Résidence du gouverneur du Batha à Ati symbolise les malversations.

Adopté en Conseil des Ministres en sa séance du 2 octobre 2003, le code régissant le marché public tchadien fixe, en son article 1er paragraphe 1, non seulement ses champs de compétences mais aussi détermine, explicitement, sa faculté de lutter contre les malversations, de prévenir les fraudes, voire de conciliation en cas de litige. Au quotidien, les réalités sont toutes autres. Pour bien cerner le degré de corruptions et de détournements qui s’y opèrent, il faut voir le processus de lancement des appels d’offres organisé par les Commissions d’Ouverture et de Jugement des Offres (COJO), d’un coté, et l’Organe Chargé du Marché Public de l’autre, pour bien circonscrire les différents aspects de subornations. Nous allons nous épargner l’amont du processus allant de la constatation du besoin jusqu’au montage du marché, même si, parfois, on crée des besoins fictifs pour organiser et gagner des marchés souvent non exécutés. Nous devons aussi vous préciser que nous ne traitons que les appels d’offres non restrictifs, laissant les marchés techniquement sélectifs (faisant appel à des compétences particulières).

 

Les Commissions d’Ouverture et de Jugement des Offres (COJO)

Il est crée dans chaque ministère une COJO qui procède publiquement aux ouvertures des plis d’offres des soumissionnaires. A ce niveau, la démarche est purement administrative et consiste à vérifier la conformité des dossiers d’offres. A part le SG du ministère concerné par le marché (autorité contractante) président la séance, il peut y avoir aussi les représentants du SGG (OCMP), ministère des finances, etc., bref tous ceux qui sont concerné par ce marché (parfois des bailleurs quand c’est eux qui financent). Le code du marché énonce clairement que «Lors de cette séance le nom de chaque candidat, le montant de chaque offre et le cas échéant des rabais proposés sont lus à haute voix». A cette phase, disons de «salamalec», où, même si certains faisaient correctement leur travail, d’autres notaient précieusement dans leurs carnets les coordonnées des soumissionnaires. Et du coté des soumissionnaires également on repère pour rendre des visites nocturnes à domicile. Après cette séance, copies des plis des soumissionnaires repartis, le véritable travail d’attribution, appelée phase technique, commence. Les dossiers sont traités par une sous commission de la COJO, appelée la Sous Commission Technique d’Evaluation.

 

Sous Commission Technique d’Evaluation (SCTE): la machine à gaz.

Elle détermine dans un premier temps l’éligibilité non seulement de l’offre, mais aussi du soumissionnaire afin d’écarter les indélicats (ceux qui n’ont pas honoré un engagement par exemple). De dires de certains, on n’a jamais écarté un soumissionnaire pourtant ce n’est pas par manque d’indélicats véreux. Cette étape franchie, l’analyse s’oriente vers les aspects techniques (conformité de l’offre technique du soumissionnaire avec le dossier de l’autorité contractante), et l’aspect administratif (la situation financière, fiscale et administrative).

Analyses Techniques:
 Il s’agit de voir si les travaux ou prestations proposés par les soumissionnaires sont conforment avec les attentes de l’autorité contractante. S’il s’agit des travaux publics, une liste détaillée des matériaux concourant à la réalisation des travaux, exprimés en quantité et valeur, doit être jointe au dossier. La SCTE doit analyser poste par poste, et si nécessaire corriger les erreurs afin de donner la vraie valeur de l’offre. S’il s’agit des prestations de service ou fourniture de biens, la cherche de conformité doit être la règle déterminante.


Analyse de la situation financière, fiscale et administrative: Il s’agit de voir la situation financière du soumissionnaire, s’il est apte, financièrement à exécuter ce marché. Mis à part une caution bancaire demandée, les bilans et les résultats de 5 derniers exercices aussi sont exigés. Une analyse financière peut permettre à débusquer ceux qui sont fragile financièrement ou présente une situation d’endettement. Pour l’expérience et la compétence à réaliser ce marché, on demande également des attestations de bonne fin d’exécution pour des œuvres similaires.

 

 Les falsifications dans les dossiers:


Les outils sont là, mais le problème c’est que rien n’est respecté, pire, on falsifie tout. Des falsifications grotesques. Un soumissionnaire vous fournit des certificats de bonne fin d’exécution des travaux ou fournitures dont les valeurs dépassent plusieurs milliards, mais aucune trace de ces milliards sur ses comptes résultats attestés par les impôts. Le défaut de l’une de ces pièces est systématiquement disqualificatif. Le degré de falsification est tel qu’on est allé jusqu’à produire de vraies fausses cautions bancaires (signées parfois par des responsables de la banque).


• Les tripotages dans les commissions:


Cela va de l’arrachement de certains éléments d’un dossier concurrent pour le disqualifier à l’introduction des pièces pour certains dossiers éliminés. Des montants d’offres inversés, d’autres minorés ou majorés prétextant d’écarts d’évaluations. Ces écarts qui peuvent atteindre plusieurs centaines de millions sont ensuite partagés. Les membres de la COJO, en passant par l’OCMP, jusqu’aux DAF des ministères concernés, chacun à sa part du gâteau, au cas contraire l’affaire est sortie, des simulacres de poursuite sont engagées, les accusés reviendront en force sur d’autres poste plus rentables, et les sommes détournées ne sont jamais recouvrées (et pourtant les biens acquis grâce à ce vol sont affichés ostensiblement à la face de la plèbe). C’est l’exemple du marché dit 105 de l’éducation nationale.


Il y a une règle unique dans ces commissions: il faut payer. Une maffia allant du COJO jusqu’au Contrôleur financier du ministère des finances en passant par les SG et autres DG, tout le monde y participe. Inutile de vous préciser que les ententes sont aussi ficelées que les avis motivés de l’OCMP sont, dès lors, une simple formalité. La solidarité entre ces malfrats est inébranlable, la collusion est perceptible à l’œil nu.


Gagner un marché à la loyale, parce qu’on est moins disant, est impossible. Les conséquences de ces phénomènes sont non seulement la multiplication des prix par 10 ou 15, mais aussi la piètre qualité des biens réceptionnés, s’ils sont réalisés ou fournis. L’exemple le plus illustratif est celui des brancards qui coutaient un million de francs, ou ces bâtiments sensés recevoir un centre de formation des policiers mais qui ressemble plus à des pigeonniers qu’à des salles de formations.


Logiquement, tout marché dépassant la cinquantaine de millions de francs doit faire l’objet d’un appel d’offre publique. Il se trouve que cette norme est systématiquement violée par celui qui l’a édictée : Idriss Deby. L’attribution, entre autres, du marché de centre des affaires à un sénégalais (plus de 450 milliards), celle, de l’hôpital de la mère et de l’enfant à un ses neveux (plus de 15 milliards), ont échappé à ce principe. Alors, les petits, comme on les appelle communément, voyant le chef prendre sa part, n’hésitent plus à participer. Les ministres ont institutionnalisé la pratique dite de 10%. Ainsi, l’entrepreneur doit verser l’équivalent de 10% directement au ministre sans trace ni écriture, et à lui de justifier dans ses comptes. Tel un gibier, les deniers du Peuple tchadien est détournés systématiquement par ces hordes de véreux.

 

Abakar Issa Hamid

 

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