque avarié et d’une quinzaine de sacs de riz ainsi que de deux sacs de sucre et de quelques bidons d’huile ; des détenus nous ont confié que ce stock est en réalité destiné à nourrir les gardiens et les régisseurs ;  plusieurs détenus nous disent n’avoir jamais gouté à ce riz depuis leurs séjours en prison.


Les détenus d’Amsinéné ne mangent pas tous les jours : lors de notre 2e visite qui était inopinée, nous avions pu vérifier de façon certaine que ce jour là au moins il n’y avait pas eu de repas ; les détenus n’avaient pas eu droit au repas ce jour simplement parce que le commerçant chargé de livrer le fagot ne l’a pas fait aujourd’hui ; nous apprendrons plus tard que ce n’est pas tous les jours que la boule est préparée.


Ces boulettes les jours où elles sont préparées sont servies sur des  morceaux de vieilles nattes en raphia pleines de poussière ; la mission de la CTDDH à la lumière des déclarations de plusieurs détenus a compris que cet unique repas sensé être journalier était irrégulier : a la demande d’un des membres de la mission de savoir comment se nourrissent les prisonniers, ceux-ci répondent toujours que 90 % d’entre eux vivent principalement des repas apportés par les parents de certains détenus, c’est à dire des restes des repas de certains privilégiés d’entre eux . ils vivent également de petits trafics plus ou moins licites très prospères à Amsinéné.


Un des détenus nous apprend que le peu de viande livrée pour la nourriture des prisonniers est souvent préparé avec du riz par des prisonnières dans un foyer séparé si elle n’est pas tout simplement détournée et ce repas est réservé exclusivement aux gardiens : « ces gardiens se régalent devant nous et ils jettent des morceaux de viande à leurs chiens alors qu’aucun prisonnier n’a eu ce privilège : les animaux sont donc mieux traités que nous ». Certains détenus recueillent les tendons et les parties dures à cuire jetées par les cuisiniers ; ils les font secher  et les font cuire longtemps sur les braises avant de les manger (voir photo).
 

 

3°- Une absence totale d’hygiène et de soins médicaux aux détenus

 

Ø  Un manque total d’hygiène

 

« Les conditions de détention (au Tchad) sont telles qu’elles s’apparentent à une peine ou à un traitement cruel, humiliant ou dégradant. D’autres droits humains comme le droit à des soins, à un médecin à une eau potable et propre, à la nourriture, à des installations sanitaires et à divers  équipements essentiels ne sont pas respectés ». Cette affirmation est contenue dans le rapport d’Amnesty International de Septembre 2012  et elle est confirmée par le constat effectué par la mission de la C.T.D.D.H en Aout 2013 : en effet, l’absence des douches a fait que les détenus se lavent en plein air sur les abords des pompes manuelles dans une absence totale d’intimité ;  pour ceux qui seront enfermés dès 17 heure n’ayant pas la possibilité de sortir la nuit sont obligés de se laver en plein jour sous les regards gênés de leurs camarades ; le droit à des installations sanitaires et à divers équipements essentiels ne sont pas respectés au regard des exigences internationales ; certains des détenus ayant des malformations préfèrent renoncer à ce laver plus régulièrement .

 

 Trois forages de puits avec pompes manuelles dont une partie de l’installation a été financée par un ancien prisonnier permettent donc  aux détenus de disposer d’une eau relativement potable ; mais compte tenu de leur nombre ; l’accès à ces pompes est souvent difficile et Pour éviter que les eaux des toilettes et des lessives n’inondent l’enceinte de la prison, le C.I.C.R a financé la construction des canalisations pour l’évacuation de ces eaux usées. Apres le passage de la mission d’Amnesty International, deux robinets ont été installés permettant ainsi aux détenus de disposer relativement de l’eau potable.

L’un des problèmes les plus préoccupants est l’état des toilettes : En effet, cinq petites maisonnettes  d’un mètre sur un mètre et demi, dont une est pratiquement en ruine, font office de WC ; les fosses septiques creusées à l’intérieur de ces maisonnettes construites à coté des cellules  sont depuis longtemps pleines d’excréments et elles débordent tellement qu’elles laissent échapper en période de fortes chaleur, des vers qui arrivent jusqu’aux cellules situées à quatre ou cinq mètres de là ; l’odeur qui s’y dégage est tout simplement insupportable. (Voici les photos de l’intérieur  de deux des WC)

  

Ø  Une absence totale de soins médicaux

 

Lors de la première visite, la mission de la C.T.D.D.H n’avait rencontré aucun agent de santé à Amsinéné ; le régisseur qui  accompagnait  la mission a admis que  l’infirmier qui s’occupe des soins des détenus y effectue simplement des passages ponctuels  ; la mission apprendra plus tard que l’agent en question est rémunéré par l’O.M.S et que l’état n’a pas affecté officiellement un staff médical aux soins des détenus ; même s’il avait été là, l’agent de santé aurait de toute façon été incapable de prodiguer les premiers soins aux détenus en cas d’urgence par ce qu’il n’existe aucun médicament ni aucun outil médical dans la petite chambre sensée constituer l’ infirmerie de la prison ; il n’y’avait d’ailleurs personne au moment de l’arrivée de la mission de la CTDDH dans l « l’infirmerie ».(voir photo).


