On pouvait s’attendre à cette description du « Tchad émergent » par d’autres officines connues pour leur « mercenariat journalistique » ; cela n’aurait rien d’étonnant, tant notre gouvernement nous a  abreuvé des déclarations du genre : « réalisations  visibles du Président Deby ; un pays en pleine transformation sous la direction éclairée du Président de la République etc.… ». Ces slogans  sont souvent relayés sous une autre forme par la presse gouvernementale et  quelquefois par  des medias étrangers  grassement payés pour la circonstance.


Nous sommes donc habitués aux reportages élogieux de certains organes de presse sur le Tchad  mais tous les tchadiens savent que ces descriptions ont toujours été réalisés contre espèce sonnantes et trébuchantes.


Ce que l’élite tchadienne ne comprend pas, c’est l’idée véhiculée par Jeune Afrique  dans un article paru dans son dernier numéro et intitulé «  Tchad  la métamorphose ».


Apres un reportage scandaleux réalisé sur le Tchad pat TV5  il y’a quelques mois, cet hebdomadaire à grand tirage et dont l’audience à travers le monde n’est plus à démontrer est lui aussi entré dans le rang ; voila jeune Afrique, ce journal dont toute l’élite africaine a toujours depuis les années 70  été friande s’y met lui aussi :


A lire ce long reportage réalisé sur le Tchad, on croirait avoir à faire à un autre pays.


Le Tchad est décrit à travers la découverte d’un certain Ahmat Hassane rentré de Centrafrique après dix ans d’absence : ce compatriote selon Jeune Afrique découvre à son arrivée a N’Djamena :

      
Un pays stable et apaisé

      
Des nouvelles réalisations avec des grands travaux

      
Des relations d’affaires

      
Une consommation digne de certains pays émergeants

 
Il découvre enfin que tout est en train de bouger dans le pays


Sans vouloir nous étendre sur la réalité vécue par les tchadiens au quotidien, réalité dont le  reportage ne parle évidemment pas et qui se nomme  injustice, accaparement des richesses nationale par un clan,  misère,  cherté de vie,  violations quotidiennes des libertés, confiscation du pouvoir, absence  d’alternance à la tête du pays etc., nous nous attacherons à examiner point par point, les assertions de ce surprenant reportage.

Un pays stable et apaisé

 

Nous concédons que depuis un certain temps, une relative stabilité  est perceptible ; seulement, à quel prix  cette «  stabilité » a-t-elle été obtenue ?

 
L’opposition démocratique est pratiquement affaiblie par des intimidations et des manœuvres de divisions suscitées par le pouvoir.


Avec la complicité du Soudans voisin, les opposants armés sont quasiment neutralisés arrêtés et régulièrement déportés au Tchad ; les organisations de la Société civile  sont souvent intimidées et pratiquement rendues inoffensives par la présence de certains de leurs représentants dans  « le cadre de dialogue national » ou parfois à la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) ; deux  institutions dans lesquelles l’argent coule à flot ; par ailleurs, le Tchad est le pays où toutes les manifestations même pacifiques et pourtant autorisées par la Constitution sont systématiquement interdites.


Il est donc facile de comprendre que dans ces conditions, il est difficile pour les tchadiens d’exprimer leurs mécontentements ; il y’a cependant lieu de craindre que ce silence qui engendrent les frustrations refoulées par tout un peuple n’explosent un jour  et ne mette en péril cette stabilité évoquée dans l’article de jeune Afrique ; au regard de l’injustice criante qui ne cesse de s’amplifier, ce scenario est plus que vraisemblable ; ce qui nous amène à penser que cette «  stabilité  et  ce climat apaisé » sont   trompeurs.


D’autre part, quand l’article évoque le retour massif des tchadiens dans leur pays désormais devenu un el dorado, il verse carrément dans la désinformation : au contraire, les jeunes bacheliers quittent  en masse le pays pour aller étudier sous d’autres cieux faute  de bourses d études.


