L’afflux des populations rurales ces dernières années vers la capitale est inquiétant. Si la pauvreté grandissante en est la principale cause, leur implantation dans les zones urbaines est un manque à gagner pour le Tchad.
 
Jeudi dernier, il est 6 heures, les grandes artères de la ville de N’Djaména sont prises d’assaut par des individus rangés en queue leu-leu. Hommes et femmes, mineurs ou majeurs, tous se dirigent vers le centre ville. Parmi ces gens, on y retrouve, des marmitons, des vendeurs à la sauvette, des ouvriers, des cordonniers, des aides-maçons, des menuisiers… Ces jeunes qu’on appelle communément «fonctionnaires de la rue de 40», viennent des contrées lointaines avec des ambitions à réaliser. Ils se regroupent à cinq ou huit, garçons et filles, pour vivre dans une seule pièce qu’ils louent. Ces bras valides n’ont pour souci que leur pain quotidien. Qu’est-ce qui poussent ces jeunes à abandonner le milieu agricole au profit des centres urbains?

Se chercher pour survivre, les raisons du flux
La migration est saisonnière pour les uns et permanente pour les autres car, parmi ces jeunes, il y a des élèves et aussi des paysans. Ces débrouillards gagnent leur pain grâce à l’effort de leurs mains sur les chantiers de construction. L’argent épargné, permet aux élèves d’assurer leurs études, tandis que les paysans, eux, se battent pour s’acheter des engrais ou des boeufs. «Je viens en novembre pour rentrer en avril. Ce que j’épargne, me permet de faire de grandes cultures et réaliser mes projets», confie Raïkinan, fonctionnaire de la rue de 40. Pour ceux qui ont décidé de s’installer définitivement en ville, ils estiment avoir trouvé un travail plus rentable que les champs. Raïyembaye, est de ceux-là. «Je suis paysan. C’est suite à la dévastation de mon champ par un troupeau de boeufs que je suis arrivé en ville depuis 1999. Je travaille comme un boy dans une famille », raconte-t-il.
Ce dernier et ses frères, originaires de Nderguigui, bourgade au Sud du Tchad, dans la région du Mandoul, habitent une petite pièce, sans toilettes ni clôture ni puits. Pis, ils dorment sur de petits tapis, sans moustiquaire. Faute de moyen ! Leur soeur Bétémaye, mineure, reconnait qu’il est difficile de réaliser ses ambitions avec les revenus des produits champêtres. «Mon objectif, c’est de travailler pour acheter des ustensiles de cuisine et des habits puis retourner au village», a-t-elle avoué.
Réalbaye, quant à lui, vendeur de jus devant une à Moursal, pense que la ville attire les jeunes du village parce qu’ils y
viennent pour se chercher car selon lui, le travail de la terre n’est plus rentable. La ville est un lieu d’abondance, un eldorado dans l’esprit de ces aventuriers. Les changements climatiques qui ont conduit à l’appauvrissement des terres cultivables, sont pour beaucoup dans ces flux migratoires. Des ruraux sont ainsi attirés par les grandes villes où ils croient se nourrir avec aisance. D’autres encore, viennent pour apprendre un métier. Sans aucune qualification, ces aventuriers constituent une main d’oeuvre moins chère. Ils sont souvent surexploités, humiliés, ou maltraités par
leur employeur. Néanmoins tous les patrons ne sont pas pareils. Certains les respectent, les traitent avec égard pendant que d’autres refusent de les payer ou les considèrent souvent comme des voleurs. Banditisme, prostitution… de graves conséquences L’augmentation de la population urbaine n’est pas sans conséquences aussi bien dans les villes que dans les villages. Laissée pour compte, une frange importante de cette jeunesse sombre soit dans la prostitution, soit dans la délinquance.
Les week-ends, les jeunes gens déferlent dans des débits de boissons, armés de couteaux ou de machettes où ils se livrent souvent bagarre à la première occasion. Ces bagarres se soldent parfois par morts d’hommes. Certains comme Djass, originaire de Peny, village situé à 35 Km de Doba, ne porte pas de couteau. Tout de même, dans son village les jeunes en ont toujours sur eux. Ainsi, ces aventuriers transpostent cette habitude en ville pour se défendre contre de probables ennemis. Quant aux jeunes filles, elles se livrent démesurément à la prostitution. Utilisées dans les maisons de passage, elles sont exposées aux maladies sexuellement transmissibles et aux grossesses indésirables. «Nous nous entendons très bien. Lorsque l’une d’entre nous est avec son copain, nous lui libérons la chambre », rassure une jeune fille qui partage une chambrette avec quatre autres amies.

Belle complicité, même dans le mal !
Cette situation est aussi à l’origine de la flambée des loyers. La demande allant crescendo, les maisons à louer coûtent chères et deviennent de plus en plus rares. «Dans les quartiers périphériques où les chambres ne coûtaient que trois mille francs dans les années 2000, les loyers passent du simple au double voire plus», se plaint un ancien colocataire des «fonctionnaires de la Rue de 40m». Zébedée, un habitant du quartier Chagoua témoigne qu’il est « gênant d’avoir des voisins qui dorment à dix dans une chambre. Surtout, quand on utilise les mêmes toilettes. Il y’a, certes, de problèmes de cohabitation. Cependant, on s’adapte».
Ceux d’entre eux qui manquent d’emploi s’adonnent au vol et créent ainsi l’insécurité dans les quartiers reculés à certaines heures. Autre conséquence. La fuite des bras valides vers les villes porte un coup dur à la production vivrière. Le cas de l’arachide est écoeurant. En témoigne le constat du coordonnateur des centres de formation pour la promotion rurale des régions du Sud du Tchad «Nous sommes un pays qui produit de l’arachide en grande quantité. Mais, ces dernières années, les jeunes quittent les villages et la production arachidière diminue d’année en année. C’est vrai que nous produisons en ce moment, mais avec une population qui n’a plus de force pour produire en quantité comme avant », s’écoeure-t-il.
Même, la production du riz a aussi chuté. De 149 000 tonnes en 2005, elle est passée à 110 000 tonnes en 2008. Ces migrations occasionnent aussi la flambée du prix des denrées de premières nécessités, étant donné que la production vivrière baisse au profit de la consommation qui monte en flèche. Le chômage et la désertification sont aussi d’autres corollaires liés à ces mouvements migratoires. Tout compte fait, l’on s’interroge sur l’efficacité de la politique du gouvernement en faveur du monde rural. Que les autorités s’activent pour remédier à cette situation pendant qu’il est encore temps.

Florent Baipou

 

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