Les conditions de séjours et  de détention des prisonniers d’Amsinéné font que des maladies  graves comme la tuberculose, la diarrhée et surtout les maladies de la peau clairement visibles sur le corps de beaucoup de détenus y font des ravages.


Les détenus porteurs de virus du VIH- SIDA ne reçoivent aucune prise en charge et ne bénéficiant d’aucun traitement de faveur ; ils sont donc forcément condamnés ; aucune mesure n’est prise pour séparer les malades des autres ; par exemple les porteurs de maladies contagieuses comme la tuberculose sont enfermés avec les autres surtout dans les cellules « bateaux » ;


Lors de son second passage, la mission de la C.T.D.D.H au cours de sa visite de l’infirmerie a fait le même constat ; c’est dire qu’aucune amélioration n’est intervenue en ce qui concerne les soins des détenus d’Amsinéné. Les décès y sont fréquents et ce fait est tellement devenu banal que leur nombre n’est jamais connu.


Il convient de faire remarquer qu’aucune enquête du reste n’a été ouverte pour déterminer les circonstances de la mort de certains prisonniers dont les décès sont dus au fait des gardiens.
 

4°- Une promiscuité dangereuse pour les femmes et les mineurs

 

Un bâtiment de trois grandes chambres abrite des détenus de sexe féminin ; leur nombre est important et le problème d’espace se pose toujours surtout à partir de 17 heures quand on les obligera à dormir à l’intérieur des chambres.


Le problème qui se pose est leur promiscuité avec les hommes dont les cellules sont éloignées seulement de près de 3 mètres ; ceci en violation totale des normes internationales qui exigent une séparation obligatoire des prisons des hommes de celles des femmes : le fait donc qu’elles partagent la même cour pendant la journée, les mêmes toilettes et la même pompe les expose souvent à des agressions de la part de certains prisonniers hommes ; le seul traitement de faveur est qu’elles reçoivent de temps en temps leur ration alimentaire et elles préparent elles mêmes leur repas ; mais compte tenu de l’irrégularité de ces rations, c’est souvent sur les repas apportés par les parents qu’elles comptent le plus comme chez le reste des détenus.

 
Il y’a lieu de dénoncer ici un fait grave auquel il conviendrait d’apporter une solution urgente : certains gardiens (gendarmes) usent de leur autorité sur ces détenues pour abuser de certaines femmes ; celles-ci sont obligées d’obéir de peur des représailles en cas de dénonciation.


Nous avons, au cours de notre dernière visite assisté à une altercation entre un détenu et une détenue à cause d’une assiette. Au cours de la même visite, la mission de la CTDDH a rencontré un enfant de deux ans qui est à la prison d’Amsinéné parce que sa mère y est détenue.

 

Il existe par ailleurs un nombre important de mineurs qui sont enfermés avec les adultes dans les mêmes cellules ; ce qui est préjudiciable à leur sécurité.

 

5°- inexistence totale des programmes de formation ou d’encadrement en vue d’un plan de réinsertion.

 

La Direction Générale de l’Administration Pénitentiaire  est affabulée d’un autre objet qui est la Réinsertion Sociale ; c’est dire que la raison d’être de cette Direction Générale n’est pas seulement l’Administration Pénitentiaire mais également la réinsertion Sociale des condamnés. Dans les faits, aucun indice ne pouvait laisser croire à l’existence d’une telle activité dans les prisons Tchadiennes : la réinsertion sociale des prisonniers libérés suppose  la mise en place des structures humaines et matérielles adaptées pouvant permettre au détenu d’apprendre un métier en vue d’une future réinsertion dans la société ;

L’idée selon laquelle le détenu est en prison pour y être puni est dans tous les esprits y compris dans ceux des responsables en charge de l’administration pénitentiaire ; c’est ainsi que cette culture d’encadrer ou de former des prisonniers à l’exercice d’un métier  en vue d’une éventuelle réinsertion dans la société n’a jamais existé chez aucun des responsables en charge de la gestion de ces maisons de détention.

Si cette administration a déjà du mal à assurer aux détenus de la prison d’Amsinéné, un seul repas journalier décent et un minimum de conditions de séjours d’hygiène et de soins médicaux,  un plan de réinsertion  parait  dans de pareilles circonstances, utopique. 

