Il est des situations qui, du fait de leur flagrance amènent les fils d’un pays à briser tous les tabous. Quand l’injustice atteint des proportions  à l’échelle de celles que nous vivons dans ce pays, pour un défenseur des droits Humains comme nous, le mutisme devient tout simplement un crime ; certes, le Tchad a connu des événements qui avaient gravement fragilisé son tissu social ; ce qui a fait que raisonner en termes d’ethnie et de tribut paraissait malvenu ; tant, ces concepts nous rappellent les périodes sombres des événements que nous avons tous connus et que tous, nous nous sommes efforcés d’oublier.

 

Au nom donc de l’unité nationale, la fibre ethnique était devenue un tabou et tout individu qui y touchait était très vite taxé de divisionniste, de tribaliste, de réveilleur de vieux démons etc.

 

Cet argument fait l’affaire des plus hautes autorités qui agitent souvent cet épouvantail de la division pour faire taire tout esprit critique et maintenir commodément le statu quo ;  or, ce statu quo s’était mué  au fil du temps en une société où l’injustice était devenue insupportable au point où actuellement, 80%  de nos compatriotes ne se sentent plus citoyens de ce pays.

 

Pourtant en Décembre 1990, presque tous les tchadiens avaient salué l’avènement du MPS au pouvoir et personne à l’époque n’avait le moindre soupçon sur les intentions réelles de nos dirigeants : après 24 ans de règne de l’actuel président, la vérité est apparue au grand jour et le principal objectif visé par le chef de l’état ne souffre à présent d’aucune ambigüité : le constat est amère et il se résume en une seule idée : faire des membres de son ethnie, les maitres absolus et le reste des tchadiens, des serviteurs.

 

Cette politique d’asservissement du reste des tchadiens avait été  planifiée depuis longtemps et froidement exécutée avec une méticulosité diabolique ; cette hégémonie avait été instituée par étape et la logique suivie ne laisse aucun doute sur les intentions de son principal concepteur, le président de la république.

 

Ceci avait commencé avec le contrôle de tous les secteurs clefs de l’état : la mainmise totale sur l’armée, gouffre financier entièrement contrôlée par ses parents ; viendront ensuite l’administration des finances avec le contrôle de toutes les régies financières (domaine, impôt, douane) dirigées par ses  proches parents ou  l’infiltration de l’administration centrale à travers les secrétaires généraux de 90% des ministères ; le contrôle absolu de toutes les unités économiques et institutions étatiques clefs jusqu’au niveau de chefs de division ou chefs de services ; la fabrication de nouveaux commerçants tous issus du sérail auxquels des marchés de plusieurs milliards sont attribués de gré à gré parfois avant même la création de leur entreprises et la mise en place par le président lui-même d’une politique d’appauvrissement concomitante  des commerçants issus des autres ethnies ; ceci a permis au passage la création d’ une situation de quasi monopole dans les domaines comme le pétrole, les alimentations, les pharmacies, les stations-services, ainsi que des domaines marginaux où ils utilisent souvent des prête-noms.

Apres s’être assurés que toute les richesses  du pays son entièrement devenues leurs propriétés exclusives, il s’’agit maintenant de les préserver avec le contrôle de l’appareil sécuritaire : c’est ainsi qu’actuellement, ils sont à la tête de tous les commissariats, brigades et légion de gendarmerie  ; ceci dans le dessein de terroriser les autres tchadiens  de les déposséder impunément de leurs biens  de commettre des injustices et de violer leurs droits fondamentaux sans possibilité de recours  quelconque et garantir aux membres de leur ethnie qui oppressent les autres tchadiens, une impunité totale :  cet état de fait a engendré une injustice jamais égalée dans le monde ; « c’est toujours eux ! Ce n’est pas la peine de porter plainte contre l’un d’entre eux ; ils sont toujours juges et parties ! ils sont partout et là où tu vas, ce sont eux les responsables » se disent tous les jours les autres tchadiens.

 

Cette politique a continué avec la privatisation de presque toutes les entreprises nationales qui, sous le couvert de la politique de désengagement de l’état prônée par les bailleurs ont systématiquement été bradées à leur profit exclusif. À l’image de la SNER et plusieurs autres entreprises usurpées à l’état, de la SOTEL, l’une des dernières entreprises non encore «  privatisée » appartiendra très bientôt au grand frère du président, introduit dans le gouvernement comme Ministre des télécommunications pour la circonstance. Il y’a lieu de craindre par ailleurs que le rachat des parts de Chevron dans le consortium ne soit effectué par un membre du clan sous le couvert d’un simulacre de prêt effectué auprès de cet organisme financier suisse GLENCORE ; il est vrai que le système actuel nous a habitué à la dissimulation, aux pratiques des sociétés écrans  et aux prêtes- noms pour camoufler leurs propriétés usurpés à l’Etat tchadien ; connaissant leur degré d’enrichissement, les 650 milliards de francs CFA peuvent aisément être décaissés par un seul membre du clan et ainsi, sous le couvert de l’état, le seul vrai propriétaire des parts de Chevron sera tout simplement un membre de la famille.

