Pourquoi un Docteur en droit comme vous, au lieu du combat politique classique, s’est-il engagé dans la rébellion armée ? 

Africa International (AI): Pourquoi un Docteur en droit comme vous, au lieu du combat politique classique, s’est-il engagé dans la rébellion armée ?

Abakar Tollimi (AT): Vous savez, on ne devient pas rebelle par hasard. Ou plutôt on ne peut échapper à son destin. Et le mien, à un moment de ma vie, est d’avoir choisi l’action concrète. Autrement dit, j’ai pris les armes pour une cause nationale, parce que je crois à un idéal : la justice. Or, avec le régime de Déby, tous ceux qui sont épris de justice et de démocratie n’ont pas de place. Mon principal souci est la cohésion entre les Tchadiens. Déby a empêché l’éclosion d’une véritable démocratie au Tchad. Les derniers événements vécus par le peuple tchadien sont assez éloquents à ce sujet. Face à un tel régime, il me fallait prendre mes responsabilités, ce que j’ai fait avec un groupe de militaires, en étant conscient des conditions difficiles de l’engagement sur le terrain, de la violence des combats, avec ce que cela suppose de dramatique : les blessés et les morts. Mais il y a des maux qui sont nécessaires, hélas ! Je suis de ceux pour qui l’essentiel est de mettre un terme définitif à la dictature d’Idriss Déby. Si nous avions pu y parvenir autrement, nous l’aurions fait. Malheureusement, cet homme ne comprend que le langage de la force. Chez lui, tout est rapport de force et il ne respecte que ceux qui l’affrontent par les armes.

A I : Quels sont vos projets et vos objectifs ? Et comment appréhendez-vous l’après-Déby ?

A.T. : A l’UFDD, nous avons un programme clair qui s’articule autour de deux axes essentiels. Le renversement du régime de Déby doit être suivi de l’organisation d’un forum national regroupant toutes les forces vives du pays, c’est-à-dire les partis politiques, la société civile, les personnes ressources et même la diaspora tchadienne, pour débattre des vrais problèmes du pays. En second lieu, il faut sécuriser le pays et reconstituer une véritable armée nationale, reflétant la diversité ethnique du pays. Mais tout ceci doit passer par un véritable projet de développement. Retenez ces trois mots : paix, démocratie et développement. Ils sont notre credo et le fondement de notre engagement politique.

A.I. : Est-il vrai, comme l’affirme le président Déby, que vous êtes instrumentalisés par les autorités soudanaises, pour affaiblir la rébellion du Darfour et satelliser le Tchad à leur profit ?

A.T. : Les accusations de Deby me font sourire. Son impopularité est telle, l’incurie de sa gestion du pays est à ce point patente, que la volonté de changement des Tchadiens nous suffit largement comme soutien et aiguillon à notre détermination. Je tiens donc à souligner que nous sommes un mouvement indépendant qui veut rénover le pays. Le Soudan et le Tchad sont des voisins avec des liens ancestraux qui les condamnent à coexister dans la paix et la concorde. C’est dire que l’intérêt du Tchad est d’oeuvrer de concert avec Khartoum, pour une solution pacifique à la crise du Darfour.

A.I. : Votre mouvement affirme que l’armée française s’est impliquée directement en faveur du président Idriss Déby, lors de votre offensive sur N’djaména en février dernier. Le président Nicolas Sarkozy déclarait au cours de sa visite en Afrique du Sud, que son pays allait revoir tous les accords militaires signés avec les pays africains. Y aurait-il à votre avis, l’ébauche à Paris d’une nouvelle politique ?

A.T. : Je vous confirme que des troupes françaises ont bien été engagées directement dans les combats qui nous ont opposés, en février dernier, à la soldatesque d’Idriss Déby. Les témoins, pièces à conviction et articles de presse confirmant cette flagrante ingérence dans les affaires du Tchad sont multiples ; au moment utile, nous mettrons tous ces éléments à la disposition de nos frères africains et de la communauté internationale.
Quant au discours du président Nicolas Sarkozy, nous ne pouvons qu’en prendre acte, en espérant son application concrète sur le terrain. Mais je m’interroge : le président Sarkozy est-il sincère ? Est-ce un effet d’annonce destiné à l’hôte sud-africain, voire au rattrapage de l’effet désastreux du discours de Dakar, au cours duquel le nouveau président de la France a parlé de l’Afrique en termes peu honorables pour notre continent ? Il faut dire que les informations que nous recevons actuellement ne sont guère encourageantes, puisqu’elles font état de livraison d’armes françaises à la milice de Déby, et de survols de nos positions par l’armée française. Pour notre part, la communauté d’histoire, les liens culturels et économiques que nous avons avec la France, ne peuvent que nous inciter à raffermir davantage nos relations avec l’Hexagone. Mais cela doit se faire dans un climat de neutralité et de respect réciproque.

A.I. : Quel type de développement envisagez-vous pour le Tchad ?
 
A.T. : Le Tchad est un pays à vocation agro-pastorale, qui doit axer son développement sur le secteur primaire. Nos ressources naturelles et humaines doivent être utilisées à bon escient. Le Tchad ne manque pas d’éléments de qualité, dont nous aurons besoin d’une manière vitale pour l’entreprise titanesque qui nous attend : reconstruire un pays que dix-sept ans de régime Déby aura presque entièrement détruit.
Il nous faudra édifier un Etat qui fonctionne, en veillant à mettre l’accent, entre autres, sur la formation et l’éducation, ainsi que sur le développement du secteur privé. Cela passe par une gestion rigoureuse de la chose publique avec le concours de tous les Tchadiens, qu’ils soient de l’intérieur ou de la diaspora.