 

 D – Des traitements inhumains et dégradants exercés régulièrement sur les  détenus


La prison d’Amsinéné étant  devenue par la force des choses un lieu de trafic de toutes sortes effectuées par certains détenus en collaboration avec certains gardiens, il arrive que des intérêt liés à ce trafic les opposent et cela se termine toujours par des sévices corporels graves exercés sur les détenus désobéissants ; ceux considérés comme récalcitrants sont passés à tabac : des tortures graves sont infligés parfois sur simple dénonciation par les gardiens qui n’hésitent pas à les « passer à la piscine » : cette torture consiste à plonger à plusieurs reprises les tètes des détenus dans un bassin d’eaux usées contenant des urines provenant des toilettes ainsi que de celles provenant de la pompe manuelle dont les abords servent de lieu de bain public en plein air. Ces humiliations avaient causé le suicide de deux détenus qui avaient préféré se tuer plutôt que de les subir.


La seconde visite de la mission de la C.T.D.D.H effectuée de façon inopinée a permis de découvrir que neuf détenus étaient enchainés aux pieds (voir photo)

 ; un des régisseurs présents sur les lieux a justifié cet acte par le fait que ce sont des prisonniers dangereux pour la sécurité des gardiens ; ces actes sont posés en vue de prévenir des tentatives d’évasion« l’un d’eux avait tenté d’arracher une arme d’un des gardiens provoquant des coups de feu qui, par miracle n’avaient blessé personne compte tenu du nombre important des prisonniers dans l’enceinte de la prison ce jour là »; à la question de savoir pourquoi les huit autre détenus sont aussi enchainés, la mission n’a reçu aucune réponse ; elle a constaté par ailleurs que les  chaines avaient provoqué des enflures et des infections aux pieds et aux jambes de ces détenus.


D’autre part, des informations confirmées par certains responsables pénitentiaires faisaient état de l’existence des pots de vin versés à certains gardiens par des individus afin qu’ils torturent les détenus dont ils ont provoqué l’arrestation ; plusieurs détenus nous ont confié que leurs affaires personnelles sont souvent confisquées par les gardiens ; surtout certains objet de valeurs comme des téléphones portables de grande marques, des montres, des bijoux etc. de toute façon, ces actes graves se déroulent dans l’anonymat et surtout dans l’indifférence complice des régisseurs.


Des prisonniers avaient été tués par des gardiens suite à une tentative d’évasion en 2012. Mais aucune enquête n’avait jusqu’alors été diligentée pour déterminer les circonstances réelles de cette tuerie.


E- une action urgente est nécessaire


A plus ou moyen terme, si aucune action n’est menée, il y’a lieu de craindre une vraie catastrophe humanitaire avec un nombre de plus en plus important de décès dans cette prison. Le gouvernement tchadien devrait inclure le sort des détenus dans ses priorités et ne doit pas seulement se contenter de mener des actions dont le but est de divertir l’opinion internationale par des actions  ponctuelles sans lendemain ou des prises de certains actes comme les deux Ordonnances 031 et 032 sans les faire suivre par des lois ou décret subséquents.


Un régime politique qui se veut démocratique se doit de veiller au respect des droits humains des citoyens y compris ceux de ses détenus ; ceux-ci ont plus que jamais besoin que leur sort soit l’objet d’une surveillance accrue de la part des autorités  par ce que le fait qu’ ils soient privés de libertés les expose souvent aux excès les plus divers. Le fait surtout que leurs geôliers puissent jouir d’une impunité totale suite aux multiples violations de leurs droits  fondamentaux est la preuve que leurs sort est loin d’être la préoccupation des autorités.

    
F – Recommandations et suggestions


A la lumière de tout ce qui a été décrit ci haut, la mission de la C.T.D.D.H recommande ce qui suit :
 

 

Au gouvernement Tchadien

Ø 
L’application intégrale des ordonnances avec la prise urgente des lois et décrets subséquents

Ø  La mise en œuvre urgente des dispositions contenues dans l’Arrêté 044 en attendant la prise des lois et décrets d’application des ordonnances précitées.

Ø  Elever le Ministère de la Justice au statut « de Ministère prioritaire »

Ø   Multiplier par trois, le montant des crédits alloués au Ministère de la justice de façon à permettre à l’Administration pénitentiaire de disposer d’un budget conséquent.

Ø  Créer les conditions dans toutes les prisons pour la mise en place des structures permettant aux condamnés d’apprendre des métiers en vue de leur réinsertion.

