Ces derniers jours, Abdelaziz Bouteflika semblait bien décider à concurrencer Idriss Deby. En effet, le président algérien a été réélu avec plus de 81 % des voix pour un quatrième mandat, dans un scrutin marqué par les soupçons de fraude et les contestations de l’opposition. Pourtant, la victoire à la Pyrrhus de ce Chef d’Etat mort-vivant a suscité des réactions timides dans l’opinion internationale, peu encline à dénoncer un scrutin falsifié. La France s’est notamment contentée d’un communiqué laconique pour ne pas s’aliéner un de ses principaux soutiens dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.
 
Le mutisme de la communauté internationale sur la question de l’Algérie rappelle étrangement celui qui prévaut lors des élections au Tchad. Rappelez-vous 2011 et les dernières élections présidentielles. Le décor était le suivant : un dictateur sanguinaire et corrompu en lice lui aussi pour un quatrième mandat. Face à lui, la route se trouvait être aussi désertique qu’entre Faya et le Kalaïd. Après le retrait des trois des principaux leaders de l’opposition démocratique (Yorongar, Kebzabo et Kamougué), il ne restait plus que deux candidats pour s’opposer à celui qui, au pouvoir depuis 1990, se targue d’avoir fait du Tchad un pays entièrement soumis à sa personne. Et quels candidats… Outre l’inconnu Madou Nadji, sorte de Jacques Cheminade tchadien, se trouvait également le propre Ministre de l’Agriculture de Deby, Albert Pahimi Padacké, démissionné pour l’occasion. Même en Corée du Nord, Kim Il-Sung n’avait pas encore osé cette parodie de démocratie, préférant le scrutin à candidat unique.
 
Le résultat fut à la hauteur de la comédie qui s’est jouée au pays de Toumaï en pleine saison sèche. Idriss Deby recueillit 88,26 % des suffrages exprimés et dans sa grande mansuétude, octroya la seconde place à Padacké, qui, après sa gestion désastreuse de l’affaire de l’Arche de Zoé, pu compléter son CV avec 6,23 % des voix. Etrangement, la communauté internationale et au premier rang de laquelle la France, ne soulevèrent pas la moindre protestation contre la falsification du scrutin. Elles fermèrent les yeux, estimant Idriss Deby bien trop incontournable au Sahel pour s’en tenir à un déni de démocratie, aussi flagrant soit-il.
 
Alors que de nouvelles élections présidentielles se profilent en 2016, le constat est toujours aussi navrant. Idriss Deby compte bien rempiler pour un cinquième mandat et les conditions d’exercice de la vie démocratique ne cessent de se dégrader : opposition brimée, presse bâillonnée, liberté d’expression bafouée… Une fois encore, on peut aisément imaginer qu’Idriss Deby, comme il en a l’habitude, convoquera au Palais Rose le Président de la CENI (Commission électorale) pour lui dicter les résultats des élections, rabaissant le score de ses opposants pour mieux les humilier. Il est notamment de bon ton de se souvenir que, lors des présidentielles de 2001, il avait exigé que le score du Professeur Ibni Oumar Mahamat Saleh soit considérablement diminué et que dans la circonscription de ce dernier, à Biltine, il soit devancé par tous les autres candidats, même le plus insignifiant.
 
Qu’attendre de 2016 ? Rien, strictement rien si ce n’est une énième démonstration du machiavélisme du potentat tchadien. Et ce qui est sans doute le plus lamentable, c’est que certains partis de l’opposition démocratique ont bien l’intention de participer à cette farce électorale. Une situation qui rappelle quelque peu d’autres pays d’Afrique Centrale, où les opposants, vindicatifs le jour et beaucoup plus accommodants lorsque la nuit vient à tomber, servent de caution démocratique à des dictateurs qui, en retour, les financent généreusement.
 
Si le Mouvement du 3 Février a vocation à être un parti démocratique et à participer aux élections, force est de constater que, dans ses conditions, l’alternance ne viendra pas par les urnes. Aussi triste cela soit-il, le M3F; parti sans hiérarchie et sans appartenance clanique, prend acte du verrouillage de toute possibilité de changement par cette voie. Il se base notamment sur la volonté d’Idriss Deby de se représenter hors du cadre constitutionnel prévalant avant la révision fallacieuse de 2005, l’absence de Commission électorale réellement indépendante, le non-respect de l’accord du 13 août 2007 ou bien encore les menaces pesant sur le bon exercice de la vie démocratique. Il appelle en conséquence le peuple tchadien à ne pas attendre l’échéance de 2016, qui de toute façon ne changera rien à son malheur, et à se soulever pour réclamer le départ d’un régime depuis longtemps honni de tous.
 
Par ailleurs, le Mouvement du 3 Février formule plusieurs propositions pour qu’une fois le changement réalisé, un régime « de facto » de parti unique, comme c’est le cas actuellement, ne puisse plus avoir cours :
 
  1. Edicter une loi de financement de la vie publique afin de mettre un terme à l’opacité qui règne actuellement dans ce domaine. Les partis politiques pourront prétendre à un financement public à partir de 1% des voix obtenus dans au moins 30 circonscriptions de 5 préfectures différentes (et ce afin d’éviter les partis centrés sur l’appartenance ethnique). Le financement octroyé sera proportionnel au nombre de voix obtenues.

     

  2. Rétablir la limite de deux mandats présidentiels, supprimée par la révision constitutionnelle de 2005.

     

  3. Mettre fin au « gerrymandering » dans le cadre des élections législatives (redécoupage électoral destiné à donner l’avantage à un parti). Pour se faire, le nouveau pouvoir devra redécouper les circonscriptions en fonction de critère purement géographiques et démographiques, mettant fin au principe de la multiplication des circonscriptions dans les zones favorables au pouvoir. Le nombre de députés, actuellement de 188 pour une population de 11 millions de personnes, devra également être revu à la baisse.

     

  4. Pour toutes les élections et principalement celles présidentielles, faire appel à des observateurs ne craignant pas de produire un rapport objectif sur le vote qu’ils ont eu à superviser. Ne pas hésiter à requérir l’aide de plusieurs structures (UE, OIF, UA, CEEAC…) pour envoyer des observateurs, de façon à multiplier les garanties d’impartialité.
     
 
Le M3F appelle donc la communauté internationale à sortir de son silence et à l’aider à rétablir au Tchad un véritable Etat de droit, en permettant d’abord le départ de Deby, puis la tenue d’élections libres et transparentes. Car, comme l’affirmait l’homme politique brésilien du XIXème siècle Ruy Barbosa, « la pire des démocraties est de loin préférable à la meilleure des dictatures. »

 

Fait à Aix-en-Provence le 20 avril 2014,
 
Le Collectif
 

 

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