13 mars 2013 TCHAD/France: Guy Labertit, ex « Monsieur Afrique » du PS français. Ibni ne doit pas passer par pertes et profits.
Pourquoi ce livre que vous venez d’écrire sur l’opposant tchadien [Ibni Oumar Mahamat Saleh], « Ibni, une vie politique assassinée » (1949-2008) ?
Mes premières manifestations à Bordeaux étaient contre l’intervention française au Tchad en 1970. Etant un militant antiimpérialiste comme on disait à l’époque, j’ai rencontré Ibni Oumar Mahamat Saleh dès 1975 alors qu’il était étudiant en mathématiques et engagé plutôt sur les bases du Frolinat (Front de Libération nationale du Tchad, ndlr) qui était un mouvement armé. Lui-même a essayé de rejoindre les maquis en 1978, mais a très rapidement rompu avec cette stratégie de lutte armée dès 1979, choisissant une lutte démocratique pour la conquête du pouvoir. Il a été ministre sous Hissène Habré et sous Idriss Deby Itno.
Pourquoi a-t-il été assassiné ?
Parce qu’il s’est écarté du pouvoir d’Idriss Deby. Il était devenu un fédérateur de l’opposition civile. Il s’était présenté contre Idriss Deby en 2001. Il a été arrêté juste au moment où Idriss Deby avait failli être renversé par la rébellion à Ndjamena. Il n’était pas impliqué dans cette rébellion. Deby a profité de cette situation et a arrêté trois personnes, dont Ibni, et on constate qu’un seul n’a jamais réapparu : Ibni Oumar Mahamat Saleh, parce qu’il était potentiellement un chef d’Etat.
Les auteurs de son assassinat courent toujours…
Le rapport d’enquête révèle qu’Ibni a été à 19h30 le dimanche 3 février 2008 et a été présenté au président Idriss Deby dans la soirée même. Et qu’il a été confié à dignitaire du régime tchadien. Ce que l’on peut penser, c’est que les interrogatoires qu’il a subis dès cette soirée ont été d’une extrême violence. On peut estimer qu’il est décédé à la suite de ces tortures.
La France considère cependant Idriss Deby comme un allié. On le voit notamment au Mali…
Le président Hollande a posé au chef de l’Etat tchadien la question de la disparition d’Ibni Oumar Mahamat Saleh et a demandé que lumière soit faite. C’est vrai qu’aujourd’hui, pour des raisons diplomatiques, je ne souhaite pas qu’Ibni soit passé par pertes et profits parce que l’intervention tchadienne est nécessaire à la réussite de l’ »Opération Serval » au Nord-Mali.
La Françafrique a-t-elle encore de beaux jours devant elle ?
Il y a une volonté de rupture qui est incontestable. C’est vrai qu’il y a des engrenages dans lesquels il est difficile de sortir, comme la situation du Tchad où on se rend compte que garder un objectif politique est parfois difficile. Quel que soit le rôle de l’armée tchadienne dans le Nord-Mali, on ne doit pas oublier que notre perspective en tant que gauche, c’est d’être toujours du côté des forces qui veulent aller vers le progrès et la démocratie.
Vous disiez que le système des valises entre l’Afrique et la France a toujours existé. A-t-il vécu ?
J’ai toujours pensé que ce système avait existé. J’ai toujours temoigné en disant que parmi les grands hommes politiques francais qui étaient hors de ce système figurait Lionel Jospin. J’en suis persuadé ! Je pense aujourdhui que les forces politiques qui sont en place autour de la gauche ne peuvent etre soupçonnées de ce dont on a accusé la gauche, notamment pendant la période sous Mitterand.
Que vous inspire l’affaire des biens mal acquis qui implique des chefs d’état Africains ?
On fait beaucoup de bruit autour de ces affaires. Je voudrais bien être persuadé que ceux qui mettent ces accusations en avant sont absolument blancs sur tous les points par rapport à tous les pays d’Afrique. Ce qui me met un peu mal à l’aise par rapport à ces affaires, c’est la bonne conscience que se donnent les Européens et certaines élites françaises par rapport à l’Afrique.
Notre Afrik n° 31 Mars 2013 Page 13