Ø  Accélérer les travaux de construction de la nouvelle prison de N’Djamena (Kilessim) en vue de caser les détenus dans une prison répondant aux normes actuelles

Ø  Envisager la construction d’autres prisons modernes en vue d’en finir avec les conditions de détention des prisons de Koro toro ; Moussoro ; Mongo ; Abeché etc.

Ø  Construire des prisons modernes pour les détenues de sexe féminin séparées de celles des hommes ; ayant des structures similaires à celles des hommes.

Ø  Instituer dans chaque prison une vraie infirmerie avec du matériel et des médicaments de première nécessité et y affecter une équipe importante d’infirmiers dirigée par un médecin généraliste.

Ø  Construire des prisons spécialisées pour l’accueil des mineurs et créer des conditions pour un encadrement pédagogique rationnel en vue de leur insertion effective dans la société.

Ø  Faire assister les détenus porteurs du virus du Sida par des agents sanitaires et sociaux spécialement affectés à cet effet.

 

Ø  Accélérer la formation et l’encadrement des nouveaux gardiens et personnel des prisons en vue de leur permettre de remplacer dans les plus brefs délais les gendarmes et le personnel actuel en charge de la gestion des lieux de détention des prisonniers. Et surtout veiller à leur octroyer un traitement décent pouvant les mettre à l’abri des tentations.

Ø  Instituer un mécanisme permettant d’exercer une surveillance accrue sur les conditions des détenus.

Ø  Autoriser les ONG  de défense des droits humains et leur accorder des Autorisations administratives permanentes de visite des prisons sur toute l’étendue du territoire national.

Ø  Prendre un acte réglementaire (décret, arrêté) définissant les conditions de répression des auteurs des violations des droits des détenus dans les prisons.

Ø  Instituer un mécanisme d’assistance judiciaire aux prisonniers les plus démunis

Ø  Instituer un mécanisme efficace de prévention de répression des détournements des vivres destinés aux détenus et de leurs biens personnels.

Aux Associations de défense des droits humains au niveau local

Ø  S’intéresser au sort des détenus sur l’ensemble du territoire national

Ø  Visiter plus souvent  les prisons et les lieux de détention sur toute l’étendu du territoire national ou à défaut ceux situés à proximité de leur sièges.

Ø  Sensibiliser l’opinion nationale sur les droits des détenus ; droits reconnus tant au niveau national qu’international.

Aux organisations internationales et chancelleries

Ø  Exercer des pressions sur le gouvernement tchadien afin de l’amener à s’intéresser au sort des détenus sur son territoire

Ø  Financer des séminaires et ateliers sur les droits des détenus découlant des instruments juridiques nationaux et internationaux et instituer au besoin un système de formation continue au bénéfice du personnel en charge de la gestion des prisons.

Ø  Accompagner les ONG locales des Droits de l’homme dans la sensibilisation de l’opinion publique nationale dans le sens du respect des droits des détenus.

 

Ces recommandations peuvent être largement suivies et exécutées surtout en ce qui concerne la part qui revient au gouvernement Tchadien ; la CTDDH est convaincue que ces réalisations sont largement à la portée des capacités financières du Tchad et peuvent ainsi avec un minimum de volonté politique être réalisées à cent pour cent.

A l’heure où toute l’actualité est focalisée sur les événements et conflits régionaux en Afrique, des êtres humains sont en train de vivre des situations qui, à y regarder de plus près, n’ont rien à envier à celles des victimes de certains de ces conflits régionaux.

Cette situation interpelle tous les acteurs politiques et de la société civile domiciliés à N’Djamena parce que des êtres humains subissent ces manquements à seulement une dizaine de kilomètres  de là où ils habitent.

 

G-  Remerciements : la   Convention Tchadienne pour la Défense des Droits Humains (C.T.D.D.H) remercie tous les responsables du Ministère de la justice et surtout de la Direction Générale de l’Administration Pénitentiaire et de la réinsertion ; les autorités judiciaires ainsi que les fonctionnaires du Secrétariat Général du Gouvernement en l’occurrence ceux du journal officiel et toutes les personnalités du Ministère des Finances et du Budget  ainsi que toutes les personnes qui, de près ou de loin ont aidé à la confection de ce rapport.

               

 

                                                                    N’Djamena le 12 Mars 2014

 

 

Note : la Convention Tchadienne pour la Défense des Droits  Humains (C.T.D.D.H) est une ONG de défense des Droits de l’Homme ; elle a fait l’objet d’un enregistrement au registre  des Associations le 09 Aout 2011 sous le folio N°3778.

Le siège de la C.T.D.D.H est situé à l’Avenue Oumar Bongo face à la Station-Service « Nimro »

 

C.T.D.D.H.  Av. Omar Bongo. B.P: 58 39. Ndjamena- TCHAD.

                            Email: convention. ctddhongatchad

                      Tel:    +235 92 10 69 83

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