Que s’est-il passé au Tchad la semaine dernière ? Un complot contre le régime a-t-il vraiment été déjoué ? Par ailleurs, dans un communiqué, RSF (Reporters sans frontières) « s’inquiète vivement » de l’arrestation d’Eric Topona, le secrétaire général de l’UJT, l’Union des journalistes tchadiens. L’ex-avocat Jean-Bernard Padaré est le nouveau ministre de la Justice. Il répond aux questions de RFI sur ces différents sujets.

Padaré au Sénégal
RFI : Vous rentrez de Dakar, vous y avez signé un accord de coopération judiciaire avec le Sénégal, en vue du futur procès de Hissène Habré (l’ancien chef de l’Etat accusé de crimes contre l’humanité, ndlr). Est-ce que ça veut dire que les magistrats sénégalais pourront enquêter librement sur votre territoire ?


Jean-Bernard Padaré
 : Ils peuvent désormais rencontrer les victimes, ils peuvent rencontrer des témoins, ils pourront enquêter à charge et à décharge. Le Tchad n’a rien à cacher, nous voulons un procès transparent, équilibré.


L’un des grands témoins, c’est bien sûr le président de la République, puisque jusqu’en 1989, il a été une figure du régime Hissène Habré. Les magistrats pourront-ils l’interroger ?

L’une des grandes victimes, c’est le président Idriss Déby, et bien évidemment, je pense qu’il est tout à fait disposé à se mettre à la disposition de l’équipe d’enquêteurs comme partie civile pour qu’il explique pourquoi Ibrahim Mahamat Itno, Hassan Djamouss (…), et bien d’autres membres de sa famille, ont été sauvagement assassinés.

Idriss Déby pourra donc témoigner de la cruauté avec laquelle ses frères, ses cousins, ont été assassinés la dernière année du régime Hissène Habré ?

Il pourra au moins expliquer pourquoi ses frères ont été assassinés, parce qu’ils ne partageaient plus la ligne politique de monsieur Hissène Habré, qui commençait à torturer par le biais de la DDS (la Direction de la documentation et de la sécurité, ndlr).


Est-ce que le président acceptera de témoigner aussi sur son rôle avant son entrée en rébellion et notamment pendant cette période de 1984, où la répression a été meurtrière dans le Sud ? C’est ce que l’on a appelé « septembre noir »…

Je ne sais pas ce que vous appelez « septembre noir », mais ce qui est sûr, pendant cette période, (c’est que) la guerre était généralisée. Il y avait des rébellions partout. On veut faire croire que le président aurait des choses à se reprocher. Il n’a rien à ses reprocher ! Et vous savez très bien qu’il n’a pas du tout partagé la vision d’Hissène Habré. C’est comme ça qu’Hissène Habré a décidé d’abord de l’envoyer à l’école de guerre, et ensuite d’en faire un simple conseiller.


La semaine dernière, plusieurs personnalités, dont deux députés, ont été arrêtées à la suite de la découverte de ce que vous appelez « un complot ». Y avait-il vraiment volonté de renverser le régime ?

Il est établi qu’il y avait une conspiration qui tendait à déstabiliser les institutions de la République. Fort heureusement pour le peuple tchadien, tous leurs projets ont été déjoués et la justice est saisie. Voilà.


De source judiciaire, le principal suspect, l’ancien rebelle Moussa Tao Mahamat, n’était pas très discret. Depuis plusieurs semaines, il se répandait partout, en affirmant son intention de créer des incidents dans Ndjamena. Etait-ce une menace sérieuse ou pas ?

Je ne commente pas les rumeurs. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des éléments qui sont à la disposition de la justice. Et donc, nous attendons que la justice nous dise ce qu’il s’est réellement passé.


Parmi les personnalités arrêtées, figurent donc deux députés, Mahamat Saleh Maki de l’opposition et Mahamat Malloum Kadre, cadre de la majorité. Pourquoi leur immunité parlementaire n’a-t-elle pas été respectée ?

Ils ont été appréhendés par la procédure de flagrant délit, et le bureau de l’Assemblée en a été informé. La procédure a été respectée. Des documents ont été retrouvés, contenant des noms de personnalités. Il était important pour la police de les appréhender, de façon à avoir leur version des faits. Et si ces gens n’ont rien à voir avec cette affaire, ils seront purement et simplement libérés par les juges.


Selon une source judiciaire, les personnes arrêtées avaient le tort d’être inscrites sur la liste d’un gouvernement fantôme, fabriqué par l’ancien rebelle Moussa Tao Mahamat. Mais est-ce que c’est vraiment une preuve ? Si demain votre nom est ajouté sur la liste, est-ce que vous ne risquez pas vous-même de devenir un suspect ?

Mais est-ce que pour autant, on ne doit pas m’appeler pour m’auditionner ? Pour me confronter à ceux qui ont inscrit mon nom sur cette liste ? Donc, gardons notre sérénité. Laissons la justice suivre son cours. Le droit de la défense sera respecté.

Eric Topona 1


On a appris hier matin l’arrestation de notre confrère Eric Topona et son inculpation pour atteinte à l’ordre constitutionnel. Le journaliste de la radio nationale clame son innocence. Il affirme que sa boîte mail a été piratée. La décision d’hier n’est-elle pas disproportionnée ?

Écoutez… Je ne suis pas au courant. C’est vous qui me l’apprenez. Espérons pour lui qu’il a raison !


Il y a quelques années, Eric Topona était l’un de vos journalistes au journal La Voix. Depuis, vous vous êtes brouillés. Est-ce qu’il n’est pas victime d’un règlement de compte ?

Vous savez que si je devais régler des comptes à des gens, ce ne serait certainement pas à lui. Il y en a qui mériteraient mieux que lui. Ce n’est pas dans ma culture, ni dans mon éducation de vouloir régler des comptes. J’ai été défenseur des droits de l’homme, je ne ferai jamais arrêter un journaliste pour des problèmes personnels.


Le blogueur Jean Laokolé est aussi en prison, les directeurs de publication, Jean-Claude Nekim et Alain Andoum Juda sont poursuivis par la justice. Pourquoi cet acharnement contre la presse ?

Il n’y a pas d’acharnement ! Est-ce que les gens pourraient, un tant soit peu, être responsables et professionnels, au lieu de se livrer à des ragots ou bien à des rumeurs, à des désinformations ! Non ! Le citoyen tchadien qui est mis en cause est en droit de se plaindre contre un journaliste qui l’aurait diffamé !


Dans le dernier classement de Reporters sans frontières, le Tchad a été dégradé. Pourquoi ne pas dépénaliser les délits de presse ?

Je suis tout à fait d’accord avec vous. On doit éviter que les journalistes aillent en prison. Encore faut-il que les journalistes prennent conscience eux-mêmes de la lourde responsabilité qu’ils ont au bout de leur plume.


Longtemps, vous avez été l’un des grands avocats du barreau de Ndjamena. Que répondez-vous à ceux qui disent que comme ministre de la Justice, vous trahissez aujourd’hui votre passé de défenseur des droits de l’homme ?

Je pense que je ne trahis personne, encore moins ma conscience. Je suis un militant des droits de l’homme. Ça, personne ne pourra me l’enlever. Nous ne sommes pas là pour réprimer ! Pour censurer ! Nous, nous sommes dans la logique de la collaboration avec la presse. Nous sommes tout à fait disposés à nous asseoir et examiner les conditions de la dépénalisation, de façon à ce que chacun assume ses responsabilités, mais de manière professionnelle.

Par Christophe Boisbouvier
Avec 
 
RFI 

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