L’auteur de l’article surenchérit  «  des technocrates et administrateurs formés à l’étranger et récemment  rentrés à N’Djamena pour travailler dans la fonction publique très demandeuse de cadres compétents ou dans le privé en pleine expansion »


Quand on est un journal à grand tirage, il convient d’être mieux renseigné et surtout de conseiller aux auteurs de ce genre d’article de ne pas raconter des contre- vérité insultantes pour les tchadiens : la compétence  et le cursus universitaire ne sont plus des critères de choix à des postes de responsabilité dans l’Administration ; La fonction publique est d’ailleurs l’un des secteurs les plus pourris de l’administration tchadienne ; l’intégration des jeunes diplômés ne s’y effectue que contre espèces sonnantes et trébuchantes ; sans avoir donné de l’argent, vous resterez au chômage quelque soit votre diplôme ; ceci est connu de tous ; le gouvernement n’a aucune politique d’emploi ; c’est pourquoi, beaucoup de nos diplômés partent chercher fortune ailleurs ; ceux qui restent n’hésitent pas à exercer  certains petits métiers comme conducteurs de moto taxis, vendeur  ambulant etc. pour survivre parce que n’ayant pas d’argent pour acheter leur intégration à la fonction publique.


Quand à l’administration, affirmer sa déliquescence est un euphémisme : les agents les plus compétents, c’est à dire les cerveaux  sont sous les arbres  ou occupent des postes d’exécutant ;  aux commandes de notre administration se trouvent des individus aux cursus douteux sensé faire office d’agent de conception, il n’est pas surprenant qu’il n’y’ait pas de résultat.


De plus, tous les postes clefs sont occupés par des parents du chef de l’Etat nommés par décrets présidentiels : la douane, les impôts, la police et dans toutes les administrations etc.

 

Les grands travaux et les « réalisations »


L’article de Jeune Afrique parle de grands travaux et de réalisations ayant entrainé une transformation radicale des infrastructures du pays.


Avant de répondre à cette présentation flatteuse  de ce  décors, disons d’abords à l’auteur de cet article que l’argent du pétrole n’appartient ni au Président, ni à sa famille mais à tout le peuple tchadien  et qu’au regard des immenses ressources pétrolières encaissées par le Tchad depuis 2003, un régime politique exerçant la bonne gouvernance aurait multiplié ces réalisations par dix et avec une qualité dix fois supérieure.


Nous pouvons démontrer que Les « réalisations » effectuées sous le régime politique actuel  ne l’ont pas été pour le bien du Tchad mais bel et bien pour enrichir les proches du chef de l’Etat : c’est ainsi que  tous  les marchés de construction d’ouvrage de plusieurs milliards, financés  par le Fonds pétrolier sont octroyés toujours de gré à gré à ses proches ; et cela  en violation totale du code des marchés publics tchadien.


Ces marchés de gré à gré sont tout naturellement attribués aux  membres de sa famille et comme ces derniers ne sont redevables de personne, ils réalisent toujours des ouvrages de très mauvaise qualité ; nous voudrions que l’auteur de l’article vienne à N’Djamena en saison des pluies ; il constatera sans nul doute que faute d’ouvrages et de système de canalisation de qualité, toutes les rues goudronnées se transforment rapidement en caniveaux et la ville est ainsi régulièrement inondée.


D’autre part les bénéficiaires de ces marchés de plusieurs milliards  n’agissent  sous la supervision d’aucun bureau d’étude sérieux  et n’investissent donc qu’un tiers du montant global du marché ; de toute façon,  celui ci ne leur avait été octroyé que pour les enrichir ; nous avons connu des ouvrages réalisés par des parents du chef de l’état qui restaient longtemps inachevés   avant d’être refinancé et donc payé deux fois.


Ces ouvrages dont la qualité laisse à désirer n’existent donc que  parce qu’ils permettent l’enrichissement des membres de la famille présidentielle.

 

Les relations d’affaires


En dehors du consortium (Esso, Chevron, Petronas) qui exploitent depuis plus de 10 ans le pétrole tchadien, notre pays a tissé des relations avec la Chine populaire qui, selon l’auteur de l’article « ont permis à des Grands groupes Chinois de rafler dans plusieurs domaines des appels d’offre majeurs » ; on devrait plutôt parler de contrats de gré à gré ;

 
Si l’auteur de l’article reconnait néanmoins que les relations entre la Chine et le gouvernement tchadien  s’étaient tendues à cause de la «  dégradation de l’environnement et du non respect du code de travail » par les entreprises chinoises, il ignore certainement que si les chinois agissent de cette façon, c’est parce qu’elles n’ont aucune considération pour les responsables tchadiens à tous les niveaux ; parce qu’ils ont domestiqué presque tous nos responsables,  les chinois se permettent de payer  aux travailleurs locaux des salaires de misère et vont jusqu’à  les empêcher   de se syndiquer alors que le code du travail tchadien le permet ; par ailleurs, les ouvrages réalisés par les chinois à l’étranger possèdent une qualité supérieure à ceux réalisés au Tchad à cause de la corruption qui gangrène tous les contrats dans notre pays.