A.I. : Que comptez-vous faire des revenus pétroliers si vous arrivez-vous pouvoir ?

A.T. : Le Tchad est le pays qui a le moins profité des dividendes de son pétrole pour son développement. L’éducation, la santé et les infrastructures devraient être prioritaires. Les fonds générés par le pétrole doivent être déposés dans des banques publiques, sur des comptes contrôlés par une commission spécialisée, au sein de laquelle siègeraient parlementaires, membres de la société civile et représentants du gouvernement.

A.I. : Envisagez-vous de revoir les conventions signées avec les compagnies pétrolières ?

A.T. : Dénoncer les conventions avec les compagnies pétrolières serait contraire aux engagements pris par le Tchad. Toutefois, une rectification des clauses de ces conventions qui iraient contre les intérêts du pays s’avère indispensable. Pour cela, les parties concernée devront s’atteler à un réexamen approfondi des textes.

A.I. : Dans ce cas, comment concevez-vous la relation future avec le FMI et la Banque Mondiale ? 


A.T. : Le FMI et la Banque mondiale sont des institutions qui ont joué un rôle déterminant dans les économies de la plupart des pays en développement. Depuis plus de trois décennies, ces institutions sont devenues des gendarmes de la finance, profitant de la mauvaise gouvernance dans certains pays du Tiers-monde pour leur imposer tout et son contraire, les dirigeants étant préoccupés par la conservation du pouvoir. C’est un désastre que d’élaborer le budget national d’un pays selon la volonté d’une institution étrangère.

A.I. : Abordons un sujet d’actualité, non des moindres, la relation Afrique-Chine. Qu’en pensez-vous ?

A.T. : Les Occidentaux veulent nous faire partager leur peur de la Chine. Or, la relation Afrique-Chine est une forme novatrice de coopération. Pékin est la puissance économique de demain, et la Chine nous permet, déjà, de ne plus être hors-jeu sur l’échiquier de la mondialisation. Quel Africain s’en plaindrait ? La Chine est un partenaire qui ne se pose pas en donneur de leçons, et c’est en cela qu’elle rompt avec les pratiques anciennes et hypocrites de certains autres partenaires.
Mais je tiens à ajouter que le regard sur l’Afrique changera quand des entrepreneurs africains seront capables d’aller conquérir des parts de marchés partout dans le monde, de traiter d’égal à égal avec les grands de la finance internationale.

A.I. : Qu’est-ce que vous êtes prêt à faire et qu’est-ce que vous ne pourrez pas faire, dans le combat que vous menez actuellement ?

A.T. : Je suis prêt à sacrifier ma vie pour mon pays. Je suis prêt à faire don de ma personne pour le bien-être de mes compatriotes, pour que la dignité du Tchadien soit respectée. La preuve de mon engagement, c’est l’endroit d’où je vous parle. Ni de Paris ou de N’djamena, et je ne suis pas assis à pérorer comme les politiciens de salon. Je suis ici, sur le terrain, dans la brousse, où je peux me faire tuer d’un moment à l’autre. Pourquoi est-ce que je prends ce risque à votre avis ? Comme tout le monde, je ne demande qu’à mener une existence tranquille, entouré des miens. Mais, si j’ai fait ce choix difficile et grave, c’est que je pense avoir ma petite pierre à apporter dans la marche de mon pays et mon peuple vers un mieux-être durable…

A.I. : Et que ne feriez-vous pas ? 

A.T. : Tout d’abord, je ne suis pas un affairiste. Pour moi, un homme politique doit être capable de se tenir loin des affaires : on est soit un homme politique, soit un homme d’affaires, pas les deux. Il faut savoir faire des choix clairs et sans équivoque.
La seconde chose que je ne saurais faire est la trahison de mes convictions, qui reposent sur l’honneur et la dignité. Les trahir, ce serait en quelque sorte trahir mes proches et mon peuple.

A.I. : De quel homme politique africain ou penseur vous sentez-vous proche ? 

A.T. : En Afrique, Thabo Mbeki, Blaise Compaoré et Paul Kagamé forcent mon estime. Surtout, ces deux derniers à la tête de pays enclavés et aux ressources limitées, le Burkina Faso et le Rwanda, dont l’influence diplomatique et les prouesses économiques constituent un cinglant démenti aux tenants de l’afropessimisme ambiant. Kwame Nkrumah est incontestablement le penseur et homme d’Etat que je respecte le plus, car il est le père du panafricanisme. Je trouve aussi Cheikh Anta Diop assez dense.

A.I. : Trouvez-vous encore du temps pour les loisirs, la lecture par exemple ? 

A.T. : Oui, quand même, pour la lecture seulement. Généralement, je lis les essais politiques et économiques. J’aime aussi beaucoup relire des classiques comme L’Aventure ambiguë de Cheikh Amidou Kane, Le Prince de Machiavel, les succès littéraires de Jean-Paul Sartre, Amadou Hampaté Bâ, le poète palestinien Mahmoud Darwish. Et même si ce n’est plus à la mode, je lis Karl Marx. Vous voyez que l’éventail de ma curiosité est large.

Interview réalisée par Myriam FALL
et publiée dans
 Africa International N° 419 Avril 2008
 


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