Lors que le procès de l’ancien président tchadien Hissène Habré devrait s’ouvrir ce lundi 20 juillet à Dakar, cet événement suscite beaucoup de réactions au sein de la classe politique africaine. Parmi eux, Acheikh Ibn-Oumar, ancien ministre des affaires étrangères du président Habré entre 1989 1990.Exilé en France depuis le début des années 1990, cet opposant du président Idriss Déby se livre sur un procès qu’il juge incohérent.

 

Hissene Habré n’est plus au pouvoir depuis 1990, le procès commence le 20 juillet prochain soit 25 ans après: selon vous, pourquoi la procédure judiciaire a-t-elle mit autant d’années à s’enclencher ?

 

Acheikh Ibn-Oumar: 

 

Tout d’abord, il faut savoir qu’entre 1992, date où il y a eu le premier rapport de la commission d’enquête sur les crimes et les violations des droits de l’homme commis sous le règne d’Hissène Habré, et 2002, date de la première action des militants de droits de l’homme, donc pendant 10 ans, le président Idriss Deby s’est carrément assis sur le rapport de la commission d’enquête.

 

Donc j’estime que nous n’avions pas besoin de chambre africaine extraordinaire pour le faire.

 

Une commission d’enquête interne au Tchad avait, en 1992, fait un rapport interne définitif. Donc tous les éléments étaient déjà réunis dans les années 1990 pour clôturer cette sombre page de l’histoire.

 

Depuis 1990, il est installé au Sénégal au point où certains accusent les politiques sénégalais, et notamment le président Abdoulaye Wade, de complicité en ne le jugeant pas. Quel est votre avis ?

 

Il faut savoir qu’en 2002, ce n’est pas le Tchad qui a demandé un procès pour Hissène Habré, ce sont les activistes des droits de l’homme. Ils se sont rendus au Sénégal en reprochant au président Wade d’accueillir un tortionnaire alors que son pays est signataire de la convention internationale contre la torture.

 

Je pense que le président Abdoulaye Wade n’a pas tout fait pour accélérer la procédure.

 

D’ailleurs il faisait ouvertement du chantage aux Européens, supputant que la justice sénégalaise n’était pas assez équipée pour organiser ce procès. Allant même jusqu’à réclamer à de nombreux bailleurs de fonds (Union européenne, UA, Tchad, Belgique, Pays-Bas, etc..) une somme de 27 millions d’euros pour construire un nouveau palais de justice et un hôtel pour accueillir les avocats et les victimes… c’était un peu fantaisiste.

 

Ce procès n’est-il pas un sujet sensible pour la présidence du Tchad ?

 

Votre collègue de RFI Laurent Correau c’est rendu au Tchad pour faire un reportage sur l’affaire Habré et il a été expulsé manu militari à coups de gifles, au grand dam de l’ambassadeur de France qui n’a rien pu faire (ndlr le 23 juin dernier). Donc évidemment que c’est un sujet sensible pour le président Déby.

 

Peut-on juger Habré sans juger Idriss Deby ?

 

Tous les tortionnaires de l’époque Habré ont été reconduit dans les mêmes fonctions par Idriss Deby. Selon moi c’est difficile de juger Habré sans juger Idriss Deby. Hissène Habré n’a tué personne de ses propres mains.

 

Récemment on a commencé à arrêter des responsables de la sécurité sous la présidence d’Habré et l’on peut penser que si Idriss Deby n’était pas au pouvoir, il aurait été arrêté car il était au moins aussi responsable de crimes que ces personnes. On a l’impression que, du fait de son statut de chef d’État, il aurait reçu certaines garanties de ne pas être arrêté. Toutefois le statut de l’immunité présidentielle a été affaibli ces derniers temps, on l’a vu récemment avec le président soudanais Omar Al-Béchir et sa mésaventure en Afrique du Sud.

 

On parle de juger Habré, mais pourquoi le singulariser ?

 

On ne juge pas une personne, on juge des crimes et des actes. Donc si l’on parle des actes commis par Hissène Habré certains l’ont été par Idriss Deby. Il ne s’agit pas de défendre Habré c’est juste une question d’équilibre. De même que les personnes qui ont combattu après son règne ont commis des actes de torture assimilable à des violations des droits de l’homme. Donc j’aurais préféré qu’on parle de juger des crimes de manière générale.

 

Pourquoi Habré n’a jamais mis en cause la complicité de Deby pour se défendre?

 

Ses avocats ont pris pour ligne de défense de ne pas se défendre. Prétextant que le procès est juridiquement illégal et que les chambres africaines qui doivent le juger n’ont pas de bases juridiques suffisantes mais aussi que la justice sénégalaise n’est pas compétente. C’est pour cela que Habré ne parle pas.

 

Justement, qu’attendez-vous du procès ?

 

Si ses avocats poursuivent sur cette ligne de défense, Habré va refuser d’y être et par conséquent, le clan Habré va boycotter le procès.

 

Le juge peut délivrer un mandat d’amener (ordre donné par un juge d’instruction aux forces de l’ordre afin que celles-ci conduisent immédiatement une personne mise en examen devant lui, y compris par la contrainte si celle-ci s’avère nécessaire est la monnaie par la force) mais comme le dit le proverbe africain « on peut forcer son cheval à venir au bord du ruisseau on ne peut pas le forcer à boire » je pense que c’est à peu près ce schéma qui se dessine.

 

Kalidou SY

 

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