 
Les relations d’affaires avec les chinois sont  donc à l’image des autres relations entretenues avec plusieurs entreprises étrangères (le Sénégalais Goudiaby Atépa  attributaire du marché de construction du centre des affaires, l’Egyptien Salim Group qui construit l’hôtel Hilton, Arab Contractor dans le domaine routier etc.). L’opacité qui entoure l’octroi de tous ces contrats ne ressemblent non pas à des relations d’affaires avantageuse pour le pays comme le prétend Jeune Afrique, mais plutôt à des collusions quasi mafieuses exécutés sur le dos des tchadiens.


La Consommation


L’auteur de l’article avait parlé d’une société de consommation dans laquelle les taxis Peugeot 
504 sont remplacés par des grosses cylindrées  conduites par des « quadras et des quinquas, technocrates ou administrateur» ; si le rédacteur de l’article  s’était renseigné suffisamment sur les conducteurs des véhicules Toyota V8 et autres Hummer aux vitres fumées, il se serait rapidement rendu compte que 70% de ces conducteurs sont des parents et proches du Président.

Quand à la téléphonie mobile  nous répondons que si beaucoup de tchadiens possèdent chacun  un téléphone portable, les appels qu’ils émettent sont les plus chers du monde ; l’organe de régulation de la téléphonie  l’OTRT qui était censé protéger les consommateurs tchadiens,  est tout simplement rendu inefficace par sa collusion avec les deux opérateurs de la téléphonie mobile au Tchad que sont « Airtel » et « Tigo ». Cette institution (OTRT) est pourtant l’un des organismes les plus subventionnés, à coup de milliards par l’Etat comme toutes les institutions qui sont la chasse gardée des proches du Président.

 quand l’auteur de l’article dit « derrière des murs de clôtures élevés, certains quartiers se muent en enclaves pour citadins aisés aux loyers exorbitant, ce qui chasse les plus modestes », il a décrit inconsciemment une réalité concrète ; il aurait sans doute evité d’en parler si seulement on lui disait que ces enclaves pour  citadins aisés sont des regroupements des mini palaces construits par les membres  de la famille du Chef de l’état qui se sont accaparés des richesses nationales, laissant la grande majorité de  leurs concitoyens dans la misère.

L’article de Jeune Afrique s’inspirant de l’avant dernier rapport du FMI sur le Tchad a parlé d’une croissance du PIB de 10,8% ; ce rapport du FMI avait suscité l’indignation de presque toute l’élite Tchadienne à cause de l’infidélité de la description qu’il avait faite de l’économie tchadienne ; malheureusement pour l’auteur de l’article, le dernier rapport du FMI a remis la pendule à l’heure en tirant la sonnette d’alarme : la gabegie financière était devenue d’autant plus importante que les gisement pétroliers actuels sont en train de tarir.

 Le FMI   recommande donc d’améliorer les recettes locales hors pétrole  en redynamisant les  secteurs des impôts et de la douane par exemple et une meilleure discipline budgétaire ; quand on sait qu’à la tête des services de la douane et des impôts les parents très proche du président règnent en maitres,  une amélioration de la situation est utopique ; de plus, quand on connait comment les budgets sont exécutés sous le régime de Deby, les lendemains sont plus qu’incertains pour les tchadiens.

 Alors, Messieurs de Jeune Afrique, dans ce Tchad que vous avez décrit vivent des personnes qui vont creuser des fourmilières et recueillir quelques grains de céréales pour survivre ; dans ce Tchad que vous avez décrit vivent des personnes qui, faute de pouvoir nourrir leurs enfants les envoient mendier dans la rue ; dans ce Tchad que vous avez décrit, des quartiers entiers   la capitale n’ont ni eau ni électricité ; la majorité des habitants de N’Djamena font difficilement un repas par jour ; dans les campagnes ,des villageois vont chercher de l’eau à des dizaines de kilomètres etc…


Alors Messieurs de jeune Afrique, tachez de trouver autre chose pour justifier les faveurs dont vous avez bénéficié  et ne nous fatiguez plus avec ce genre d’élucubrations qui ne trompent personne.

 


Mahamat Nour Ahamat Ibedou

Secrétaire Général de la Convention Tchadienne pour la Défense des Droits Humains (C.T.D.D.H)

 

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