 

S’accaparer des richesses nationales ne suffit pas, il faut obliger les autres citoyens à vivre dans la précarité : c’est ainsi qu’une politique d’appauvrissement systématique des autres tchadiens est instaurée : pour les fonctionnaires ressortissants des autres ethnies,  des contrôles ciblés sont effectués par le Ministère de la moralisation à leur endroit ; c’est ainsi que des fonctionnaires qui avaient rendu d’éminent service à l’Etat tchadien sont humiliés et emprisonnés au mépris de toute procédure judiciaire; notons que ces contrôles  n’avaient jamais mis en cause un seul membre de l’ethnie présidentielle. Ajoutons que l’injustice est telle qu’il existe des postes de responsabilités auxquels des cadres d’autres ethnies n’aspirent plus depuis longtemps.

 

Pour obliger les autres tchadiens à se débattre pour survivre, l’actuelle cherté de vie que nous connaissons a été subtilement programmée ; cette situation est d’autant plus dramatique qu’à Ndjamena même, des familles entières ont du mal à assurer le  repas quotidien et qu’en province, des mères de famille partent creuser des fourmilières pour nourrir leurs enfants.

 

Pour nos gouvernants donc il est également question de ne jamais laisser les autres tchadiens profiter des avantages des services publics ; même de l’eau ou de l’électricité ; les fréquentes coupures n’ont pas d’autre dessein que  de les maintenir dans une situation de précarité absolue.

 

 En ce moment, la famille du Président est dix fois plus riche que l’Etat : Cette  politique a logiquement abouti à l’appauvrissement total du pays au point  où parler de cessation de paiement n’est pas totalement exagéré : il suffit pour s’en convaincre de relever les gesticulations  fébriles de certains membres du gouvernement dont l’hystérie cache mal la gravité de la situation d’un Etat qui navigue à vue ; les faits sont pourtant têtus : des ministres sont envoyés dans la précipitation à l’étranger pour chercher des fonds, le trésor est notoirement vide et sa situation est connue de tous ; la vente des créances de l’Etat à la BCC pour payer les fournisseur moyennant irrégulièrement 12% du montant de chaque facture ; la récente conférence tenue à Paris pour lever des fonds destinés à financer un obscure plan National de Développement et un Programme National de Sécurité alimentaire (PNSA) dont l’objectif principal est très éloigné de la lutte contre la famine qui est restée endémique dans le pays.

 

Tout ceci participe d’une tentative maladroite de reprise en main d’une situation qui risque à terme, d’être incontrôlable. Il est évident que la situation actuelle de notre Etat est le corolaire logique de la cupidité et de l’esprit d’hégémonie de nos dirigeants surtout avec ce chef d’Etat qui dépense l’argent du trésor public avec une désinvolture qui frise l’inconscience.

 

Le pays est en ce moment  pris en otage par le Président et les membres de son ethnie qui ont tout pris ;  il est donc légitime de se poser cette question : que reste-t-il pour les autres tchadiens ?

  

Nous tenons à ajouter avant de finir que cette politique digne des sociétés les plus primitives concoure logiquement à la destruction de l’Etat  par ce que les frustrations qu’elle engendre depuis 24 ans amènera  les autres tchadiens à cultiver une rancœur vis-à-vis d’une ethnie ; ce qui à terme sera préjudiciable à l’unité nationale. De plus, l’interdiction systématique par le gouvernement de toute manifestation pacifique aboutira forcement, nous le craignons à  une explosion générale qui sera la manifestation spontanée des frustrations accumulées qui, après avoir atteint le seuil critique auront du mal à être contenues.


Pour nous autres défenseurs des droits humains, toutes les ethnies tchadiennes se valent ; mais si les membres de l’ethnie du chef de l’Etat  possèdent comme tous les autres tchadiens des droits dans ce pays, ils n’ont pas le droit d’être les maitres des autres ethnies du Tchad ; si nous prétendons avoir un constitution, si notre système se prétend démocratique,  si notre Etat est un Etat de droit comme on nous le répète à profusion, alors combattons ensemble cette politique  néfaste et dangereuse pour l’avenir de notre pays.

 

Mahamat Nour Ibedou

Secrétaire Général de la Convention Tchadienne  pour la Défense des Droits Humains (C.T.D.D.H)

Email : ibedoum@yahoo.fr

 

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